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res & extraordinaires qui se font sur le clergé, quoiqu’elles soient communément beaucoup au-dessous du dixieme de leur revenu.

Les croisades pour lesquelles on faisoit ces levées sur le clergé, n’avoient lieu d’abord que contre les infideles. On en fit ensuite contre les hérétiques & contre les excommuniés ; & ce fut autant d’occasions pour lever des décimes.

Les papes en levoient aussi pour les guerres qu’ils avoient personnellement contre quelques princes chrétiens, qu’ils faisoient passer pour ennemis de l’Eglise. Les Souverains qui partageoient ordinairement le profit de ces impositions, consentoient qu’elles fussent levées dans leurs états par les officiers du pape. On voit par une lettre de Philippe-Auguste aux églises de Sens datée de l’an 1210 au mois de Mars, qu’il accorda une aide sur le clergé de France à Innocent III. pour la guerre que celui-ci avoit contre l’empereur Othon IV. On ne peut pas dire à quoi montoit cette aide ; car le pape & roi s’en remettoient à la discrétion du clergé.

Boniface VIII. imposa en 1295 sur les églises de France une décime-centieme, & voulut s’approprier certains legs ; il avoit même déjà commis deux personnes pour en faire la perception, mais Philippe-le-Bel ne le voulut pas souffrir ; & le pape ayant consenti que cet argent demeurât en sequestre, le roi défendit à ceux qui en étoient dépositaires d’en rien donner que par ses ordres. On verra dans un moment la suite qu’eut cette affaire, en parlant des décimes levées par Philippe-le-Bel.

Pendant que le saint-siége fut à Avignon, les papes traitant de guerres saintes celles qu’ils avoient contre leurs compétiteurs, tenterent plusieurs fois de lever des décimes en France, mais ce fut le plus souvent sans succès ; ou s’ils en obtinrent quelqu’une, ce fut par la permission du roi.

Ce fut dans cette circonstance que Jean XXII. sollicita long-tems Charles IV. dit le Bel, pour obtenir de lui la permission de lever des décimes en France. Charles-le-Bel après l’avoir plusieurs fois refusée, la lui accorda enfin en 1326 ; mais à condition de partager par moitié le produit de ces décimes.

L’anti-pape, Pierre de Lune, qui prit le nom de Benoît XIII. accorda en 1399, du consentement du roi Charles VI. une décime fort lourde au patriarche d’Alexandrie, pour le rembourser des dépenses qu’il disoit avoir fait pour l’Eglise. Les ecclésiastiques s’y opposerent ; mais les grands du royaume, qui pendant la maladie de Charles VI. avoient tout pouvoir, tinrent la main à cette levée, dont on prétend qu’ils eurent la meilleure part.

Ce même Benoît XIII. imposa en 1405 sur le clergé de France, une décime pour l’union de l’Eglise qui étoit alors agitée par un schisme qui dura près de 50 ans ; mais le parlement de Paris par un arrêt de 1406, défendit à tous les ecclésiastiques & autres de payer aucune subvention au pape, au moyen dequoi cette décime ne fut point levée.

Alexandre V. fit aussi demander au roi par son légat, en 1409, deux décimes sur le clergé pour les nécessités du saint-siége ; à quoi l’université s’opposa au nom de toutes les églises du royaume, & la demande du légat fut rejettée.

La même chose fut encore tentée par Jean XXIII. en 1410, & ce fut pour cette fois sans succès : mais en 1411 il obtint du consentement du roi, des princes, des prélats, & de l’université, un demi-dixieme payable moitié à la Madeleine, moitié à la Pentecôte suivante.

Le concile de Bâle ordonna en 1433 la levée d’un demi-dixieme sur le clergé ; & il y a lieu de croire

que cette levée se fit dans toute la chrétienté, vû que le concile travailloit pour toute l’Eglise.

Calixte III. obtint aussi en 1456 de Charles VII. la permission de lever une décime sur le clergé de France pour la guerre contre les Turcs ; il écrivit au roi le premier Mai de la même année, pour le remercier d’avoir permis cette levée. M. Patru, en son mémoire sur les décimes, croit pourtant que celle-ci n’eut pas lieu.

Mais on trouve une preuve du contraire dans ce qui se passa par rapport à Pie II. car ce pape ayant demandé en 1459 aux ambassadeurs de Charles VII. qu’on lui accordât une nouvelle taxe sur le clergé de France ; les ambassadeurs lui répondirent qu’ils n’avoient point de pouvoir, & que son prédécesseur ayant obtenu depuis peu une pareille levée, on ne lui en accorderoit pas une nouvelle ; & en effet, celle qu’il proposoit n’eut pas lieu.

On trouve encore qu’en 1469, Louis XI. à la recommandation du cardinal Ballüe, permit au pape de lever en France une décime qui montoit à 127 mille livres ; & depuis ce tems, les décimes papales n’ont plus eu lieu en France.

Pour revenir aux décimes royales, on a déja vû que les premieres levées auxquelles on donna le nom de décime, furent faites sur tous les sujets du roi indistinctement.

Pour ce qui est des subventions fournies par le clergé en particulier, quelques-unes furent appellées aides, & non pas décimes, soit parce qu’elles n’étoient pas du dixieme, ou plûtôt parce qu’on ne donnoit alors le nom de décimes qu’aux levées qui se faisoient pour les guerres saintes.

Toutes les décimes & autres subventions payées par les ecclésiastiques, soit pour les guerres saintes, soit pour les autres besoins de l’état, ont toûjours été levées de l’autorité de nos rois, & jusqu’au regne de Charles IX. elles se faisoient sans attendre le consentement du clergé. Il n’y avoit même point encore d’assemblées particulieres du clergé, telles que celles qui se font aujourd’hui pour traiter de ses contributions ; car les conciles & les synodes ayant pour objet les matieres de foi & de discipline ecclésiastique ; si l’on y traitoit quelquefois du temporel de l’église, ce n’étoit que par occasion ; ou si le clergé s’assembloit quelquefois pour délibérer sur les subventions qui lui étoient demandées, une ou deux assemblées consommoient l’affaire ; & ces assemblées n’avoient rien de fixe, ni pour le tems de leur séance, ni pour la forme.

Les premieres décimes ayant été levées pour des croisades ou guerres saintes, les papes, pour étendre leur pouvoir, prirent de-là occasion de donner des bulles pour approuver ces sortes de levées, comme si leur permission ou consentement eût été nécessaire ; ils avoient aussi quelquefois pour but d’obtenir une partie de ces décimes, ou la permission d’en lever quelque autre pour eux.

Nos rois permettoient la publication de ces bulles, tant par respect & par déférence pour le saint siége, que pour engager plus facilement les ecclésiastiques à leur fournir les subventions dont ils avoient besoin ; mais elles étoient toûjours toutes levées de l’autorité du roi & par ses officiers ; il y eut même dès-lors plusieurs occasions où on en leva de la seule autorité du roi sans l’intervention d’aucune bulle des papes, & ceux-ci ont eux-mêmes reconnu solemnellement que nos rois sont en droit de faire de telles levées sur le clergé pour les besoins de l’état, sans la permission du saint siége ; & depuis plus de deux siecles il n’a paru en France aucune bulle des papes pour autoriser les décimes & autres subventions, soit ordinaires ou extraordinaires qui se levent sur le clergé.