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l’extrémité F de chaque manivelle, où elle est retenue par la clavette M : c’est ce bout de corde qu’on appelle une palombe ou une hélingue.

Maniere de faire un cordage en aussiere à trois torons. Maintenant que l’on connoît la disposition de l’attelier & les instrumens qu’on y employe, il faut expliquer comment on fabrique les aussieres : on commence par ourdir les fils, dont on fait trois faisceaux ou longis, que l’on tord ensuite pour en faire les torons, & enfin on commet ces torons pour en faire des cordages. Pour bien ourdir un cordage il faut 1° étendre les fils, 2° leur donner un égal degré de tension, 3° en joindre ensemble une suffisante quantité, 4° enfin leur donner une longueur convenable relativement à la longueur qu’on veut donner à la piece de cordage.

Lorsqu’il s’agit d’ourdir un cordage de vingt-un pouces de grosseur ou de circonférence, qui est composé de plus de deux mille deux cents cinquante fils, s’il falloit prendre tous ces fils sur un seul touret, comme nous l’avons dit en parlant du bitord, on seroit obligé de faire quatre mille cinq cents fois la longueur de la corderie, qui a mille piés de long, ce qui fait quatre millions cinq cents mille piés, ou soixante & quinze mille toises, c’est-à-dire trente-sept lieues & demie. Il est donc important de trouver des moyens d’abréger cette opération. C’est pour cela que si la corde n’est pas fort grosse, le maître cordier fait prendre sur les tourets qui sont établis au bout de la corderie, tous les fils dont il a besoin ; il les fait passer dans un crochet de fer a (Plan. III. divis. 1.), qui les réunit en un faisceau qu’un nombre suffisant d’ouvriers qui se suivent l’un l’autre, prennent sur leur épaule ; & tirant assez fort pour devider ces fils de dessus leurs tourets, ils vont au bout de la corderie, ayant attention de mettre de tems en tems ce qu’il faut de chevalets pour que ces fils ne portent point par terre. Quand l’aussiere qu’il veut ourdir est trop grosse pour étendre les fils en une seule fois, les mêmes ouvriers prennent un pareil nombre de fils sur les tourets qui sont établis à l’autre bout de la corderie où est le quarré, & ils reviennent au bout où est le chantier, ce qui leur épargne la moitié du chemin ; & on continue de la même maniere jusqu’à ce qu’on ait étendu la quantité de fils dont on juge avoir besoin. Enfin il y a des corderies où pour étendre encore les fils plus vîte, on se sert d’un cheval qu’on attele aux faisceaux de fils ; ce cheval tient lieu de sept à huit hommes, il va plus vîte, & l’opération se fait à moins de frais. Quand on a étendu un nombre suffisant de fils, le maître cordier qui est auprès du quarré, ou au bout de la corderie opposé à celui où est le chantier à commettre, fait amarrer la queue du quarré avec une bonne corde à un fort pieu b, qui est exprès scellé en terre à une distance convenable du quarré. Pour distinguer dans la suite les deux extrémités de la corderie, on nommera l’une le bout du chantier, & l’autre le bout du quarré. Le cordier fait ensuite charger le quarré du poids qu’il juge nécessaire, & passer trois manivelles proportionnées à la grosseur de la corde qu’il veut faire, dans les trous qui sont à la membrure ou traverse du quarré. Tout étant ainsi disposé, il divise en trois parties égales les fils qu’il a étendus, il fait un nœud au bout de chaque faisceau pour réunir tous les fils qui les composent ; puis il divise chaque faisceau de fil ainsi lié, en deux, pour passer dans le milieu l’extrémité des manivelles, où il les assujettit par le moyen d’une clavette.

Imaginons donc que la quantité de fil qui a été étendu, est maintenant divisée en trois faisceaux, qui répondent chacun par un bout à l’extrémité d’une manivelle qui est arrêtée à la traverse du quarré ; trois ouvriers, & quelquefois six, restent pour tour-

ner ces manivelles, & le maître cordier retourne

avec les autres au bout de l’attelier où est le chantier à commettre ; chemin faisant il fait séparer en trois faisceaux les fils précédemment réunis, comme il avoit fait à l’extrémité qui est auprès du quarré ; les ouvriers ont soin de faire couler ces faisceaux dans leurs mains, de les bien réunir, de ne laisser aucuns fils qui ne soient aussi tendus que les autres ; & pour empêcher que ces fils ne se réunissent, ils se servent des chevilles qui sont sur l’appui des chevalets. Quand on a ainsi disposé les fils dans toute leur longueur, & qu’on est rendu auprès du chantier à commettre, le maître cordier fait couper les trois faisceaux de fil de quelques piés plus courts qu’il ne faut pour joindre les palombes, & y fait un nœud ; il les fait ensuite tendre par un nombre suffisant d’ouvriers, ou, pour me servir de leur expression, ils font hâler dessus jusqu’à ce que le nœud qui est au bout de chaque faisceau puisse passer entre les deux cordons des palombes.

Quand les trois faisceaux sont attachés d’un bout aux trois manivelles du quarré, & de l’autre aux trois manivelles du chantier, un cordier qui desire faire de bon ouvrage, examine, 1°. s’il n’y a point de fils qui soient moins tendus que les autres ; s’il en apperçoit quelques-uns, il les assujettit, dans un degré de tension pareil aux autres, avec un bout de fil de carret qu’on nomme une ganse : si cette différence tomboit sur un trop grand nombre de fils, il déferoit ou couperoit le nœud, pour remédier à ce défaut. 2°. Il faut que les trois faisceaux soient dans un degré de tension pareil ; il reconnoît ceux qui sont les moins tendus en se baissant assez pour que son œil soit juste à la hauteur des faisceaux, il voit alors que les moins tendus font un plus grand arc que les autres d’un chevalet à l’autre ; pour peu que cette différence soit considérable, il fait raccourcir le faisceau qui est trop long. C’est par ces attentions que certains cordiers réussissent mieux que d’autres : car il ne faut pas s’imaginer que des fils qui ont quelquefois plus de cent quatre-vingt-dix brasses de longueur, s’étendent avec autant de facilité que ceux qui n’auroient que quatre à cinq brasses. Il y a des cordiers qui pour s’épargner le tâtonnement dont nous venons de parler, font un peu tordre les faisceaux qui sont plus lâches, pour les roidir & les mettre de niveau avec les autres : c’est une très-mauvaise méthode, car il est très-nécessaire pour la perfection de l’ouvrage que tous les faisceaux ayent un tortillement pareil. Ces faisceaux de fil ainsi disposés, s’appellent en terme de Corderie, des longis, & quand on les a tortillés, des tourons ou des torons. Si l’on examine la disposition que prennent les fils tortillés dans un toron, on trouve qu’un ou plusieurs occupent le centre ou l’axe d’un toron, & sont enveloppés par un nombre d’autres qui font un petit orbe, & que cet orbe est enveloppé par d’autres fils qui font un orbe plus grand, & ainsi de suite jusqu’à la circonférence de ce toron. Pour distinguer ces différens orbes de fils représentant (Planche IV. fig. 9.) la coupe d’un toron perpendiculairement à son axe ; soit A le fil qui est au centre ; BB les fils qui l’enveloppent, ou ceux du premier orbe ; C ceux du troisieme orbe, D ceux du quatrieme, &c. Or il paroît que quand on tordra ce toron, le fil A ne faisant que se tordre ou se détordre suivant le sens où l’on tordra les torons, il doit être regardé comme l’axe d’un cylindre qui tournera à-peu-près sur lui-même & autour duquel tous les orbes s’entortilleront. L’orbe B se roulera sur le fil A, autour duquel il décrira une hélice ; mais comme cet orbe B est très-près du centre de révolution du cylindre, il fera très peu de mouvement ; les hélices que décriront les