Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regarde le décorateur, & qu’il n’est question que de peindre méchaniquement les locaux, pour établir aux yeux du spectateur le lieu où se passe la scene.

Ce qui nous reste des ouvrages dramatiques des Grecs, montre assez qu’Eschyle, Euripide & Sophocle étoient mieux instruits, & mettoient une plus grande importance dans tout ce qui avoit quelque rapport à la représentation de leurs tragédies.

Par les discours qui sont à la tête des pieces en machines de P. Corneille, & en parcourant les détails clairs & raisonnés qu’il y fait de tout ce qui regarde leur spectacle, il est aisé de se convaincre de la connoissance profonde que ce grand homme avoit acquise de toutes ces grandes parties qu’on croit peut-être fort étrangeres à la poésie.

Qu’on s’occupe à sonder avec quelque soin la marche, l’ordre & la méchanique des opera de Quinault, malgré la modestie de ce poëte, qui n’a cherché à nous donner ni par des explications, ni par des préfaces, ni par des détails raisonnés, aucune idée de ses études, de ses connoissances, de sa fécondité, de son invention & de ses travaux ; il est impossible de ne pas s’assûrer qu’il possédoit à fond toute cette matiere, & que jamais homme peut-être avant lui n’avoit sû la mettre en pratique avec tant de méthode, d’intelligence, de variété & de goût.

Ces exemples seroient sans doute suffisans pour prouver qu’un poëte lyrique ne peut acquérir trop de lumieres sur les arts qui doivent concourir à rendre parfaite l’exécution de ses ouvrages. Ce que les Grecs, P. Corneille & Quinault ont crû nécessaire, eux qui avoient tant de talens divers, un si beau génie, un feu poétique si brillant, ne doit pas sans doute paroitre inutile aux poëtes qui viennent après eux, quelques talens qu’ils se flatent d’avoir d’ailleurs.

Mais pour le bien & le progrès de l’art, il faut qu’ils sachent encore les avantages que les connoissances de cette espece peuvent leur procurer, & les inconvéniens qu’ils ont à craindre, s’ils mettent le pié dans la carriere sans avoir pris la précaution de les acquérir.

La décoration à l’opera fait une partie de l’invention. Ce n’est pas assez d’imaginer des lieux convenables à la scene, il faut encore varier le coup-d’œil que présentent les lieux, par les décorations qu’on y amene. Un poëte qui a une heureuse invention jointe à une connoissance profonde de cette partie, trouvera mille moyens fréquens d’embellir son spectacle, d’occuper les yeux du spectateur, de préparer l’illusion. Ainsi à la belle architecture d’un palais magnifique ou d’une place superbe, il fera succéder des deserts arides, des rochers escarpés, des antres redoutables. Le spectateur effrayé sera alors agréablement surpris de voir une perspective riante coupée par des paysages agréables, prendre la place de ces objets terribles. De-là, en observant les gradations, il lui présentera une mer agitée, un horison enflammé d’éclairs, un ciel chargé de nuages, des arbres arrachés par la fureur des vents. Il le distraira ensuite de ce spectacle par celui d’un temple auguste : toutes les parties de la belle architecture des anciens rassemblées dans cet édifice, formeront un ensemble majestueux ; & des jardins embellis par la nature, l’art & le goût, termineront d’une maniere satisfaisante une représentation dans laquelle on n’aura rien négligé pour faire naitre & pour entretenir l’illusion. Les machines qui tiennent si fort à la décoration, lui prêteront encore de nouvelles beautés ; mais comment imaginer des machines, si on ignore en quoi elles consistent, la maniere dont on peut les composer, les ressorts qui

peuvent les faire mouvoir, & sur-tout leur possibilité ? Voyez Machine, Merveilleux.

Le décorateur, quelque génie qu’on lui suppose, n’imagine que d’après le plan donné. Que de beautés ne doivent pas résulter du concours du poëte & de l’artiste ? Que de belles idées doivent naître d’une imagination échauffée par la poësie & guidée par l’instruction, & de la verve d’un peintre à qui le premier dessein est donné par une main sûre qui a sû en écarter tous les inconvéniens, & qui en indique tous les effets ? D’ailleurs, l’œil vigilant d’un poëte plein de son plan général, doit être d’un grand secours au peintre qui en exécute les parties. Que de défauts prévenus ! que de détails embellis ! que d’études & de réflexions épargnées !

Outre ces avantages, celui de se mettre à l’abri d’une foule d’inconvéniens qu’on peut par ce seul moyen prévenir, doit paroître bien puissant à tous les poëtes qui se livrent au genre lyrique.

Comment imaginer, comment se faire entendre, si on ignore & la matiere sur laquelle il faut que l’imagination s’exerce, & l’art qui doit mettre en exécution ce qu’on aura imaginé ? Le goût seul peut-il suffire pour empêcher qu’on ne s’égare ? & le goût lui même est-il autre chose qu’un sentiment exquis, que la connoissance des matieres auxquelles il s’applique, la comparaison, l’expérience peuvent seules rendre sûr ?

La pompe, la variété, le contraste toûjours juste & plein d’adresse de tous les opera de Quinault, sont encore de nos jours un des points les moins susceptibles de critique de ces heureuses compositions. On dit plus : il n’y a point d’opera de Quinault, dans lequel un homme de goût versé dans l’étude des différens arts nécessaires à l’ensemble de pareils spectacles, ne trouve à produire en machines & en décorations des beautés nouvelles, capables d’étonner les spectateurs & de rajeunir les anciens ouvrages. Qu’on juge par-là du fonds inépuisable sur lequel Quinault a travaillé.

Chez lui d’ailleurs l’effet, le service d’une décoration, ne nuisent jamais au service ni à l’effet de celle qui suit. Les tems de la manœuvre, les contrastes nécessaires pour attacher les spectateurs, l’ordre, l’enchaînement, les gradations, toutes ces choses y sont ménagées avec un art, une exactitude, une précision qui ne sauroient être assez admirées, & qui supposent la connoissance la plus étendue de toutes ces parties différentes.

Voilà le modele : malheur aux poëtes lyriques, eussent-ils même le génie de Quinault, s’ils négligent d’acquérir les connoissances qu’il a crû lui être nécessaires. Voy. Machine, Merveilleux, Opera. Voyez aussi l’article suiv. Décoration, Architecture. (B)

Décoration, terme d’Architecture. On entend sous ce nom la partie de l’Architecture la plus intéressante, quoique considérée comme la moins utile relativement à la commodité & à la solidité. En effet, combien d’édifices publics & particuliers où la décoration devient peu nécessaire, tels que les casernes, les hôpitaux, les manufactures, les marchés & autres bâtimens œconomiques, élevés dans les villes pour la retraite des gens de guerre, le soulagement des pauvres, la facilité du commerce, ou pour l’habitation des citoyens destinés au trafic, aux arts méchaniques, &c ?

Plus il nous seroit aisé de démontrer l’inutilité de la décoration dans les bâtimens que nous venons de nommer, & plus néanmoins il doit paroître important que la décoration que nous entendons ici, soit de toute beauté, puisqu’elle est destinée à caractériser les édifices sacrés, les palais des souverains, la demeure des grands seigneurs, les places publiques,