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connues des corps électriques & non électriques par eux-mêmes, on pouvoit satisfaire aux trois premieres questions que nous nous étions proposées, nous tâcherons de montrer de même par rapport à la quatrieme, &c. la plus intéressante sur l’étendue du circuit ou cercle faisant la communication de la surface extérieure de la bouteille avec le conducteur, que si cette étendue va beaucoup au-delà de ce que l’on pourroit croire d’abord, ce n’est encore qu’une suite de ces mêmes propriétés.

Nous avons dit qu’en même tems que l’on tire l’étincelle du conducteur, ou ce qui revient au même, du crochet de la bouteille, elle pompe le fluide électrique des corps qui la touchent, ces deux effets étant instantanés, ils doivent donc se faire sentir dans le même tems aux deux extrémités de la chaîne quelle que soit son étendue ; c’est-à-dire qu’en la supposant formée par plusieurs personnes se tenant toutes par la main, & dont la premiere tienne la bouteille, & la derniere tire l’étincelle, elles ressentiront l’une & l’autre une secousse en même tems, l’une dans la partie qui tient la bouteille, & l’autre dans celle qui tire l’étincelle, soit que le nombre des personnes entre deux soit grand ou petit. Or comme on a vû que lorsqu’une personne tire une étincelle en pressant legerement la main d’une autre, elles ressentent l’une & l’autre une douleur dans l’endroit où elles se touchent, produite par l’électricité qui passe de la premiere à la seconde, &c. lors donc que la derniere personne de la chaîne tire l’étincelle, dans l’instant même le fluide électrique qu’elle a acquis, passe dans la personne dont elle tient la main : il en est de même de celle-ci à la troisieme, jusqu’à celle qui tient la bouteille ; de même celle-ci tire du fluide électrique de celle qui la touche, celle-ci de la troisieme, &c. jusqu’à celle qui tire l’étincelle. Ce double effet doit donc se faire sentir dans un instant d’un bout à l’autre de la chaîne ; les personnes qui la composent doivent donc être toutes frappées, & en même tems quel que soit leur nombre. Ainsi l’on voit que par la nature des choses cet effet semble devoir se transmettre à des distances infinies, & instantanément tant que la continuité n’est pas interrompue.

M. l’abbé Nolet est le premier qui ait pensé à faire faire cette expérience à plusieurs personnes tout-à-la-fois ; dans sa nouveauté, il la fit, le Roi étant présent, dans la grande galerie de Versailles, avec 240 personnes auxquels se joignirent tous les seigneurs qui vinrent avec sa Majesté. Comme cette expérience est du genre des choses, ainsi que nous l’avons dit au commencement de cet article, dont on ne peut avoir d’idée qu’autant qu’on les éprouve soi-même, peu de tems après le Roi curieux de savoir ce qui en étoit par lui-même, vint dans le cabinet des médailles où étoient les instrumens de cet académicien, & là fit l’expérience plusieurs fois avec des personnes de sa cour. Quelque tems après M. le Monnier le medecin la fit dans le clos des Chartreux, en faisant partie d’un cercle formé par deux fils-de-fer chacun de 95 toises de long ; & il remarqua qu’elle étoit instantanée. M. Watson & quelques membres de la société royale de Londres, ont fait aussi des expériences très-curieuses à ce sujet, qui seroient trop longues à rapporter, mais par lesquelles il paroît que l’étendue du cercle électrique ayant quatre milles, l’expérience a encore parfaitement réussi, & s’est fait sentir instantanément dans tous les points de cette vaste étendue. Ce qu’il y a de plus singulier dans cette expérience, c’est que quoiqu’à dessein ils eussent interrompu la chaîne pendant l’espace de deux milles, ensorte que la commotion ne pouvoit se transmettre de l’observateur qui étoit à l’extrémité d’un fil-de-fer à un autre observateur qui

en étoit éloigné de deux milles, que par le terrein, cela n’empêcha pas, comme nous venons de le dire, l’expérience de réussir. Enfin les expériences du même genre que fit en 1749 M. Jallabert, sont trop singulieres pour que je ne les rapporte pas ici. M. l’abbé Nolet en fait mention dans ses lettres, page 202. « J’avois établi (c’est M. Jallabert qui parle) une machine électrique dans une galerie située sur le Rhone, deux cents cinquante piés environ au-dessous de notre machine hydraulique : un matras destiné aux expériences de la commotion, fut suspendu à une barre de fer électrisée immédiatement par un globe de verre, & du culot de ce matras pendoit un fil-de-fer, qui plongeoit dans le Rhone de la profondeur de quelques lignes : des fils de fer attachés à la barre, & soûtenus par des cordons de soie, venoient aboutir auprès de quelques fontaines publiques. Le globe étant frotté, on tiroit de ces fils-de-fer, en approchant la main, des étincelles qui causoient la sensation d’une legere piquûre ; mais si quelqu’un communiquant d’une main à l’eau de quelqu’une des fontaines, présentoit l’autre au fil-de-fer qui y aboutissoit, il éprouvoit une forte commotion, &c. » Il est à remarquer que les eaux qu’éleve cette machine hydraulique, sont portées dans un réservoir à plus de mille quatre cents piés de cette machine, élevé de 131 piés sur le niveau du Rhone, & que de ce réservoir elles se distribuent dans les différens quartiers de la ville.

Nous avons considéré dans tout cet article l’expérience du coup foudroyant d’après la plûpart de ceux qui en ont écrit, sous un seul point de vûe, c’est-à-dire comme une expérience singuliere de l’électricité par laquelle on peut imprimer des secousses violentes à nos corps, secousses avec lesquelles on a déjà tué quelques petits oiseaux, & jusqu’à des poulets, si nous en croyons M. Franklin. Mais si nous l’avons fait, ce n’a été que pour nous conformer à l’usage reçu ; car cette maniere de l’envisager est trop particuliere, la commotion violente qu’elle nous fait éprouver n’étant qu’un cas particulier des effets qu’elle produit. En effet, on voit que dans cette expérience le fluide ou feu électrique étant emporté rapidement du crochet de la bouteille vers son ventre, ce feu peut par-là produire beaucoup d’autres effets. C’est aussi ce que nous a fait voir M. Franklin : cet habile physicien nous a montré qu’on pouvoit par son moyen percer des cartes, du papier, &c. enflammer de la poudre, & faire une espece de fusion froide des métaux. Voici comment on s’y prend à-peu-près pour faire ces expériences : ayez un grand carreau de verre doré des deux côtés, avec des marges d’un pouce ou plus, comme nous l’avons dit, jusqu’où la dorure ne s’étende pas : l’ayant posé horisontalement, on le fait communiquer par-dessous avec le conducteur, ensorte que ce soit sa surface inférieure qui reçoive l’électricité : ensuite on le charge bien, en mettant de tems en tems les mains sur la surface supérieure, pour faire communiquer cette surface avec le plancher : comme nous avons dit que cela étoit nécessaire lorsque le carreau est bien chargé, si l’on veut percer des cartes, par exemple, on les pose dessus, & prenant une espece de C de fer dont les deux bouts sont retournés en-dehors & forment des especes d’anneaux, on le met d’un bout sur ces cartes, & de l’autre on l’approche ; on tire une étincelle du conducteur, dans l’instant le fluide par l’extrème vîtesse avec laquelle il est emporté, les perce. Si l’on veut faire la fusion froide des métaux, ayant deux lames de verre d’une certaine épaisseur, de trois pouces de long ou environ, & d’un de large ; placez entre ces lames au milieu d’un bout à l’autre, une feuille de métal quelconque, comme d’or, de cuivre, &c. fort étroite,