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roüet, il auroit le défaut de se friser comme les cheveux d’une perruque, il manqueroit de force, il seroit cassant : pour y remédier, on fait bouillir les fuseaux tels qu’ils sortent de dessus le roüet, dans de l’eau commune, l’espace d’une minute. C’est pour résister à ce débouilli qu’on a fait les fuseaux d’ivoire ; ceux de bois deviennent ovales en-dedans, & ne peuvent servir deux fois s’ils ne sont doublés de cuivre.

Une fileuse bien habile peut filer mille aulnes de fil du numéro 16, & apprêter son coton pour les filer chaque jour. Il est presque inutile de filer plus fin. Elle ne fileroit pas plus d’un fil plus gros, parce qu’il lui faudroit apprêter plus de coton. Mais elle n’en fileroit pas quatre cents aulnes des numéros 8 & 10, qui n’ont été filés que par curiosité.

On donne le nom de coton en laine au coton au sortir de la coque, par opposition au coton au sortir des mains de la fileuse, qu’on appelle coton filé.

Devider le coton filé. Le fil de coton ne s’employe facilement, qu’autant qu’il est bien filé, & qu’on ne l’a pas fatigué par trop de travail. Il est donc à propos de le manier le moins qu’il est possible. Ainsi le mettre en écheveau, puis le devider ensuite pour en ourdir les chaînes, est un travail inutile & nuisible, qu’il convient d’éviter ; & c’est en même tems une œconomie considérable pour le fabriquant, tant à cause du prix du devidage, que parce que dans cette manœuvre on ne pourroit manquer de perdre beaucoup de fil de coton. Les Indiens ont senti cet inconvénient ; ils ourdissent leur toile du fuseau même sur lequel le fil a été filé. Mais comme il est essentiel de se rendre compte de ce que peut devenir un établissement avant que de former aucune entreprise, M. Jore qui étoit dans ce cas s’est servi d’un devidoir à aspe pour mesurer la longueur des écheveaux, auxquels il a donné deux cents aulnes ; il a comparé ces écheveaux par poids & longueur avec les mousselines fabriquées aux Indes ; & leur rapport lui ayant paru favorable, il a poussé ses essais jusqu’à faire fabriquer des mousselines unies & rayées, caladans & mouchoirs imités des Indes ; enfin il a fait fabriquer des bas aux métiers les plus fins qui soient à Paris. Mais son avis est que dans la pratique il faut ourdir à l’indienne, & ne mesurer que par le moyen qui sera indiqué dans la fabrique de la mousseline. On expliquera la maniere de se servir de l’aspe, à l’article qui suivra des instrumens.

Une femme qui commence à filer se donne bien de la peine les premiers jours, sans pouvoir faire un bout de fil qui soit propre à quelque chose, tant il est tors & inégal ; mais elle parvient en huit jours à filer passablement.

Des instrumens qui servent au filage des cotons fins. Il y en a de trois sortes ; les cardes, le roüet, & le devidoir.

Des cardes. Elles ne different de celles qu’on employe pour carder les laines fines & les cotons que l’on fabrique en ce pays, qu’en ce qu’elles sont plus petites & différemment montées. Ce sont des pointes de fil-de-fer peu aiguës, coudées & passées par couple dans une peau de basane ou autre ; elles ont un pouce de largeur sur huit de longueur. La petite planche qui sert de monture doit avoir dix lignes de largeur, dix à onze pouces de longueur, sur quatre lignes d’épaisseur ; elle doit être plate d’un côté, & bombée de l’autre sur la largeur. On attache la carde sur un bout de la planchette du côté bombé, les pointes courbes disposées vers la gauche, laissant au-dessous de la partie qu’elles occupent quelques pouces de bois pour servir de poignée. Le bombé de la planchette fait séparer les pointes, ce qui donne au coton plus de facilité pour y entrer & pour en sortir. Lorsque quelques-unes des pointes du premier

& second rang se renversent en arriere, se mêlent, ou font un mauvais effet, on les coupe dans le pli avec des ciseaux ; le bout qui reste a son usage dans l’emploi de la carde ; à l’égard des autres pointes, on les r’arrange quand elles se déplacent.

Les petites cardes sont des grandes cardes dont on auroit supprimé le manche, & qu’on auroit divisées en deux. Les cardes noires ont été faites pour les dames qui ont voulu essayer de filer par amusement. Voyez ces cardes grandes & petites chargées de coton, Pl. II. fig. 1, 2, 3, 4, &c.

Du roüet. Il ne differe des roüets ordinaires que l’on fait marcher au pié pour filer le lin, qu’en quelques petites particularités qui le rendent plus doux, & qui le font tordre davantage. Plus un fil est fin, plus il le faut tordre, pour que les filamens qui le composent puissent se tenir liés, & se soûtenir au point de former un continu solide. Cependant quand le tors excede ce qu’il lui en faut pour le soûtenir, le fil devient cassant, & ne peut être employé à aucun ouvrage. Cet excès du tors est très-sensible à qui a l’habitude de filer le coton. Le remede est de former son fil plus promptement, sans rallentir le mouvement du roüet. La fileuse pressée obéit au roüet, s’y accoûtume, & par ce moyen fait beaucoup plus de fil. C’est pour ces raisons qu’on a donné vingt-deux pouces de diametre à la roue de celui qu’on voit Pl. III. qu’on l’a faite pesante, & que la corde porte sur une noix de dix-huit lignes de diametre : on y a ajoûté une autre noix qui a trois pouces pour servir à celles qui commenceront ; mais il convient de n’en plus faire usage aussi-tôt que l’ouvriere se perfectionnera ; il faut alors passer à la tête du roüet une nouvelle noix de neuf à dix lignes de diametre, où l’on aura creusé une rainure comme aux autres noix : on augmentera ainsi le mouvement de la broche, & l’on forcera la fileuse à former son fil plus promptement.

Ce roüet est monté à gauche, & doit tourner de gauche à droite pour les raisons qu’on a dites au paragraphe du filage. Les jentes de la roue portent une rainure profonde, & terminée dans le fond à angle aigu. Les noix qui sont à la tête du roüet en ont de toutes semblables ; elles servent à comprimer la corde, & à lui faire communiquer du mouvement de la roue à la tête du roüet, sans être serré sensiblement, ce qui donne de la douceur au roüet. La corde est de laine, & doit être grosse au moins comme une forte plume. L’élasticité de la laine contribue encore à rendre le mouvement plus doux. Elle est faite de trois cordons réunis ensemble ; on l’ajuste sur le roüet en faisant un nœud qui joigne les deux bouts ; on observe de diviser ce nœud en tiers, en noüant séparément entre eux les cordons qui composent la corde, ensorte que les nœuds ne passent pas ensemble sur la noix.

La tête du roüet est faite comme celle du roüet à filer le lin, mais elle est plus petite ; le fuseau est d’ivoire, pour résister au débouilli sans perdre sa rondeur, sur-tout dans l’intérieur ; parce que n’étant pas rond, il tourneroit inégalement sur la broche.

La délicatesse du fil de coton fin a obligé de donner huit à neuf lignes de diametre au corps du fuseau : si le diametre étoit plus petit, comme de quatre lignes, ainsi qu’on le pratique pour le lin, le fil de coton casseroit en commençant les fuseaux ; au lieu que le rayon du fuseau étant deux fois plus long, le fil en altere le mouvement avec un effort quatre fois moins grand. C’est par le même principe qu’on a donné à la noix du fuseau la même hauteur qu’aux joues ; le boyau qui y porte pour servir de frein, en fait le tour entier. Comme ce boyau agit par le frottement, le frottement est bien plus considérable sur une grande noix, que sur une plus petite, & dans