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lecteur comme la nature le feroit. Tel est l’objet de l’observateur, tel est le talent rare qu’il doit posséder ; talent bien différent de celui du simple praticien, qui n’a que des idées passageres qu’il ne peut pas rendre, & qui se renouvellent au besoin, mais que le besoin seul fait reparoître, & non la réflexion.

Il est donc évident que l’examen de la doctrine des crises regarde plus particulierement les medecins au-dessus du commun ; ceux qui se contenteroient de suivre leurs idées leurs systèmes, & non la nature, ne pourroient que former d’inutiles ou de dangereux romans, fort éloignés du but qu’on doit se proposer. Les observateurs même qui se réduisent à ramasser des faits, sans avoir assez de génie pour distinguer les bons d’avec les mauvais, & pour les lier les uns aux autres, n’en approcheroient pas de plus près. Enfin les praticiens les plus répandus n’ont pas assez de tems à eux ; & il est rare, outre ce que nous en avons dit ci-dessus, qu’ils puissent être atteints, lorsque leur réputation est déjà établie, de la passion de faire des réformes générales dans l’Art. Il faudroit que des observateurs suivissent exactement ces praticiens, & fissent un recueil exact de leurs différentes manœuvres, ainsi que les poëtes & les historiens le faisoient autrefois des belles actions des héros.

Quant aux medecins qui sont faits pour enseigner dans les écoles, ils ne sont que trop souvent obligés de s’attacher à un système qui leur vaut toute leur considération. C’est de cette sorte de medecins, très respectables & très-utiles sans doute, qu’on peut dire avec Hippocrate, unusquisque suæ orationi testimonia & conjecturas addit… vincitque hic, modo ille, modo iste, cui potissimum lingua volubilis ad populum contigerit : « Chacun cherche à s’appuyer de conjectures & d’autorités… l’un terrasse aujourd’hui son adversaire, & il vient à en être terrassé à son tour ; le plus fort est communément celui dont le peuple trouve la langue la mieux pendue ». Ce sont les malheurs de l’état de professeur, qui a bien des avantages d’ailleurs.

En un mot, il est nécessaire pour terminer la question des crises, ou pour l’éclaircir, d’être libre, & initié dans cette sorte de Medecine philosophique ou transcendante, à laquelle il n’est peut-être pas bon que tous les medecins populaires, je veux dire cliniques, s’attachent. En effet on pourroit demander si ces medecins populaires ne sont pas faits la plûpart pour copier seulement, ou pour imiter les grands maîtres de l’Art. N’y auroit-il pas à craindre que ces esprits copistes ou imitateurs, qui sont peut-être les plus sages & les meilleurs pour la pratique journaliere de la Medecine, ne tombassent dans le pyrrhonisme, si on leur laissoit prendre un certain essor ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on doit chercher parmi eux ce que j’appellerois les témoins des faits particuliers en Medecine ; & il semble qu’il convienne qu’ils soient assujettis à des regles déterminées, tant pour leur propre tranquillité, que pour la sûreté des malades : Sint in memoria tibi morborum curationes & horum modi, & quomodo in singulis se habeant ; hoc enim principium est in Medicina, & medium & finis : « Le commencement, le milieu & la fin de la Medecine, sont de bien savoir le traitement des maladies, & leur histoire ». Voilà ce qu’Hippocrate exigeoit de ses disciples. De decenti ornat.

Voilà ce qui regarde les medecins ordinaires, voüés à des travaux qui intéressent journellement la société, & dont les services sont d’autant plus précieux qu’ils sont plus réitérés, & qu’ils ne peuvent souffrir aucune sorte de distraction de la part du praticien.

Il y a des questions qui sont réservées pour les législateurs de l’art ; telle est la doctrine des crises. J’ap-

pelle un législateur de l’art, le medecin philosophe qui a commencé par être témoin, qui de praticien est devenu grand observateur, & qui franchissant les bornes ordinaires, s’est élevé au-dessus même de son état. Ouvrez les fastes de la Medecine, comptez ses législateurs. Voyez Medecin & Medecine.

Cet article a été fourni par M. de Bordeu docteur de la faculté de Montpellier, & medecin de Paris.

CRISTAL, voyez Crystal.

* CRISTE ou CRÊTE MARINE, s. f. (Botan.) Ses feuilles sont étroites, mais plus larges & plus courtes que celles du fenouil ; charnues, subdivisées trois à trois, & salées. Sa tige est cannelée, & verte comme un porreau ; elle a les fleurs jaunes, & ramassées en parasol. Sa graine ressemble à celle du fenouil, elle est seulement plus grande. Le goût en est agréable, piquant & aromatique. C’est une espece de pourpier de mer : le verd de sa tige va s’éclaircissant à mesure qu’elle croît. Elle meurt tous les ans au commencement de l’hyver, & renaît au printems vers le commencement de Juillet. Les riverains la cueillent & la vendent pour être salée & servir aux salades d’hyver. Il faut la saler avec un vinaigre foible & un peu de sel. Lorsqu’elle a resté environ un mois dans cette premiere saumure, on la transvase, soit dans des barrils ou des pots de terre, où l’on met de nouveau vinaigre plus fort. Le vinaigre blanc de la Rochelle est celui qui y convient le mieux. On ajoûte au sel du gros poivre, des clous de gerofle, quelques feuilles de laurier, & même un peu d’écorce de citron.

La créte marine croît au bord des marais, & sur les bancs de terre que la marée couvre journellement ; celle-ci est la plus tendre & la meilleure : celle que l’eau de mer mouille plus rarement, est seche & dure : des femmes, des filles & des enfans en font ordinairement la cueillette, qu’ils portent par sacs & paniers dans les villes voisines : il n’en croît pas sur les sables purs. Cette cueillette est libre & permise à tout le monde.

CRITHOMANCE, s. s. (Divinat. & Hist. anc.) espece de divination, qui consistoit à considérer la pâte ou la matiere des gâteaux qu’on offroit en sacrifice, & la farine qu’on répandoit sur les victimes qu’on devoit égorger.

Comme on se servoit souvent de farine d’orge dans ces cérémonies superstitieuses, on a appellé cette sorte de divination crithomance, de κριθὴ, orge, & μαντεία, divination. Dict. de Trév. & Chambers.

Cette superstition a été pratiquée dans le Christianisme même, par de vieilles femmes qui se tenoient autrefois dans les églises auprès des images des saints, & qu’on nommoit pour cela κρίτριαι, au rapport de Théodore Balsamon cité par Delrio, lib. IV. cap. ij. quæst. 7. sect. 1. pag. 553. Voyez Alphitomancie. (G)

CRITIQUE, s. m. (Belles-lett.) auteur qui s’adonne à la critique. On comprend sous ce nom divers genres d’écrivains dont les travaux & les recherches embrassent diverses parties de la Littérature, tels 1° que ceux qui se sont appliqués à rassembler & à faire le dénombrement des ouvrages de chaque auteur ; à en faire le discernement, afin de ne point attribuer à l’un ce qui appartient à l’autre ; à juger de leur style & de leur maniere d’écrire ; à apprendre le succès qu’ils ont eu dans le monde, & le fruit qu’on doit tirer de leurs écrits. Tels ont été Photius, Erasme, le P. Rapin, M. Huet, M. Baillet, &c. 2°. Ceux qui par des dissertations particulieres ont éclairci des points obscurs de l’histoire ancienne ou moderne, tels que Meursius, Ducange, M. de Launoy, & la plûpart de nos savans de l’académie des Belles-lettres. 3°. Ceux qui se sont occupés à recueillir d’anciens manuscrits, à mettre ces collec-