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les arcs de triomphe, les fontaines, les théatres, &c. qui ne peuvent s’attirer le suffrage des nations étrangeres que par les embellissemens que leur procurent la décoration des dehors & la magnificence des dedans.

On distingue en général quatre genres de décoration ; celle des façades, celle des appartemens, celle des jardins, & celle des théatres, qui toutes demandent des caracteres distinctifs, quoique soumises également aux lois de la convenance, de la bienséance, & aux principes du goût : connoissances qui ne peuvent jamais s’acquérir sans l’exercice du dessein, & l’examen réfléchi des plus beaux ouvrages antiques & modernes concernant l’Architecture, la Sculpture, la Peinture, &c.

De ces quatre genres de décoration, celle des façades est sans contredit celle qui exige le plus les préceptes de l’art. L’architecture & la sculpture concourent également à leur embellissement ; mais cette derniere doit être absolument subordonnée à la premiere.

Par décoration d’architecture on entend l’application des ordres, colonnes ou pilastres, les frontons, les portes, les croisées, les niches, les attiques, les soûbassemens, les balustrades ; différentes parties qui se doivent accorder si bien avec les masses & la dimension du bâtiment, que l’une ne puisse être supprimée sans nuire au reste de l’édifice.

Par décoration de sculpture on entend les statues, les trophées, les vases qui servent à composer les amortissemens & les couronnemens des façades, ou à enrichir chacune de leurs parties, telles que les chapiteaux des ordres, leurs entablemens, leurs piédestaux, par des ornemens en bas relief, en demi-bosse, en rond de bosse, &c. L’on appelle encore décoration de sculpture, celle où l’architecture entrant pour quelque chose, sert à la composition des tombeaux, des fontaines jaillissantes ou tout autre ouvrage pittoresque & contrasté, soûtenu seulement sur des socles ou des empatemens qui leur servent de base.

Les Grecs & les anciens Romains l’ont emporté de beaucoup sur nous pour la décoration d’architecture & de sculpture. Nos édifices en France les plus généralement approuvés, sont ceux qui approchent le plus de la composition de ces maîtres du monde ; néanmoins il nous reste beaucoup à faire pour arriver à la perfection des monumens qui nous restent de ces peuples. Sans doute la différence de notre climat, la disette des matieres, moins d’opulence, & peut-être un goût trop national, ont contribué à ne les imiter que d’assez loin. Mais d’un autre côté nous pouvons avancer sans prévention que si ces nations nous ont montré une si belle route, nous sommes à-présent les seuls qui puissions être imités des autres peuples, pour l’élégance des formes, le détail des ornemens & la commodité de la distribution ; de maniere que dans les siecles à venir on n’hésitera point de citer l’Architecture françoise à la suite de la greque & de la romaine, nos architectes en ayant pour ainsi dire créé une relative à notre climat & à nos besoins.

La décoration intérieure a pour objet la magnificence des appartemens. Cette partie de l’Architecture est sans contredit celle qui, après la distribution, fait le plus d’honneur à la France ; & on peut avancer qu’à l’exception de quelques ornemens peut-être trop frivoles que nos sculpteurs ont introduits dans leurs décorations, il n’est point de nation, sans excepter l’Italie, qui entende aussi-bien cette partie que nous. Les hôtels de Toulouse, de Soubise, de Thiers, de Mazarin, de Biron, de Villars, &c. peuvent être regardés comme autant de chefs-d’œuvre en ce genre, & l’on trouve dans leurs appartemens

la richesse des matieres, la magnificence des meubles, la sculpture, la peinture, les bronzes, les glaces, distribués avec tant de goût, de choix & d’intelligence, qu’il semble que ces palais soient autant de lieux enchantés, élevés par l’opulence pour le séjour des graces & de la volupté.

La décoration des jardins consiste dans l’art de cultiver avec goût la nature, de maniere que ces deux parties concourent à former ces lieux délicieux que nous offrent abondamment les jardins de Versailles, de Marly, de Meudon, de Sceaux, de Chantilly, &c. la plûpart exécutés sur les desseins de le Nautre & de Mansard, & où se trouvent rassemblés avec autant de choix que de profusion, les chefs-d’œuvre de sculpture de nos plus célebres artistes, les canaux, les fontaines, les cascades, les bosquets, les terrasses, les escaliers, les palissades, les berceaux de treillage ; enfin des pavillons, des sallons, des belvederes, des vertugadins, des boulingrins, des figures & des vases de métal, de marbre, de bronze, tout ce que l’art, le génie, le goût & la magnificence peuvent offrir de plus somptueux.

C’est l’assemblage de toutes ces différentes parties, aidé d’une situation avantageuse, d’une exposition convenable & dirigée par des mains habiles, qui attire chez nous les nations les plus éloignées, & qui nous ont mérité la réputation de grands jardiniers ; nom célebre dû aux soins, à la vigilance & à la capacité de la Quintinie, de le Nautre & de le Blond ; ensorte que l’on dit de l’art du jardinage en France, comme de l’Architecture, les jardins françois, qui se distinguent de ceux de l’Angleterre & de l’Italie ; les premiers n’étant recommandables que par leur grandeur étonnante, une belle simplicité, & un entretien très-recherché ; les seconds, par la disposition des lieux, l’abondance des eaux & la fertilité du terroir ; ceux-ci, quoiqu’embellis par le secours de l’art & des artistes, doivent leur plus grande beauté à leur situation, & à un ciel plus favorable pour les productions de la nature : avantage qui ne se rencontrant pas chez nous, nous fait avoir recours à l’art, quoique l’on ne puisse disconvenir que nos jardins en général sont plus verds, moins tristes, moins arides, & plus capables par cet endroit de se plier au pouvoir de l’art ; séduction satisfaisante pour nos jardins de propreté, & qui oppose un contraste ingénieux avec nos potagers, nos vergers, nos parcs, nos bois & nos forêts, qui nous fait passer alternativement dans un même lieu de l’agréable à l’utile, du merveilleux au séduisant, & enfin de la nature à l’art. Voyez plus bas Decoration. (Jardinage.)

La décoration des théatres consiste en l’art de rendre par le secours de la perspective, de la peinture & d’une lumiere artificielle, tous les objets que nous offre la nature. Rien de si séduisant que ce que nous pourroit présenter l’art dans ce genre de choses ; cependant nous sommes forcés de convenir que de toutes les parties de la décoration, celle des théatres est celle que nous entendons le moins. Je ne sais par quelle fatalité, avec les talens supérieurs de plusieurs de nos artistes, les François sont encore si éloignés des peintres d’Italie dans ce genre. Sans doute l’œconomie, le peu d’espace de nos théatres, la disette de méchaniciens, l’indifférence de notre nation pour les spectacles à cet égard ; le dirai-je ? l’ignorance des chefs ou des entrepreneurs de nos spectacles, est la source du peu de succès de nos décorations théatrales. A l’exception du célebre Servandoni peintre italien, qu’est-ce que la plûpart de nos décorateurs ? des peintres de chevalet qui n’ont jamais sorti de leurs cabinets, qui ignorent l’histoire, les principes de l’architecture, les regles de la perspective ; & qui bien loin de saisir le génie, le goût ou l’opinion des peuples d’où le poëme est tiré, ap-