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çois que je marche en vertu d’un acte de ma volonté, aussi la matiere doit-elle exister par une opération de cette volonté toute-puissante ? Un être qui a toutes les perfections, doit nécessairement avoir celle de faire & de produire tout ce qu’il veut.

Le fameux axiome, rien ne se fait de rien, est vrai en un certain sens ; mais il est entierement faux dans celui auquel les Athées le prennent. Voici les trois sens dans lesquels il est vrai. 1°. Rien ne peut sortir de soi même du néant, sans une cause efficiente. De ce principe découle cette vérité, que tout ce qui existe n’a pas été fait, mais qu’il y a quelque chose qui existe nécessairement & par soi-même : car si tout avoit été fait, il faudroit nécessairement que quelqu’être se fût fait, ou fût sorti de lui-même du néant. 2°. Rien ne peut être produit du néant par une cause efficiente, qui ne soit pour le moins aussi parfait que son effet, & qui n’ait la force d’agir & de produire. 3°. Rien de ce qui est produit d’une matiere préexistente, ne peut avoir aucune entité réelle qui ne fût contenue dans cette matiere ; de sorte que toutes les générations ne sont que des mélanges, ou de nouvelles modifications d’êtres qui étoient déjà. Ce sont les sens dans lesquels il est impossible que rien se fasse de rien, & qui peuvent être réduits à cette maxime générale, que le néant ne peut être ni la cause efficiente, ni la cause matérielle de rien. C’est-là une vérité incontestable, mais qui, bien-loin d’être contraire à la création ou à l’existence de Dieu, sert à les prouver d’une maniere invincible.

En effet, s’il étoit vrai en général qu’aucun être ne peut commencer à exister, il ne pourroit y avoir aucune cause qui fît quoi que ce soit : il n’y auroit point d’action ni de mouvement dans le monde corporel, & par conséquent aucune génération ni aucun changement. Or nous portons en nous-mêmes l’expérience du contraire, puisque nous avons le pouvoir de produire de nouvelles pensées dans notre ame, de nouveaux mouvemens dans notre corps, & des modifications dans les corps qui sont hors de nous. Il est vrai que les Athées restreignent leur assertion aux substances, & disent qu’encore qu’il puisse y avoir de nouveaux accidens, il ne se peut pas faire néanmoins qu’il y ait de nouvelles substances ; mais dans le fond ils ne peuvent rendre aucune raison solide pourquoi l’un est plus impossible que l’autre, ou pourquoi il ne peut y avoir aucun être qui fasse de nouvelles substances. Ce qui produit ce préjugé, ce sont les idées confuses que l’on emprunte de la production des choses artificielles, où tout se fait d’une matiere préexistante, à laquelle on donne seulement de nouvelles modifications. Nous nous persuadons mal-à-propos qu’il en est des productions d’un Etre infini, comme des nôtres ; nous en concluons qu’il n’y a aucune puissance dans l’univers qui puisse faire ce qui nous est impossible, comme si nous étions la mesure de tous les êtres : mais puisqu’il est certain que les êtres imparfaits peuvent eux-mêmes produire quelque chose, comme de nouvelles pensées, de nouveaux mouvemens & de nouvelles modifications dans les corps, il est raisonnable de croire que l’Etre souverainement parfait va plus loin, & qu’il peut produire des substances. On a même lieu de croire qu’il est aussi aisé à Dieu de faire un monde entier, qu’à nous de remuer le doigt : car dire qu’une substance commence à exister par la puissance de Dieu, ce n’est pas tirer une chose du néant dans les sens que nous avons ci-dessus reconnus pour impossibles. Il est vrai que la puissance infinie ne s’étend pas à ce qui implique contradiction ; mais c’est ici précisément où les adversaires de la création sont défiés de prouver qu’encore qu’il ne soit pas impossible de tirer du néant un accident ou

une modification, il est absolument impossible de créer une substance : c’est ce qu’ils ne démontreront jamais.

2°. Si rien ne peut être tiré du néant dans le sens que nous soûtenons, il faut que toutes les substances de l’univers existent non-seulement de toute éternité, mais même nécessairement & indépendamment de toute cause ; or on peut dire que c’est-là effectivement faire sortir quelque chose du néant, dans le sens naturel auquel cela est impossible, c’est-à-dire faire le néant la cause de quelque chose : car, comme lorsque les Athées assûrent que rien ne se peut mouvoir soi-même, & qu’ils supposent en même tems que le mouvement a été de toute éternité, c’est-là tirer le mouvement du néant dans le sens auquel cela est impossible ; de même ceux qui font les substances existantes par elles-mêmes, sans que l’existence nécessaire soit renfermée dans leur nature, tirent du néant l’existence des substances.

3°. Si toutes les substances étoient éternelles, ce ne seroit pas seulement la matiere ou les atomes destitués de qualités, qui existeroient par eux-mêmes de toute éternité, ce seroit aussi les ames. Il n’y a point d’homme tant soit peu raisonnable, qui puisse s’imaginer que lui-même, ou ce qui pense en lui, n’est pas un être réel, pendant qu’il voit que le moindre grain de poudre emporté par le vent, en est un. Il est visible aussi que l’ame ne peut pas naître de la matiere destituée de sentiment & de vie, & qu’elle ne sauroit en être une modification. Ainsi si aucune substance ne peut être tirée du néant, il faut que toutes les ames humaines, aussi-bien que la matiere & les atomes, ayent existé non-seulement de toute éternité, mais encore indépendamment de tout autre être. Mais les Athées sont si éloignés de croire l’éternité de l’ame humaine, qu’ils ne veulent en aucune maniere admettre son immortalité ; s’ils avoüoient qu’il y eût des êtres intelligens immortels, ils seroient en danger d’être obligés de reconnoître une Divinité.

4°. La matiere n’est pas coéternelle avec Dieu, d’où il s’ensuit qu’elle a été créée : en voici la preuve. Ou la matiere est infinie dans son étendue, ensorte qu’il n’y ait aucun espace qui n’en soit absolument pénétré ; ou elle est bornée dans son étendue, de façon qu’elle ne remplisse pas toutes les parties de l’espace : or soit qu’elle soit finie, soit qu’elle soit infinie dans son étendue, elle n’existe pas nécessairement. 1°. Si elle est finie, dès-là elle est contingente : pourquoi ? parce que si un être existe nécessairement, on ne peut pas plus concevoir sa non-existence, qu’il n’est possible de concevoir un cercle sans sa rondeur, l’existence actuelle n’étant pas moins essentielle à l’être qui existe nécessairement, que la rondeur l’est au cercle. Or si la matiere est finie, & qu’elle ne remplisse pas tous les espaces, dès-lors on conçoit sa non-existence. Si on peut la concevoir absente de quelques parties de l’espace, on pourra supposer la même chose pour toutes les parties de l’espace ; il n’y a point de raison pour qu’elle existe dans une partie de l’espace plûtôt que dans toute autre : donc si elle n’existe pas nécessairement dans toutes les parties de l’espace, elle n’existera nécessairement dans aucune ; & par conséquent si la matiere est finie, elle ne sauroit exister nécessairement. Il reste donc à dire que l’éternité ne peut convenir à la matiere qu’autant qu’elle est infinie, & qu’elle remplit toutes les parties de l’espace, de sorte que le plus petit vuide soit impossible : or je soûtiens que la matiere considérée sous ce dernier aspect, ne peut exister nécessairement. Voici sur quoi je me fonde. La matiere qui compose le monde, doit être susceptible de mouvement, puisque le mouvement est l’ame & le ressort de ce vaste univers : or