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avec le gipon. On la met ensuite tremper dans un tonneau d’eau froide, du soir au lendemain, c’est-à-dire environ dix à douze heures. On la tire de ce bain pour la refouler, & en faire sortir toute l’eau : elle est pliée dans ce travail, comme au défoncement. Lorsqu’on s’apperçoit qu’elle est assez foulée, on la crêpit. Pour la crêpir, on tourne la fleur en haut, où le côté de chair est posé sur la table ; on prend la pomelle, & on la conduit sur toute cette surface, puis on la rebrousse. Rebrousser, c’est mettre le côté de chair en haut, & passer la pomelle sur le côté de la fleur. Pour bien entendre cette manœuvre, il faut se rappeller que pour se servir de la pomelle on roule la partie sur laquelle on travaille, de dessous en dessus, & que par conséquent il faut que le côté qu’on veut travailler, soit toûjours appliqué contre la table, & l’autre côté en haut.

Quand la peau est crêpie de chair & rebroussée de fleur, on l’étend sur la table ; on l’essuie fortement avec des écharnures, ou ces pieces de chair qui ont été enlevées de la peau avec la drayoire, puis on l’étire. On a pour cette manœuvre un morceau de fer plat, épais de cinq à six lignes, & large par en-bas de cinq à six pouces ; la partie étroite forme la poignée, & la partie large & circulaire est en plan incliné, & arrondie par son tranchant. Voyez l’étire, fig. 2. On conduit cet instrument à force de bras, de fleur, sur toute la peau, pour l’unir & l’étendre ; c’est ce que fait l’ouvrier C : alors la peau est prête à recevoir le noir.

Le noir est composé de noix de galles & de ferrailles, qu’on fait chauffer dans de la bierre aigre ; ou bien on laisse le tout tremper dans un tonneau pendant un mois en été, & deux en hyver, à moins qu’on ne tienne le tonneau à la cave. On donne le noir à la peau avec une brosse ordinaire, ou un gipon ; on la trempe plusieurs fois dans la teinture, & on la passe sur la peau de fleur ; jusqu’à ce qu’on s’apperçoive que la couleur a bien pris : si le noir graissoit, ce seroit parce qu’il seroit trop épais ; alors on y jetteroit un ou deux seaux d’eau. Quand ce premier noir est donné & que la peau est essorée ou à demi-seche, on la retient : la retenir dans ce cas-ci, c’est l’étendre sur la table & y repasser de fleur, & fortement l’étire, jusqu’à ce qu’on s’apperçoive que la peau est bien unie, & que le grain est bien écrasé : c’est le terme.

Alors on donne un second noir, appellé noir de soie ; c’est un mêlange de noix de galle, de couperose, & de gomme arabique ; on a soin d’étendre bien également la couleur ; on fait sécher entierement la peau. On la remet seche sur la table. On a de la bierre aigre, on en charge la peau avec un morceau d’étoffe, on la plie de patte en patte ; on prend une moyenne pomelle de bois, on la passe sur la fleur qui touche par conséquent la table, puis on rebrousse sur la fleur avec une pomelle de liége : cela s’appelle corrompre des quatre quartiers, & couper le grain.

Après l’avoir rebroussée, on la charge encore de bierre, qu’on chasse avec une torche de crin bouillie dans de la lie de chapelier : après quoi on prend le valet qu’on voit fig. 12. on serre par son moyen la peau sur la table, du côté de la tête : ce valet est un morceau de fer recourbé, dans la courbure duquel la table & le cuir peuvent être reçûs ; il a un pouce de largeur, sur environ un pié de long. On acheve de nettoyer la peau avec l’étire, d’abord du côté de la fleur, ensuite du côté de la chair ; avec cette différence que l’étire qui sert de chair est un peu tranchante. On l’essuie de fleur & de chair, après ce travail ; on se sert pour cela d’un vieux bas d’estame, qu’on appelle le bluteau : après quoi on l’éclaircit.

Cette façon se donne seulement de fleur : on se

sert pour cela du suc de l’épine-vinette, qu’on a laissé macérer & fermenter pendant vingt-quatre heures, après l’avoir écrasée. On lustre le côté de fleur seulement, avec ce suc.

Quand la peau est lustrée, il ne reste plus qu’à lui donner le grain : on entend par le grain, ces especes de gersures qu’on apperçoit à la peau. Pour les commencer, on a plié la peau la fleur en-dedans, & on l’a pressée à l’étire en plusieurs sens, comme nous l’avons dit plus haut. Et pour l’achever, on la dresse ou plie la fleur en-dedans, après son premier lustre ; 1o . de quatre faux quartiers, c’est-à-dire des quatre coins, mais un peu de biais ; 2o . de travers, c’est-à-dire en long, œil contre œil ; 3o . en large, ou de queue en tête : on fixe le grain en pressant fortement la peau avec l’étire, fleur en-dedans, dans tous ces sens. Puis on passe la peau au second lustre, qui se compose de bierre, d’ail, de vinaigre, de gomme arabique, & de colle de Flandre, le tout bouilli ensemble, mais appliqué à froid. Ce lustre appliqué ; on la plie, & on la pend la fleur en-dedans, en faisant passer la cheville dans les deux yeux.

Travail des veaux noirs à chair grasse. On les mouille d’abord, puis on les boute sur le chevalet jusqu’à la tête : le boutoir est un couteau à deux manches, droit, peu tranchant ; c’est pourquoi on l’appelle aussi couteau sourd. Après avoir bouté la partie de la peau qui doit l’être, on travaille la tête avec la drayoire, ce qui s’appelle dégorger. La chair étant un peu plus épaisse à la tête qu’ailleurs, on se sert du couteau à revers ou de la drayoire pour cette partie, & du couteau sourd pour le reste. Ces deux opérations nettoyent la peau de la chair que le tanneur peut y avoir laissée. Après cela on la fait sécher entierement, & on la ponce, c’est-à-dire qu’on passe une petite pierre forte & dure sur tout le côté de la chair, afin d’achever de le nettoyer. Ce travail est suivi de la manœuvre par laquelle on corrompt ; on corrompt la peau de quatre quartiers, on la rebrousse de queue en tête, on la met en suif, & on l’acheve comme la vache.

Travail des moutons noirs. On commence par les ébourrer à l’étire : ce travail les nettoye du tan qui y est resté attaché ; on les mouille, on les foule & roule sur la claie ; on leur donne l’huile du côté de la fleur seulement ; on les met au bain d’eau fraîche, on en fait sortir l’eau à l’étire, ce qui s’appelle écouler ; on leur donne le noir ; on les repasse ; on les retient ; on les seche entierement ; on les corrompt ; on les rebrousse, & on les pare à la lunette. Le paroir est un chevalet, qui n’est pas plus difficile à concevoir que celui du travail des vaches noires, quoiqu’il soit fort différent. La peau est fixée à la partie supérieure sur un rouleau, ou sur une corde au défaut de rouleau ; l’ouvrier passe autour de lui la lisiere qui correspond aux deux branches de sa tenaille : cette lisiere descend au bas de ses fesses qui la tirent suffisamment pour que la tenaille morde ferme l’extrémité de la peau, l’approche de lui, & la tende ; la peau lui présente la chair. Sa lunette est un instrument de fer, semblable à un palet, d’un pié de diametre ou environ, percé dans le milieu, & tranchant sur toute sa circonférence ; les bords du trou sont garnis de peau. L’ouvrier passe la main dans cette ouverture qui a six ou sept pouces de diametre, & conduit le tranchant de la lunette sur toute la surface de la peau, pour en enlever le peu de chair qui a pû échapper à l’étire. Le reste du travail s’expédie comme à la vache noire. Voyez fig. E, un ouvrier qui pare ; fig. 6. la tenaille avec son cordon ; & fig. 7. sa lunette.

Travail du cuir lissé. Il n’y en a que de bœufs & de vaches. On les mouille, on les foule, on les tire à la pomelle ; on les rebrousse, on les boute ; on en continue le travail comme aux vaches noires, jusqu’au suif qu’on donne très-fort, & à plusieurs reprises de