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mains de ceux qui s’appliquoient à l’étude du droit canonique, il se soit dans la suite proposé un plus grand ouvrage, tel que le decret, pour y traiter les choses avec plus d’étendue. Les autres prétendent au contraire que par cela même que la pannormie est plus abregée, il y a lieu de croire qu’elle a été faite depuis, & avec plus de soin. D’ailleurs elle a, dit-on, dans plusieurs exemplaires cette inscription, decreta parva Yvonis, qui semble avoir rapport à quelque ouvrage antérieur plus considérable, qu’on aura simplement appellé decreta. Quoi qu’il en soit, ces deux compilations d’Yves de Chartres sont recommandables, en ce qu’il y traite avec précision tout ce qui regarde la discipline ecclésiastique, & qu’il les a enrichies de décisions tirées du droit civil, comme nous l’avons déjà observé : de plus, elles sont d’un grand usage pour réformer Gratien ; & Dumoulin, professeur en droit de Louvain, qui nous a donné en 1561 la premiere édition du decret d’Yves de Chartres, déclare s’en être utilement servi à cet égard. Mais Yves de Chartres est repréhensible d’avoir suivi les fausses decrétales, & de n’avoir pas consulté les véritables sources. Ce que nous venons de dire sur ces deux collections nous paroît suffire ; nous nous étendrons davantage sur celle de Gratien comme plus importante, & faisant partie du corps du droit canonique.

Gratien de Chiusi en Toscane, embrassa la regle de S. Benoît dans le monastere de S. Felix de Boulogne. Vers l’an 1151, sous le pontificat d’Eugene III. & le regne de Louis VII. dit le Jeune, il publia un nouveau recueil de canons, qu’il intitula la concorde des canons discordans, parce qu’il y rapporte plusieurs autorités qui semblent opposées, & qu’il se propose de concilier. Dans la suite il fut appellé simplement decret. La matiere de ce recueil sont les textes de l’écriture, les canons des apôtres, ceux d’environ 105 conciles, savoir des neuf premiers conciles œcuméniques, en y comprenant celui de Trulle ou le Quini-Sexte, & de 96 conciles particuliers ; les decrétales des papes, les extraits des SS. PP. comme de S. Ambroise, S. Jérôme, S. Augustin, S. Grégoire, Isidore de Seville, &c. les extraits tirés des auteurs ecclésiastiques, les livres pénitentiaux de Théodore, de Bede, & de Raban-Maur archevêque de Mayence ; le code Théodosien, les fragmens des jurisconsultes Paul & Ulpien, les capitulaires de nos rois, l’histoire ecclésiastique, le livre appellé pontifical, les mémoires qui sont restés sur les souverains pontifes, le diurnal & l’ordre romain. A ces autorités il joint fréquemment ses propres raisonnemens, dont la plûpart tendent à la conciliation des canons : il met aussi à la tête de chaque distinction, cause, ou question, des especes de préfaces qui annoncent en peu de mots la matiere qu’il va traiter. Au reste l’énumération des sources qu’employe Gratien, prouve qu’il étoit un des hommes les plus savans de son siecle, malgré le grand nombre de fautes qu’on lui reproche avec raison, comme nous le démontrerons incessamment.

L’ouvrage de Gratien est divisé en trois parties. La premiere renferme cent & une distinctions ; il nomme ainsi les différentes sections de cette premiere partie & de la troisieme, parce que c’est surtout dans ces deux parties qu’il s’efforce de concilier les canons qui paroissent se contredire, en distinguant les diverses circonstances des tems & des lieux, quoiqu’il ne néglige point cette méthode dans la seconde. Les vingt premieres distinctions établissent d’abord l’origine, l’autorité, & les différentes especes du droit, qu’il divise en droit divin & humain, ou naturel & positif ; en droit écrit & coûtumier, en droit civil & ecclésiastique. Il indique ensuite les principales sources du droit ecclésiastique, sur lesquelles il s’étend depuis la distinction 15e jusqu’à la

20e : ces sources sont les canons des conciles, les decrétales des papes, & les sentences des SS. PP. De-là il passe aux personnes, & on peut soûdiviser ce traité en deux parties, dont l’une qui tient depuis la 21e distinction jusqu’à la 92e, regarde l’ordination des clercs & des évêques ; & l’autre, qui commence à la 93e distinction & conduit jusqu’à la fin, parle de la hiérarchie & des différens degrés de jurisdiction.

La seconde partie du decret contient trente-six causes, ainsi nommées de ce qu’elles sont autant d’especes & de cas particuliers, sur chacun desquels il éleve plusieurs questions. Il les discute ordinairement en alléguant des canons pour & contre, & les termine par l’exposition de son sentiment. Cette partie roule entierement sur les jugemens ecclésiastiques ; il en distingue de deux sortes, les criminels & les civils. Il traite en premier lieu des jugemens criminels comme plus importans, puisqu’ils ont pour fin la punition des délits, & passe ensuite aux jugemens civils institués pour décider les contestations qui naissent entre les particuliers. Dans cette seconde partie, Gratien observe peu d’ordre, non-seulement il interrompt celui que d’abord il semble s’être prescrit, & s’éloigne de son objet, mais quelquefois même il le perd entierement de vûe : c’est-ce qui lui arrive à la question 3 de la cause 35e ; il avoit commencé dans la cause 27e à parler du mariage, & avoit destiné dix causes à cette matiere qui est très-abondante ; mais à l’occasion d’un raisonnement qu’il fait avant le canon XII. quest. ij. cause 3. il quitte son sujet pour examiner s’il est permis aux pénitens de contracter mariage. Une pareille digression n’étoit peut-être pas tout-à-fait déplacée, à cause que suivant l’ancienne discipline, la pénitence publique étoit un des empêchemens du mariage ; du moins on pouvoit l’excuser, sur-tout Gratien reconnoissant au commencement de la question 3e qu’il s’étoit un peu écarté : mais dans cet ondroit là même il fait un autre écart bien plus considérable ; car à l’occasion de cette question 3e dont le sujet est, si on peut satisfaire à Dieu par la seule contrition intérieure sans aucune confession de bouche, il s’étend sur la pénitence d’une maniere si prolixe, que les interpretes ont jugé à-propos de soûdiviser ce traité en sept distinctions : ensuite à la question 4e il reprend le mariage, & continue d’en parler jusqu’à la cause 36e, où finit la seconde partie du decret.

La troisieme partie est divisée en cinq distinctions, & est intitulée de la consécration. Dans la premiere il s’agit de la consécration des églises & des autels : dans la seconde, du sacrement de l’eucharistie : dans la troisieme, des fêtes solennelles : dans la quatrieme, du sacrement de baptême : & dans la derniere, du sacrement de la confirmation, de la célébration du service divin, de l’observation des jeûnes, & enfin de la très-sainte Trinité. Cette troisieme partie n’est point entremêlée des raisonnemens de Gratien, si ce n’est au canon 50e de la distinction 1re, & aux canons 19 & 20 de la 4e : la raison qu’en donne l’auteur de la glose, est qu’il faut parler sobrement & avec retenue des sacremens ; un pareil motif dans Gratien eût été extrèmement sage, & mériteroit sans doute nos éloges : mais nous croyons être en droit de les lui refuser à ce sujet, & c’est ce dont le lecteur jugera, lorsque dans la suite nous lui aurons rendu compte de la réflexion que fait cet auteur sur les canons de la distinction 1re de pœnitentiâ.

L’observation que nous venons de faire sur la troisieme partie du decret étant particuliere à cette partie, il convient de joindre ici celles qui regardent toutes les trois également, excepté néanmoins que sur la maniere de citer les canons, nous renvoyons