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tions en ordre, à donner des éditions des anciens, comme les Bollandistes, les Bénédictins, & entre autres le P. Mabillon, M. Baluze, Grævius, Gronovius, &c. 4°. Ceux qui ont fait des traités historiques & philologiques des plus célebres bibliotheques, tels que Juste Lipse, Gallois, &c. 5°. Ceux qui ont composé des bibliotheques ou catalogues raisonnés d’auteurs, soit ecclésiastiques, soit profanes, comme M. Dupin, &c. 6°. Les commentateurs ou scholiastes des auteurs anciens, comme Dacier, Bentley, le P. Jouvenci ; tous les auteurs dont on a recueilli les notes sous le titre de variorum, & ceux qui sont connus sous celui de critiques dauphins. Enfin, dit M. Baillet, on comprend sous le nom de critiques, tous les auteurs qui ont écrit de la Philologie, sous les titres extraordinaires & bisarres de diverses leçons, leçons antiques, leçons nouvelles, leçons suspectes, leçons mémorables ; mélanges, nommés par les uns symmictes, par les autres miscellanées ; cinnes, schediasmes ou cahiers, adversaires ou recueils, collectanées, philocalies, observations ou remarques, animadversions ou corrections, scholies ou notes, commentaires, expositions, soupçons, conjectures, conjectanées, lieux communs, éclogues ou électes, extraits ou florides, parergues, vraissemblables, novantiques, saturnales, sémestres, nuits, veilles, journées, heures subcesives ou successives, précidanées, succidanées, centurionats : en un mot, ajoûte-t-il, tous ceux qui ont écrit des Belles-lettres, qui ont travaillé sur les anciens auteurs pour les examiner, les corriger, les expliquer, les mettre au jour ; ceux qui ont embrassé cette Littérature universelle qui s’étend sur toutes sortes de sciences & d’auteurs, & qui faisoit anciennement la principale & la plus belle partie de la Grammaire, avant que les mauvais grammairiens l’eussent obligée de changer son nom en celui de Philologie, qui embrasse bien les principales parties de la Littérature & quelques-unes des sciences, mais qui regardant essentiellement les mots de chacune, n’en traite les choses que rarement & par accident : tels ont été chez les anciens Varron, Athénée, Macrobe, &c. & parmi les modernes les deux Scaliger, Lambin, Turnebe, Casaubon, MM. Pithou, Saumaise, les PP. Sirmond & Pétau, Bayle, &c. On peut encore ajoûter aux critiques ceux qui ont écrit contre certains ouvrages. Voyez Philologie, & sur-tout l’article suivant Critique. (G)

Critique, Censure, (Synonymes.) Critique s’applique aux ouvrages littéraires ; censure aux ouvrages théologiques, ou aux propositions de doctrine, ou aux mœurs. Voyez Censure. (O)

Critique, s. f. (Belles-lettres.) On peut la considérer sous deux points de vûe généraux : l’une est ce genre d’étude à laquelle nous devons la restitution de la Littérature ancienne. Pour juger de l’importance de ce travail, il suffit de se peindre le cahos où les premiers commentateurs ont trouvé les ouvrages les plus précieux de l’antiquité. De la part des copistes, des caracteres, des mots, des passages altérés, défigurés, obmis ou transposés dans les divers manuscrits : de la part des auteurs, l’allusion, l’ellipse, l’allégorie, en un mot, toutes ces finesses de langue & de style qui supposent un lecteur à demi instruit ; quelle confusion à démêler dans un tems où la révolution des siecles & le changement des mœurs sembloient avoir coupé toute communication aux idées !

Les restituteurs de la Littérature ancienne n’avoient qu’une voie, encore très-incertaine ; c’étoit de rendre les auteurs intelligibles l’un par l’autre, & à l’aide des monumens. Mais pour nous transmettre cet or antique, il a fallu périr dans les mines. Avoüons-le, nous traitons cette espece de critique avec trop de mépris, & ceux qui l’ont exercée si

laborieusement pour eux & si utilement pour nous, avec trop d’ingratitude. Enrichis de leurs veilles, nous faisons gloire de posséder ce que nous voulons qu’ils ayent acquis sans gloire. Il est vrai que le mérite d’une profession étant en raison de son utilité & de sa difficulté combinées, celle d’érudit a dû perdre de sa considération à mesure qu’elle est devenue plus facile & moins importante ; mais il y auroit de l’injustice à juger de ce qu’elle a été par ce qu’elle est. Les premiers laboureurs ont été mis au rang des dieux avec bien plus de raison que ceux d’aujourd’hui ne sont mis au-dessous des autres hommes. Voy. Manuscrit, Erudition, Texte.

Cette partie de la critique comprendroit encore la vérification des calculs chronologiques, si ces calculs pouvoient se vérifier ; mais le peu de fruit qu’ont retiré de ce travail les sçavans illustres qui s’y sont exercés, prouve qu’il seroit desormais aussi inutile que pénible de revenir sur leurs recherches. Il faut savoir ignorer ce qu’on ne peut connoître ; or il est vraissemblable que ce qui n’est pas connu dans l’histoire des tems, ne le sera jamais, & l’esprit humain y perdra peu de chose. Voyez Chronologie.

Le second point de vûe de la critique, est de la considérer comme un examen éclairé & un jugement équitable des productions humaines. Toutes les productions humaines peuvent être comprises sous trois chefs principaux ; les Sciences, les Arts libéraux, & les Arts méchaniques : sujet immense que nous n’avons pas la témérité de vouloir approfondir, sur-tout dans les bornes d’un article. Nous nous contenterons d’établir quelques principes généraux que tout homme capable de sentiment & de réflexion est en état de concevoir ; & s’il en est qui manquent de justesse ou de clarté, à quelque sévere examen que nous ayons pû le soûmettre, le lecteur trouvera dans les articles relatifs auxquels nous aurons soin de le renvoyer, de quoi rectifier ou développer nos idées.

Critique dans les Sciences. Les sciences se réduisent à trois points : à la démonstration des vérités anciennes, à l’ordre de leur exposition, à la découverte des nouvelles vérités.

Les vérités anciennes sont ou de fait ou de spéculation. Les faits sont ou moraux ou physiques. Les faits moraux composent l’histoire des hommes, dans laquelle souvent il se mêle du physique, mais toûjours relativement au moral.

Comme l’histoire sainte est révelée, il seroit impie de la soûmettre à l’examen de la raison ; mais il est une maniere de la discuter pour le triomphe même de la foi. Comparer les textes, & les concilier entr’eux ; rapprocher les évenemens des prophéties qui les annoncent ; faire prévaloir l’évidence morale à l’impossibilité physique ; vaincre la répugnance de la raison par l’ascendant des témoignages ; prendre la tradition dans sa source, pour la présenter dans toute sa force ; exclure enfin du nombre des preuves de la vérité tout argument vague, foible ou non concluant, espece d’armes communes à toutes les religions, que le faux zele employe & dont l’impiété se joüe : tel seroit l’emploi du critique dans cette partie. Plusieurs l’ont entrepris avec autant de succès que de zele, parmi lesquels Pascal doit occuper la premiere place, pour la céder à celui qui exécutera ce qu’il n’a fait que méditer.

Dans l’histoire profane, donner plus ou moins d’autorité aux faits, suivant leur degré de possibilité, de vraissemblance, de célébrité, & suivant le poids des témoignages qui les confirment : examiner le caractere & la situation des historiens ; s’ils ont été libres de dire la vérité, à portée de la connoître, en état de l’approfondir, sans intérêt de la déguiser :