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commerce, ou une augmentation sur sa perte. Ces deux inconvéniens fournissent trois observations, dont j’ai déjà avancé une partie comme des principes ; mais leur importance en autorise la répétition.

1°. Tout ce qui tend à diminuer quelque espece de sûreté dans un corps politique, détruit au moins pour un tems assez long le crédit général, & dès-lors la circulation des denrées, ou en d’autres termes la subsistance du peuple, les revenus publics & particuliers.

2°. Si une nation avoit la sagesse d’envisager de sang-froid le déclin d’une grande somme de crédit, & de se prêter aux expédiens qui peuvent en arrêter la ruine totale, elle rendroit son malheur presque insensible. Alors si les opérations sont bonnes, ou si l’excès des choses n’interdit pas toute bonne opération, ce premier pas conduira par degrés au rétablissement de la portion de crédit qu’il sera possible de conserver.

3°. Le gouvernement qui veille aux sûretés intérieures & extérieures de la société, a un double motif de soûtenir, soit par les lois, soit par des secours prompts & efficaces, les grands dépôts de la confiance publique. Plus l’intérêt de l’argent sera haut dans l’état, plus il est important de prévenir les inégalités dans la marche du crédit.

Crédit public, deuxieme branche. Le crédit de l’état, ou la deuxieme branche du crédit public, a en général les mêmes sources que celui des particuliers & des compagnies ; c’est-à-dire les sûretés réelles de l’état même, & les sûretés personnelles de la part de ceux qui gouvernent.

Mais ce seroit se tromper grossierement que d’évaluer les sûretés réelles sur le pié du capital général d’une nation, comme on le fait à l’égard des particuliers. Ces calculs poussés jusqu’à l’excès par quelques écrivains Anglois, ne sont propres qu’à repaître des imaginations oisives, & peuvent introduire des principes vicieux dans une nation.

Les sûretés réelles d’une nation, sont la somme des tributs qu’elle peut lever sur le peuple, sans nuire à l’agriculture ni au commerce ; car autrement l’abus de l’impôt le détruiroit, le desordre seroit prochain.

Si les impôts sont suffisans pour payer les intérêts des obligations ; pour satisfaire aux dépenses courantes, soit intérieures, soit extérieures ; pour amortir chaque année une partie considérable des dettes : enfin si la grandeur des tributs laisse encore entrevoir des ressources en cas qu’un nouveau besoin prévienne la libération totale, on peut dire que la sûreté réelle existe.

Pour en déterminer le degré précis, il faudroit connoître la nature des besoins qui peuvent survenir, leur éloignement ou leur proximité, leur durée probable ; ensuite les comparer dans toutes leurs circonstances avec les ressources probables que promettroient la liquidation commencée, le crédit général, & l’aisance de la nation.

Si la sûreté n’est pas claire aux yeux de tous, le crédit de l’état pourra se soûtenir par habileté jusqu’au moment d’un grand besoin. Mais alors ce besoin ne sera point satisfait, ou ne le sera que par des ressources très-ruineuses. La confiance cessera à l’égard des anciens engagemens ; elle cessera entre les particuliers d’après les principes établis ci-dessus. Le fruit de ce desordre sera une grande inaction dans la circulation des denrées : développons-en les effets.

Le capital en terres diminuera avec leur produit ; les malheurs communs ne réunissent que ceux dont les espérances sont communes : ainsi il est à présumer que les capitaux en argent & meubles précieux seront mis en dépôt dans d’autres pays, ou cachés soigneusement ; l’industrie effrayée & sans emploi

ira porter son capital dans d’autres asyles. Que deviendront alors tous les systèmes fondés sur l’immensité d’un capital national ?

Les sûretés personnelles dans ceux qui gouvernent peuvent se réduire à l’exactitude ; car le degré d’utilité que l’état retire de son crédit, l’habileté, la prudence, & l’œconomie des ministres, conduisent toutes à l’exactitude dans les petits objets comme dans les plus grands. Ce dernier point agit si puissamment sur l’opinion des hommes, qu’il peut dans de grandes occasions suppléer aux sûretés réelles, & que sans lui les sûretés réelles ne font pas leur effet. Telle est son importance, que l’on a vû quelquefois des opérations contraires en elles-mêmes aux principes du crédit, suspendre sa chûte totale lorsqu’elles étoient entreprises dans des vûes d’exactitude. Je n’entens point cependant faire l’éloge de ces sortes d’opérations toûjours dangereuses si elles ne sont décisives ; & qui, réservées a des tems de calamité, ne cessent d’être des fautes que dans le cas d’une impossibilité absolue de se les épargner ; c’est proprement abattre une partie d’un grand édifice, pour soustraire l’autre aux ravages des flammes : mais il faut une grande supériorité de vûes pour se déterminer à de pareils sacrifices, & savoir maîtriser l’opinion des hommes. Ces circonstances forcées sont une suite nécessaire de l’abus du crédit public.

Après avoir expliqué les motifs de la confiance publique envers l’état, & indiqué ses bornes naturelles, il est important de connoître l’effet des dettes publiques en elles-mêmes.

Indépendamment de la différence que nous avons remarquée dans la maniere d’évaluer les sûretés réelles d’un état & des particuliers, il est encore entre ces crédits d’autres grandes différences.

Lorsque les particuliers contractent une dette, ils ont deux avantages : l’un de pouvoir borner leur dépense personnelle jusqu’à ce qu’ils se soient acquittés ; le second, de pouvoir tirer de l’emprunt une utilité plus grande que l’intérêt qu’ils sont obligés de payer.

Un état augmente sa dépense annuelle en contractant des dettes, sans être le maître de diminuer les dépenses nécessaires à son maintien ; parce qu’il est toûjours dans une position forcée relativement à sa sûreté extérieure. Il n’emprunte jamais que pour dépenser ; ainsi l’utilité qu’il retire de ses engagemens, ne peut accroître les sûretés qu’il offre à ses créanciers : au moins ces occasions sont très-rares, & ne peuvent être comprises dans ce qu’on appelle dettes publiques. On ne doit point confondre non plus avec elles, ces emprunts momentanés qui sont faits dans le dessein de prolonger le terme des recouvremens, & de les faciliter : ces sortes d’œconomies rentrent dans la classe des sûretés personnelles ; elles augmentent les motifs de la confiance publique. Mais observons en passant que jamais ces opérations ne sont si promtes, si peu coûteuses, & n’ont moins besoin de crédits intermédiaires, que lorsqu’on voir les revenus se libérer.

C’est donc uniquement des aliénations dont il s’agit ici.

Dans ce cas, un corps politique ne pouvant faire qu’un usage onéreux de son crédit, tandis que celui des particuliers leur est utile en général, il est facile d’établir entre eux une nouvelle différence. Elle consiste en ce que l’usage que l’état fait de son crédit peut nuire à celui des sujets ; au lieu que jamais le crédit multiplié des sujets ne peut qu’être utile à celui de l’état.

L’usage que l’état fait de son crédit, peut porter préjudice aux sujets de plusieurs manieres.

1°. Par la pesanteur des charges qu’il accumule ou qu’il perpétue ; d’où il est évident de conclure