Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toises de profondeur ; augmentation très-considérable au poids du seau plein & sortant de l’eau, dont il aura peut-être puisé 24 livres. Il est vrai que cette premiere difficulté de l’élevation du seau ira toûjours en diminuant, & sera nulle au bord du puits ; mais en ce cas l’action de l’homme qui tirera le seau sera fort inégale ; & dans cette supposition il est impossible qu’il ne se fatigue pas trop, qu’il ne perde du tems, & qu’il ne fasse moins qu’il n’auroit pû, parce qu’il est presqu’impossible qu’il ne donne précisément que ce qu’il faudra de force pour surmonter à chaque instant la résistance décroissante du seau & de la corde. Il seroit plus avantageux & plus commode pour la puissance, d’avoir une machine qui réduisît à l’égalité une action inégale par elle-même, de sorte que l’on n’eût jamais à soûtenir que le même poids, ou à employer le même effort quoique la résistance de la corde fût toujours variable. Pour cela le seul moyen est, que quand le poids de la corde sera plus grand, ou ce qui est le même, quand il y aura plus de corde à tirer, la puissance agisse par un plus long bras de levier, plus long précisément à proportion de ce besoin, & par conséquent il faudra que les leviers soient toujours changeans & décroissans pendant toute l’élevation du seau. C’est pourquoi il faudra donner à la poulie dont on se servira, une forme pareille à-peu-près à celle des fusées des montres, qui sont construites sur le même principe, ou plutôt il faudra que cette poulie soit comme un assemblage de plusieurs poulies concentriques & inégales : on peut voir sur cette matiere un plus grand détail dans l’hist. de l’Acad. de 1739, p. 51.

Il s’ensuit de ce que nous avons dit sur la résistance des cordes, 1°. qu’on doit préférer autant que faire se peut les grandes poulies aux petites, non-seulement parce qu’ayant moins de tours à faire, leur axe a moins de frottement, mais encore parce que les cordes qui les entourent y souffrent une moindre courbure, & ont par conséquent moins de résistance. Cette considération est d’une si grande conséquence dans la pratique, qu’en évaluant la roideur de la corde selon la regle de M. Amontons, on voit clairement que si on vouloit enlever un fardeau de 800 livres avec une corde de 20 lignes de diametre, & une poulie qui n’eût que 3 pouces, il faudroit augmenter la puissance de 212 livres pour vaincre la roideur de la corde, au lieu qu’avec une poulie d’un pié de diametre cette résistance céderoit à un effort de 22 livres, toutes choses d’ailleurs égales.

On peut juger par-là que les poulies moufflées, c’est-à-dire les poulies multiples, ne peuvent jamais avoir tout l’effet qui devroit en résulter suivant la théorie. Car dans ces sortes de machines, les cordes ont plusieurs retours ; & quoique les puissances qui les tendent chargent d’autant moins les axes qu’il y a plus de poulies, cependant comme il n’y a point de cordes parfaitement flexibles, on augmente leur résistance en multipliant les courbures.

Cet inconvénient, qui est commun à toutes les mouffles, est encore plus considérable dans celles où les poulies rangées les unes au-dessus des autres doivent être de plus en plus petites, pour donner lieu aux cordes de se mouvoir sans se toucher & se frotter. Car une corde a plus de peine à se plier quand elle enveloppe un cylindre d’un plus petit diametre. Ainsi les poulies moufflées, qui sont toutes de même grandeur, sont en général préférables aux autres.

Les cordes qui sont le plus en usage dans la méchanique, celles dont il s’agit principalement ici, sont des assemblages de fils que l’on tire des végétaux, comme le chanvre, ou du regne animal, comme la soie, ou certains boyaux que l’on met en état d’être filés. Si ces fibres étoient assez longues par elles-mêmes, peut-être se contenteroit-on de les

mettre ensemble, de les lier en forme de faisceaux sous une enveloppe commune. Cette maniere de composer les cordes eût peut-être paru la plus simple & la plus propre à leur conserver la flexibilité qui leur est si nécessaire ; mais comme toutes ces matieres n’ont qu’une longueur fort limitée, on a trouvé moyen de les prolonger en les filant, c’est-à-dire en les tortillant ensemble ; le frottement qui naît de cette sorte d’union est si considérable, qu’elles se cassent plutôt que de glisser l’une sur l’autre : c’est ainsi que se forment les premiers fils dont l’assemblage fait un cordon ; & de plusieurs de ces cordons réunis & tortillés ensemble, on compose les plus grosses cordes. On juge aisément que la qualité des matieres contribue beaucoup à la force des cordes ; on conçoit bien aussi qu’un plus grand nombre de cordons également gros, doit faire une corde plus difficile à rompre ; mais quelle est la maniere la plus avantageuse d’unir les fils ou les cordons ? Voyez là-dessus l’article Corderie.

Les cables & autres gros cordages que l’on employe, soit sur les vaisseaux, soit dans les bâtimens, étant toujours composés de plusieurs cordons, & ceux-ci d’une certaine quantité de fils unis ensemble, il est évident qu’on n’en doit point attendre toute la résistance dont ils seroient capables s’ils ne perdoient rien de leur force par le tortillement ; & cette considération est d’autant plus importante, que de cette résistance dépend souvent la vie d’un très grand nombre d’hommes.

Mais si le tortillement des fils en général rend les cordes plus foibles, on les affoiblit d’autant plus qu’on les tord davantage ; il faut donc éviter avec soin de tordre trop les cordes.

Lorsqu’on a quelque grand effort à faire avec plusieurs cordes en même tems, on doit observer de les faire tirer le plus également qu’il est possible ; sans cela il arrive souvent qu’elles cassent les unes après les autres, & mettent quelquefois la vie en danger. Voyez les leçons de Phys. expér. de M. l’abbé Nollet. (O)

Cordes, (Méchan.) De la tension des cordes. Si une corde AB est attachée à un point fixe B (figure 45. Méchaniq.), & tirée suivant sa longueur par une force ou puissance quelconque A, il est certain que cette corde souffrira une tension plus ou moins grande, selon que la puissance A qui la tire, sera plus ou moins grande. Il en est de même, si au lieu du point fixe B, on substitue une puissance égale & contraire à la puissance A ; il est certain que la corde sera d’autant plus tendue, que les puissances qui la tirent seront plus grandes. Mais voici une question qui a jusqu’ici fort embarrassé les Méchaniciens. On demande si une corde AB, attachée fixement en B & tendue par une puissance quelconque A, est tendue de la même maniere qu’elle le seroit, si au lieu du point fixe B, on substituoit une puissance égale & contraire à la puissance A. Plusieurs auteurs ont écrit sur cette question, que Borelli a le premier proposée. Je crois qu’on peut la résoudre facilement, en regardant la corde tendue AB, comme un ressort dilaté dont les extrémités A, B, font également effort pour se rapprocher l’une de l’autre. Je suppose donc d’abord que la corde soit fixe en B, & qu’elle soit tendue par une puissance appliquée en A, dont l’effort soit équivalent à un poids de dix livres ; il est certain que le point A sera tiré suivant AD avec un effort de dix livres : & comme ce point A, par l’hypothese, est en repos ; il s’ensuit que par la résistance de la corde, il est tiré suivant AB avec une force de dix livres, & fait par conséquent un effort de dix livres pour se rapprocher du point B. Or le point B, par la nature du ressort, fait le même effort de dix livres suivant BA, pour se rapprocher du point A,