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DECRÉTALES, s. f. pl. (Jurispr. canon.) Les decrétales sont des lettres des souverains pontifes, qui répondant aux consultations des évêques, ou même de simples particuliers, décident des points de discipline. On les appelle decrétales, parce qu’elles sont des résolutions qui ont force de loi dans l’Eglise. Elles étoient fort rares au commencement, & on s’en tenoit à l’autorité des canons des premiers conciles : aussi voyons-nous que les anciens recueils de canons ne renferment aucune de ces decrétales. Denis le Petit est le premier qui en ait inséré quelques-unes dans sa collection ; savoir, celles depuis le pape Sirice jusqu’à Anastase II. qui mourut en 498 : la premiere decrétale que nous ayons du pape Sirice est datée du 11 Février de l’an 385, & est adressée à Hymerius évêque de Tarragone. Les compilateurs qui ont succédé à Denis le Petit jusqu’à Gratien inclusivement, ont eu pareillement l’attention de joindre aux canons des conciles les décisions des papes : mais ces dernieres étoient en petit nombre. Dans la suite des tems, diverses circonstances empêcherent les évêques de s’assembler, & les métropolitains d’exercer leur autorité : telles furent les guerres qui s’éleverent entre les successeurs de l’empire de Charlemagne, & les invasions fréquentes qu’elles occasionnerent. On s’accoûtuma donc insensiblement à consulter le pape de toutes parts, même sur les affaires temporelles ; on appella très-souvent à Rome, & on y jugea les contestations qui naissoient non seulement entre les évêques & les abbés, mais encore entre les princes souverains. Peu jaloux alors de maintenir la dignité de leur couronne, & uniquement occupés du soin de faire valoir par toute sorte de voies les prétentions qu’ils avoient les uns contre les autres, ils s’empresserent de recourir au souverain pontife, & eurent la foiblesse de se soûmettre à ce qu’il ordonnoit en pareil cas, comme si la décision d’un pape donnoit en effet un plus grand poids à ces mêmes prétentions. Enfin l’établissement de la plûpart des ordres religieux & des universités qui se mirent sous la protection immédiate du saint-siége, contribua beaucoup à étendre les bornes de sa jurisdiction ; on ne reconnut plus pour loi générale dans l’Eglise, que ce qui étoit émané du pape, ou présidant à un concile, ou assisté de son clergé, c’est-à-dire du consistoire des cardinaux. Les decrétales des souverains pontifes étant ainsi devenues fort fréquentes, elles donnerent lieu à diverses collections, dont nous allons rendre compte.

La premiere de ces collections parut à la fin du xiie siecle : elle a pour auteur Bernard de Circa, évêque de Faenza, qui l’intitula breviarium extra, pour marquer qu’elle est composée de pieces qui ne se trouvent pas dans le decret de Gratien. Ce recueil contient les anciens monumens omis par Gratien ; les decrétales des papes qui ont occupé le siége depuis Gratien, & sur-tout celles d’Alexandre III. enfin les decrets du troisieme concile de Latran, & du troisieme concile de Tours, tenus sous ce pontife. L’ouvrage est divisé par livres & par titres, à-peu-près dans le même ordre que l’ont été depuis les decrétales de Grégoire IX. on avoit seulement négligé de distinguer par des chiffres les titres & les chapitres : mais Antoine Augustin a suppléé depuis à ce défaut. Environ douze ans après la publication de cette collection, c’est-à-dire au commencement du treizieme siecle, Jean de Galles, né à Volterra dans le grand duché de Toscane, en fit une autre dans laquelle il rassembla les decrétales des souverains pontifes qui avoient été oubliées dans la premiere, ajoûta celles du pape Célestin III. & quelques autres beaucoup plus anciennes, que Gratien avoit passées sous silence. Tancrede, un des anciens interpretes des decrétales, nous apprend que cette compilation

fut faite d’après celles de l’abbé Gilbert, & d’Alain évêque d’Auxerre. L’oubli dans lequel elles tomberent, fut cause que le recueil de Jean de Galles a conservé le nom de seconde collection : au reste elle est rangée dans le même ordre que celle de Bernard de Circa, & elles ont encore cela de commun l’une & l’autre, qu’à peine virent-elles le jour, qu’on s’empressa de les commenter : ce qui témoigne assez la grande réputation dont elles joüissoient auprès des savans, quoiqu’elles ne fussent émanées que de simples particuliers, & qu’elles n’eussent jamais été revêtues d’aucune autorité publique. La troisieme collection est de Pierre de Benevent ; elle parut aussi au commencement du treizieme siecle par les ordres du pape Innocent III. qui l’envoya aux professeurs & aux étudians de Bologne, & voulut qu’on en fît usage, tant dans les écoles que dans les tribunaux : elle fut occasionnée par celle qu’avoit faite Bernard archevêque de Compostelle, qui pendant son séjour à Rome avoit ramassé & mis en ordre les constitutions de ce pontife : cette compilation de Bernard fut quelque tems appellée la compilation romaine, mais comme il y avoit inséré plusieurs choses qui ne s’observoient point dans les tribunaux, les Romains obtinrent du pape qu’on en fît une autre sous ses ordres, & Pierre de Benevent fut chargé de ce soin : ainsi cette troisieme collection differe des deux précédentes, en ce qu’elle est munie du sceau de l’autorité publique. La quatrieme collection est du même siecle ; elle parut après le quatrieme concile de Latran célébré sous Innocent III. & renferme les decrets de ce concile & les constitutions de ce pape, qui étoient postérieures à la troisieme collection. On ignore l’auteur de cette quatrieme compilation, dans laquelle on a observé le même ordre de matieres que dans les précédentes. Antoine Augustin nous a donné une édition de ces quatre collections, qu’il a enrichies de notes. La cinquieme est de Tancrede de Bologne, & ne contient que les decrétales d’Honoré III. successeur immédiat d’Innocent III. Honoré, à l’exemple de son prédécesseur, fit recueillir toutes ses constitutions ; ainsi cette compilation a été faite par autorité publique. Nous sommes redevables de l’édition qui en parut à Toulouse en 1645, à M. Ciron professeur en droit, qui y a joint des notes savantes. Ces cinq collections sont aujourd’hui appellées les anciennes collections, pour les distinguer de celles qui font partie du corps de droit canonique. Il est utile de les consulter en ce qu’elles servent à l’intelligence des decrétales, qui sont rapportées dans les compilations postérieures où elles se trouvent ordinairement tronquées, & qui par-là sont très-difficiles à entendre, comme nous le ferons voir ci-dessous.

La multiplicité de ces anciennes collections, les contrariétés qu’on y rencontroit, l’obscurité de leurs commentateurs, furent autant de motifs qui firent desirer qu’on les réunît toutes en une nouvelle compilation. Grégoire IX. qui succéda au pape Honoré III. chargea Raimond de Pennaford d’y travailler ; il étoit son chapelain & son confesseur, homme d’ailleurs très-savant & d’une piété si distinguée, qu’il mérita dans la suite d’être canonisé par Clément VIII. Raimond a fait principalement usage des cinq collections précédentes ; il y a ajoûté plusieurs constitutions qu’on y avoit omises, & celles de Grégoire IX. mais pour éviter la prolixité, il n’a point rapporté les decrétales dans leur entier ; il s’est contenté d’insérer ce qui lui a paru nécessaire pour l’intelligence de la décision. Il a suivi dans la distribution des matieres le même ordre que les anciens compilateurs ; eux mêmes avoient imité celui de Justinien dans son code. Tout l’ouvrage est divisé en cinq livres, les livres en titres, les titres non en chapitres, mais en capitules, ainsi appellés de ce qu’ils ne con-