Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de chêne, & que des lambourdes soûtiennent les tourets. Il faut encore veiller à ce que les tourets ne touchent pas aux murs. Moyennant ces précautions, le fil pourra rester assez long-tems, mais non plusieurs années, dans les magasins sans dépérir.

Des commetteurs. Il s’agit maintenant de mettre le fil en cordages.

Il y a deux especes de cordages : les uns simples, ou dont par une seule opération on convertit les fils en corde ; on les appelle des aussieres : les autres qu’on peut regarder comme des cordages composés de cordages simples ou d’aussieres commises les uns avec les autres, c’est-à-dire réunies par le tortillement ; on les appelle des grelins. Ces deux especes de cordages se subdivisent en un nombre d’autres qui ne different que par leur grosseur, & par l’usage qu’on en fait pour la garniture des vaisseaux. Voyez Cordages (Marine.) La plus petite & la plus simple de toutes les aussieres, qui n’est composée que de deux fils, s’appelle du bitord ; une autre un peu plus grosse, qui est composée de trois fils, se nomme du merlin. Pour donner par degré une idée de la corderie, nous traiterons 1o . de la fabrique de ces petites ficelles, parce qu’elles sont les plus simples : 2o . des aussieres qui sont composées de trois torons : 3o . des aussieres qui sont composés d’un plus grand nombre de torons : 4o . des grelins & des cables : 5o . des cordages en queuë de rat, ou qui sont plus gros d’un bout que de l’autre, & des cordages refaits.

Du bitord. Quand un cordier veut unir ensemble deux fils pour en faire du bitord, il se sert du roüet des fileurs, ou bien d’un roüet de fer dont voici la description.

Du roüet. Ce roüet a, Pl. I. fig. 4. est composé de quatre crochets mobiles, disposés en forme de croix ; ces crochets tournent en même tems que la roüe, & d’un mouvement bien plus rapide, à l’aide d’un pignon ou lanterne dont chacun d’eux est garni, & qui engrene dans les dents de la roüe qu’un homme fait tourner par le moyen d’une manivelle : la grande roüe imprime donc le mouvement aux quatre lanternes, qui étant égales, tournent toutes également vîte. Il est fort indifférent de se servir du roüet de fer ou des roüets ordinaires. Lorsqu’un cordier veut faire une corde seulement avec deux fils, il n’employe que deux des crochets de son roüet.

Le cordier b prend d’abord un fil qu’il attache par un de ses bouts à un des crochets du roüet ; ensuite il l’étend, le bande un peu, & va l’attacher à un pieu qui est placé à une distance proportionnée à la longueur qu’il veut donner à sa corde, & ce fil est destiné à faire un des deux cordons. Cela fait, il revient attacher un autre fil à un crochet opposé à celui où il a attaché le premier : il le tend aussi, il va l’arrêter de même au pieu dont nous venons de parler, & ce fil doit faire le second cordon : de sorte que ces deux fils doivent être de même longueur, de même grosseur, & avoir une égale tension. C’est-là ce qu’on appelle étendre les fils ou les vettes, ou bien ourdir une corde. Cette opération étant faite, la corde étant ourdie, le cordier prend les deux fils qu’il a attachés au pieu, & les unit ensemble, soit par un nœud ou autrement ; de sorte que ces deux fils ainsi réunis, n’en forment, pour ainsi dire, qu’un : car ils font précisément le même effet qu’un seul fil qui seroit retenu dans le milieu par le pieu, & dont les deux bouts seroient attachés aux deux crochets du roüet. La plûpart des cordiers suivent cette pratique, c’est-à-dire que le second fil n’est que le prolongé du premier ; ce qui est préférable, parce que les deux fils sont alors nécessairement tendus également, aussi longs & aussi forts l’un que l’autre, toutes conditions essentielles pour qu’une corde soit bien ourdie. Au reste, que les fils soient assemblés

par leur extrémité qui répond au pieu, ou qu’ils soient d’une seule piece, cela ne rend la corde ni plus forte ni plus foible, pourvû qu’ils soient tendus également. C’est par ce point de réunion que le cordier accroche ces deux fils à un émerillon. Un bout de corde qui tient à l’anneau de l’émerillon, va passer sur une fourche qui est plantée quelques pas plus loin que le pieu où nous avons dit qu’on attachoit les fils à mesure qu’on les étendoit, & cette corde soûtient par son autre extrémité un poids proportionné à la grosseur de la corde qu’on veut commettre ; de sorte que ce poids a la liberté de monter ou de descendre plus ou moins le long de la fourche, selon qu’il est nécessaire. Voyez Pl. I. fig. b.

Ce contrepoids sert à tenir également tendus les deux fils ourdis ; & comme le tortillement qu’ils doivent souffrir les raccourcit, il faut que le contrepoids qui les tend, puisse monter à proportion le long de la fourche.

Lorsque tout est ainsi disposé, le cordier prend un instrument qu’on appelle le cabre, le masson, le cochoir, le toupin, le sabot, ou le gabieu.

Du toupin. Cet instrument est un morceau de bois tourné en forme de cone tronqué, dont la grosseur est proportionnée à celle de la corde qu’on veut faire ; il doit avoir dans sa longueur, & à une égale distance, autant de rainures ou gougeures que la corde a de cordons : ainsi dans cette opération, où il n’est question que d’une corde à deux cordons, le cordier se sert d’un toupin qui n’a que deux rainures diamétralement opposées l’une à l’autre, tel qu’on le voit en c. Ces rainures doivent être arrondies par le fond, & assez profondes pour que les fils y entrent de plus de la moitié de leur diametre. Le cordier place le toupin entre les deux fils qu’il a étendus, en sorte que chacune de ses rainures reçoive un des fils, & que la pointe du toupin touche au crochet de l’émerillon.

Pendant qu’il tient le toupin dans cette situation, il ordonne qu’on tourne la roüe du roüet pour tordre les fils. Chacun des deux fils se tord en particulier ; & comme ils sont parfaitement égaux en grosseur, en longueur, & par la matiere qui est également flexible, ils se tordent également ; mais à mesure qu’ils se tordent, ils se raccourcissent, & le poids qui pend le long de la fourche, remonte d’autant. Quand le maître cordier juge qu’ils sont assez tords, il éloigne le toupin de l’émerillon, & le fait glisser entre les fils jusqu’auprès du roüet, sans discontinuer de faire tourner la roüe ; moyennant quoi les deux fils se rassemblent en se roulant l’un sur l’autre, & font une corde dont on peut se servir, sans craindre qu’elle se détorde par son élasticité : c’est ce que les cordiers appellent commettre une corde. Mais il faut observer que pendant cette seconde opération, c’est-à-dire pendant que la corde se commet, elle continue de se raccourcir, & le poids remonte encore le long de la fourche. En réfléchissant sur cette manœuvre des cordiers, on conçoit pourquoi une corde ne se détord pas, pendant qu’un fil abandonné à lui-même, perd presque tout le tortillement qu’il avoit acquis. Tandis que le toupin étoit contre l’émerillon, les deux fils étoient tords chacun en particulier, & acquéroient un certain degré de force élastique qui tendroit à les détordre, ou à les faire tourner dans un sens opposé-à celui dans lequel ils ont été tortilles, si on leur en donnoit la liberté ; ce qui se manifeste par l’effort que le toupin fait pour tourner dans la main du cordier.

Si-tôt donc que le cordier aura écarté le toupin de l’émérillon, la partie du premier fil qui se trouve entre le toupin & l’émérillon étant en liberté, tendra par la force élastique qu’elle a acquise en se tortillant, à tourner dans un sens opposé à son tortille-