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galeres, on les nomme des gummes, ou simplement des cordages de fonde ; parce qu’on dit en italien, en espagnol, & en provençal, dare fondo, dar fondo, donner fonde, pour dire mouiller.

Suivant l’idée générale que nous venons de donner des grelins, il est clair qu’il suffit pour les faire, de mettre des aussieres sur les manivelles du chantier & du quarré, comme on mettroit des torons, de tourner ces manivelles dans le sens du tortillement des aussieres, jusqu’à ce qu’elles ayent acquis l’élasticité qu’on juge leur être nécessaire, de réunir les aussieres à une seule grande manivelle par le bout qui répond au quarré, de placer le toupin à l’angle de réunion des torons, de l’amarrer sur son chariot, & enfin de commettre ce cordage comme nous avons dit qu’on commettoit les grosses aussieres. C’est à quoi se réduit la pratique des Cordiers pour faire des grelins de toute sorte de grosseur. Il est seulement bon de remarquer que, quoiqu’exactement parlant les grelins soient composés d’aussieres, néanmoins les Cordiers nomment cordons les aussieres qui sont destinées à faire des grelins : ainsi lorsque nous parlerons des cordons, il faut concevoir que ce sont de vraies aussieres, mais qui sont destinées à être commises les unes avec les autres pour en faire des grelins. De cette façon les torons sont composés de fils simplement tortillés les uns sur les autres ; les cordons sont formés de torons commis ensemble, & les grelins de cordons commis les uns avec les autres. On appelle souvent cabler, lorsqu’on réunit ensemble plusieurs cordons, au lieu qu’on se sert du terme de commettre lorsqu’on réunit des torons. Il est bon d’expliquer ces termes, pour se faire mieux entendre des ouvriers.

Les grelins ont plusieurs avantages sur les aussieres. 1°. On commet deux fois les cordages en grelin, afin que lorsqu’ils auront à souffrir quelque frottement violent, les fibres du chanvre soient tellement entrelacées & embarrassées les unes dans les autres, qu’elles ne puissent se dégager facilement : quelques fils viennent-ils à se rompre, la corde est à la vérité affoiblie en cet endroit ; mais comme ces fils sont tellement serrés par les cordons qui passent dessus, qu’ils ne peuvent se séparer plus avant, il n’y a que ce seul endroit de la corde qui souffre, tout le reste du cable est aussi fort qu’auparavant ; & il n’y a pas à craindre que cet accident le rende défectueux dans les autres parties de la longueur du cordage, duquel on peut se servir après avoir retranché la partie endommagée, supposé qu’elle le soit au point qu’on craignit que le cable ne pût résister dans cet endroit aux efforts qu’il est obligé d’essuyer.

2°. Les Cordiers prétendent, aussi-bien que la plûpart des marins, que l’eau de la mer dans laquelle ces cordages sont presque toûjours plongés, pénétreroit avec plus de facilité dans l’intérieur des cables, si on les commettoit en aussiere, & que cela les feroit pourrir plus aisément. Nous ne croyons pas que ce soit la façon de commettre les cordages qui les rend moins perméables à l’eau : il ne faut pas nier que l’eau pénétrera plus promptement & plus abondamment dans un cordage qui sera commis mollement, que dans un qui sera fort dur ; mais cette circonstance peut regarder les cordages commis en grelin, comme ceux qui le seroient en aussiere : aussi est-ce sur une meilleure raison que nous croyons les grelins préférables aux aussieres.

3°. Nous avons prouvé qu’il étoit avantageux de multiplier le nombre des torons ; 1°. parce qu’un toron qui est menu, se commet par une moindre force élastique qu’un toron qui est gros ; 2°. parce que plus un toron est menu, & moins il y a de différence entre la tension des fils qui sont au centre du toron, & la tension de ceux de la circonférence : le plus sûr

moyen de multiplier le nombre des torons, est de faire les cordages en grelin, puisqu’il ne paroît pas qu’on puisse faire des aussieres avec plus de six torons, au lieu que le plus simple de tous les grelins en a neuf ; & on seroit maître de multiplier les torons dans un gros cable presqu’à l’infini. On peut faire des grelins avec toute sorte d’aussieres, & les composer d’autant de cordons qu’on met de torons dans les aussieres ; ainsi on peut faire des grelins,
Nombre des
cordons.
Nom des torons de
chaque cordon.
Somme totale des
torons du grelin
.

1        à  3 3 9
2 4 3 12
3 3 4 12
4 3 5 15
5 5 3 15
6 4 4 16
7 3 6 18
8 6 3 18
9 4 5 20
10 5 4 20
11 4 6 24
12 6 4 24
13 5 5 25
14 5 6 30
15 6 5 30
16 6 6 36

Des archigrelins. Ce n’est pas tout : il seroit possible de faire des cordes commises trois fois ; nous les nommerons des archigrelins, c’est-à-dire des grelins composés d’autres grelins : en ce cas, les plus simples de ces archigrelins seroient à vingt-sept torons ; & si l’on faisoit les cordons à six torons, les grelins de même à six cordons, & l’archigrelin aussi avec six grelins, on auroit une corde qui seroit composée de 216 torons. On voit par-là qu’on est maître de multiplier les torons tant qu’on voudra. Les cordes en seroient-elles meilleures ? J’en doute ; il ne seroit guere possible de multiplier ainsi les opérations, sans augmenter le tortillement ; & sûrement on perdroit plus par cette augmentation du tortillement, qu’on ne gagneroit par la multiplication des torons ; ces cordes deviendroient si roides qu’on ne pourroit les manier, sur-tout quand elles seroient mouillées. D’ailleurs, elles seroient très-difficiles à fabriquer, & par conséquent très-sujettes à avoir des défauts. Mais tous les grelins qu’on fait dans les ports sont à trois cordons, chaque cordon étant composé de trois torons, ce qui fait en tout neuf torons. On en fait aussi, dans l’intention de les rendre plus propres à rouler dans les poulies, qui ont quatre cordons, composés chacun de trois torons ; ce qui fait en tout douze torons. Il est naturel qu’on fasse beaucoup de grelins à neuf torons, puisque ce sont les plus simples de tous & les plus faciles à travailler ; c’est la seule raison de préférence qu’on puisse appercevoir.

Mais si l’on veut faire des grelins à douze torons, lequel vaut mieux de les faire avec trois cordons qui seroient composés chacun de quatre torons, ou bien de les faire avec quatre cordons qui seroient chacun composés seulement de trois torons ? On apperçoit dans chacune de ces pratiques des avantages qui se compensent : le grelin qui sera fait avec quatre cordons sera plus uni, les hélices que chaque cordon décrira seront moins courbes ; il restera un vuide dans l’axe de la corde, ou bien les torons se rouleront sur une meche qui empêchera qu’ils ne fassent des plis si aigus ; enfin ces grelins seront plus flexibles. Mais les grelins à trois torons auront aussi des avantages : ils n’auront point de meche ; les torons qui composeront les cordons seront assez fins, à