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ainsi de suite jusqu’au haut du papier, & on trouvoit toute la premiere ligne du rouleau. 3°. Ensuite on n’avoit qu’à reprendre la seconde ligne d’en-bas, puis la sixieme, la dixieme, la quatorzieme, &c. & ainsi de suite, Tout cela est aisé à voir, en considérant qu’une ligne écrite sur le rouleau, devoit être formée par des lignes partielles également distantes les unes des autres.

Plusieurs auteurs ont écrit sur l’art de déchiffrer : nous n’entrerons point ici dans ce détail immense, qui nous meneroit trop loin ; mais pour l’utilité de nos lecteurs, nous allons donner l’extrait raisonné d’un petit ouvrage de M. S’gravesande sur ce sujet, qui se trouve dans le chap. xxxv. de la seconde partie de son Introductio ad Philosophiam, c’est-à-dire de la Logique ; Leyde, 1737, seconde édition.

M. S’gravesande, après avoir donné les regles générales de la méthode analytique, & de la maniere de faire usage des hypotheses, applique avec beaucoup de clarté ces regles à l’art de déchiffrer, dans lequel elles sont en effet d’un grand usage.

La premiere regle qu’il prescrit, est de faire un catalogue des caracteres qui composent le chiffre, & de marquer combien chacun est répeté de fois. Il avoue que cela n’est pas toûjours utile ; mais il suffit que cela puisse l’être. En effet, si, par exemple, chaque lettre étoit exprimée par un seul chiffre, & que le discours fût en françois, ce catalogue serviroit à trouver 1°. les e par le chiffre qui se trouveroit le plus souvent ; car l’e est la lettre la plus fréquente en françois : 2°. les voyelles par les autres chiffres les plus fréquens : 3°. les t & les q, à cause de la fréquence des & & des qui, que, sur-tout dans un discours un peu long : 4°. les s, à cause de la terminaison de tous les pluriers par cette lettre, &c. & ainsi de suite. Voyez à l’art. Caractere, pag. 658. du tome II. les proportions approchées du nombre des lettres dans le françois, trouvées par l’expérience.

Pour pouvoir déchiffrer, il faut d’abord connoître la langue : Viete, il est vrai, a prétendu pouvoir s’en passer ; mais cela paroît bien difficile, pour ne pas dire impossible.

Il faut que la plûpart des caracteres se trouvent plus d’une fois dans le chiffre, au moins si l’écrit est un peu long, & si une même lettre est désignée par des caracteres différens.

Exemple d’un chiffre en latin :

A B C
a b c d e f g h i k f : l m k g n e k d g e i h e k f : b c e e
D E F G
f i c l a k f c g f g : i n e b h f b h i c e i k f : f m f p i
H I K L
m f h i a b c q i b c b i e i e a c g b f b c g p i g b g r b k
M
d g h i k f : s m k h i s e f m

Les barres, les lettres majuscules A, B, &c. & les : ou comma qu’on voit ici, ne sont pas du chiffre ; M. S’gravesande les a ajoûtés pour un objet qu’on verra plus bas.

Dans ce chiffre on a,

14 f 10 g 5 m 2 n 1 r
14 i 9 c 4 a 2 p 1 s
12 b 8 h 3 d 1 o 1 t
11 e 8 k 2 l 1 q

Ainsi il y a en tout dix-neuf caracteres, dont cinq seulement une fois.

Maintenant je vois d’abord que ghikf se trouve en deux endroits, B, M ; que ikf se trouve encore

en F ; enfin que hekf (C), & hikf (B, M), ont du rapport entr’eux.

D’où je conclus qu’il est probable que ce sont-là des fins de mots, ce que j’indique par les : ou comma.

Dans le latin il est ordinaire de trouver des mots où des quatre dernieres lettres les seules antepénultiemes different, lesquels en ce cas sont ordinairement des voyelles, comme dans amant, legunt, docent, &c. donc i, e sont probablement des voyelles.

Puisque fmf (voyez G) est le commencement d’un mot : donc m ou s est voyelle ; car un mot n’a jamais trois consonnes de suite, dont deux soient le même : & il est probable que c’est f, parcc que f se trouve quatorze fois, & m seulement cinq : donc m est consonne.

De-là allant à K ou gbfbcbg, on voit que puisque f est voyelle, b sera consonne dans bfb, par les mêmes raisons que ci-dessus : donc c sera voyelle à cause de bcb.

Dans L ou g b g r b, b est consonne ; r sera consonne, parce qu’il n’y a qu’une r dans tout l’écrit : donc g est voyelle.

Dans D ou fcgfg, il y auroit donc un mot ou une partie de mot de cinq voyelles ; mais cela ne se peut pas, il n’y a point de mot en latin de cette espece : donc on s’est trompé en prenant f, c, g, pour voyelles : donc ce n’est pas f, mais m qui est voyelle & f consonne : donc b est voyelle, (voyez K). Dans cet endroit K, on a la voyelle b trois fois, séparée seulement par une lettre ; or on trouve dans le latin des mots analogues à cela, edere, legere, emere, amara, si tibi, &c. & comme c’est la voyelle e qui est le plus fréquemment dans ce cas, j’en conclus que b est e probablement, & que c est probablement r.

J’écris donc I, ou , & je sais que i, e, sont des voyelles, comme on l’a trouvé déjà ; or cela ne peut être ici, à moins qu’ils ne représentent en même tems les consonnes j ou v. En mettant v on trouve revivi : donc i est v : donc v est i.

J’écris ensuite , & je lis uterque revivit, les lettres manquantes étant faciles à suppléer. Donc a est t, & q est q.

Ensuite dans EF, ou , je lis aisément esuriunt : donc h est s, k est n, & f est t. Mais on a vû ci-dessus que a est t : lequel est le plus probable ? La probabilité est pour f ; car f se trouve plus souvent que a, & t est très-fréquent dans le latin : donc il faudra chercher de nouveau a & q, qu’on a crû trouver ci-dessus.

On a vû que m est voyelle, & on a déja trouvé e, i, u : donc m est a ou o : donc dans G, H on a

t o t
   Ou    t a t
s m f
   P   
u o t s u
u a t s u
i m f h u

Il est aisé de voir que c’est le premier qu’il faut choisir, & qu’on doit écrire tot quot sunt : donc m est o, & p est q. De plus, à l’endroit où nous avions lû mal-à-propos t.terque revivit, on aura tot quot su er uere vivi ; & on voit que le mot tronqué est superfuere : donc a est p, & q est t.

Les premieres lettres du chiffre donneront donc per it sunt ; d’où l’on voit qu’il faut lire perdita sunt : donc d est d, & g est a.

On aura par ce moyen presque toutes les lettres du chiffre ; il sera facile de suppléer celles qui manquent, de corriger même les fautes qui se sont glissées en quelques endroits du chiffre, & l’on lira, Perdita sunt bona : Mindarus interiit : Urbs strati humi est : Esuriunt tot quot superfuere vivi : Praterea quæ agenda sunt consulito.

Dans les lettres de Wallis, tome III. de ses ouvra-