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dans l’axe de l’aussiere, & à mesure que le toupin s’avance vers le chantier, elle coule dans le trou qui le traverse, comme les torons coulent dans les rainures qui sont à la circonférence du toupin.

Il faut remarquer que comme la meche ne se raccourcit pas autant que les torons qui l’enveloppent, il suffit qu’elle soit un peu plus longue que le cordage ne sera étant commis ; un petit garçon a seulement soin de la tenir un peu tendue à une petite distance du toupin pour qu’elle ne se mêle pas, & qu’elle n’interrompe pas la marche du chariot. Pour mieux rassembler les fils des meches, la plûpart des cordiers divisent les fils qui les composent en deux ou trois parties, & en font une vraie aussiere à deux ou à trois torons.

On conçoit bien que quand les torons viennent à se rouler sur ces sortes de meches, ils les tortillent plus qu’elles ne l’étoient, quand même ils auroient l’attention de les laisser se détordre autant qu’elles l’exigeroient sans les gêner en aucune façon. Or pour peu qu’elles se tortillent, elles augmentent de grosseur & se roidissent ; ainsi elles sont dans l’axe de l’aussiere fort roides, fort tendues, & fort pressées par les torons qui les enveloppent. C’est pour cette raison qu’on entend les meches se rompre aux moindres efforts, & que si on défait les cordages après qu’ils en ont éprouvé de grands, on trouve les meches rompues en une infinité d’endroits.

Voilà quel est l’usage ordinaire des Cordiers, & l’inconvénient qui en doit résulter ; car il est visible que la meche venant à se rompre, les torons qui sont roulés dessus ne sont plus soûtenus dans les endroits où elle a rompu, alors ils se rapprochent plus de l’axe les uns que les autres, ils s’allongent donc inégalement, ce qui ne peut manquer de beaucoup affoiblir les cordes en ces endroits.

Ne point commettre les meches. Il seroit à souhaiter qu’on eût des meches qui pûssent s’allonger proportionnellement aux torons qui les enveloppent ; mais c’est en vain qu’on a essayé d’en faire : on a seulement rendu les meches ordinaires moins mauvaises. Quand des aussieres un peu grosses font des efforts considérables, les torons pressent si fort la meche qu’ils enveloppent, qu’elle ne peut glisser ni s’allonger. Pour meche (au lieu d’une corde ordinaire) il faudra employer un faisceau de fils qui forme le même volume & que l’on placera de la même maniere, mais que l’on tortillera en même tems & dans le même sens que les torons ; par ce moyen la meche se tortillera & se raccourcira tout autant que les torons. Il faut se souvenir que quand on commet une corde, la manivelle du quarré tourne dans un sens opposé à celui dans lequel les torons ont été tortillés, & comme ils le seroient pour se détordre. Or comme la meche qui sera déjà tortillée tournera sans obstacle dans ce sens-là, il faut absolument qu’elle se détortille à mesure que la corde se commet ; & comme elle ne peut se détortiller sans que les fils qui la composent se relâchent & tendent à s’allonger, la meche restera lâche & molle dans le centre de la corde, tandis que les torons qui sont autour seront fort tendus ; & s’il arrive que la corde chargée d’un poids s’allonge, la meche qui sera lâche pourra s’étendre & s’allonger un peu : s’il avoit été possible de la faire si lâche qu’elle ne fît aucun effort, assurément elle ne romproit qu’après les torons ; mais jusqu’à présent on n’a pû parvenir à ce point, sur-tout quand les cordages étoient un peu gros.

On convient qu’une meche, de quelqu’espece qu’elle soit, ne peut guere ajoûter à la force des cordes, ainsi il ne faut y employer que du second brin ou même de l’étoupe ; tout ce qu’on doit desirer, c’est de les rendre moins cassantes, pour qu’elles

soient toûjours en état de tenir les torons en équilibre, & de les empêcher de s’approcher les uns plus que les autres de l’axe des cordes.

Des cordages à plus de trois torons. Comme on est obligé d’employer une meche pour la fabrique des cordages qui ont plus de trois torons, il est évident que cette meche qui est dans l’axe toute droite & sans être roulée en hélices comme les torons, ne peut contribuer à la force des cordages ; car si elle résiste, comme elle ne peut pas s’allonger autant que les torons, elle est chargée de tout le poids & elle rompt nécessairement ; si elle ne résiste pas, elle ne concourt donc pas avec les torons à supporter le fardeau : ainsi les cordages à meche contiennent nécessairement une certaine quantité de matiere qui ne contribue point à leur force ; ces sortes de cordages en sont par conséquent plus gros & plus pesans sans en être plus forts, ce qui est un grand défaut. Encore si cette meche ne rompoit pas, si elle étoit toûjours en état de soûtenir les torons, le mal ne seroit pas si considérable ; mais de quelque façon qu’on la fasse, elle rompt quand les cordages souffrent de grands efforts, & quand elle est rompue les torons perdent leur ordre régulier, ils rentrent les uns dans les autres, ils ne forcent plus également, & ils ne sont plus en état de résister de concert au poids qui les charge.

Enfin on ajoûte encore que la meche étant enveloppée de tous côtés par les torons, conserve l’humidité, s’échauffe, pourrit & fait pourrir les torons ; d’où l’on conclut qu’il faut proscrire les cordages à plus de trois torons. Cependant on trouve par l’expérience, que quoique la supériorité de force des cordages à quatre & à six torons ne se trouve pas toûjours la même, cependant les torons sont constamment d’autant plus forts qu’ils sont en plus grand nombre, plus menus, & que leur direction est plus approchante de la parallele avec l’axe de la corde ; & cette supériorité est telle, qu’elle compense souvent & même surpasse quelquefois la pesanteur de la meche qui est inutile pour la force des cordages.

Des aussieres à plus de quatre torons. On ne croit pas qu’il soit possible de faire des aussieres avec plus de six torons. Les aussieres à six torons sont assez difficiles à bien fabriquer ; elles demandent toute l’attention du cordier pour donner à chaque toron un égal degré de tension & de tortillement : ainsi il faudra se réduire à les faire de quatre, de cinq, ou de six torons tout au plus.

Quoiqu’il soit très-bien prouvé qu’il est avantageux de multiplier le nombre des torons, nous n’oserions néanmoins décider si pour l’usage de la marine il conviendroit toûjours de préférer les aussieres à cinq ou six torons à celles à trois & à quatre, parce que l’avantage qu’on peut retirer de la multiplication des torons s’évanoüit pour peu qu’on laisse glisser quelques défauts dans la fabrique de ces cordages ; & peut-on se flatter qu’on apportera tant de précautions dans des manufactures aussi grandes & aussi considérables que les corderies de la marine, tandis que des cordages faits avec une attention toute particuliere, se sont quelquefois trouvés défectueux ?

De l’usage de la meche dans les cordages à 4, 5, & 6 torons. L’avantage des cordages à quatre, cinq, ou six torons seroit très-considérable si on pouvoit les commettre sans meche ; la chose n’est pas possible pour les aussieres qui ont plus de quatre torons, mais il y a des cordiers assez adroits pour faire des cordages à quatre torons très-bien commis, sans le secours des meches ; ils parviennent à rendre leurs torons si égaux pour la grosseur, pour la roideur & pour le tortillement, & ils conduisent si bien leur