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du chanvre d’Italie le mieux choisi. On tint aussi toute prête une corde de crin de même poids, & commise au même point que la corde de nerf, mais qui se trouva de dix-huit lignes de circonférence. On fit rompre ces cordes, & l’on éprouva que la corde de nerf étoit une fois plus forte que celle de crin, & d’un sixieme plus que la corde de chanvre la plus parfaite. La corde de nerf soûtint 780 livres avant sa rupture. On remarqua qu’en s’allongeant par les charges successives qu’on lui donnoit, les pertes que faisoit son diametre étoient à-peu-près en même raison que les accroissemens que prenoit sa longueur, & qu’après la rupture elle se restitua exactement à sa longueur & grosseur premieres.

On a substitué ces cordes aux ressorts des chaises de poste & d’autres voitures, & elles y ont très-bien réussi. Elles n’ont pas encore toute la vogue qu’elles méritent & qu’elles obtiendront, parce qu’il en est dans ce cas comme dans une infinité d’autres ; on consulte toûjours des ouvriers intéressés à faire prévaloir les anciens usages. C’est à un serrurier qui fait des ressorts qu’on s’adresse pour savoir si les cordes de nerfs sont ou ne sont pas meilleures que les ressorts. M. de Lanore, dont M. le comte d’Herouville s’est particulierement servi, soit à recueillir ce que les anciens tacticiens grecs & latins avoient écrit des catapultes, ballistres, & autres machines de guerre auxquelles ils employoient les cordes de nerf, soit à fabriquer les premieres, en a obtenu le privilége exclusif ; & il seroit à souhaiter que les ouvriers allassent prendre des instructions chez un homme à qui cet objet est très-bien connu, ils s’épargneroient aussi à eux-mêmes tout le tems & le travail qu’on perd nécessairement en essais.

On dit que ces cordes sont facilement endommagées par l’humidité, mais on peut les en garantir en très-grande partie par des fourreaux : on présume qu’une lessive, telle que celle que les ouvriers en cordes à boyau, soit pour machines, soit pour instrumens de musique, donnent à leurs boyaux avant que de les tordre, pourroit ajoûter & à l’élasticité & à la durée des cordes de nerf, si on faisoit passer par cette lessive le nerf, soit avant que de le battre, soit après qu’il est battu & peigné. Pourquoi ne suppléeroit-elle pas au roüir du chanvre, en séparant la membrane des fibres, de même que le roüir separe l’écorce de la chenevote. C’est à l’expérience à confirmer ou détruire cette idée qui nous a été communiquée par un homme que sa fortune & son état n’empêchent point de s’occuper de la connoissance & de la perfection des Arts ; ainsi qu’il vient de le prouver par quelques vûes qu’il a communiquées au public sur le tirage des voitures ; c’est de la même personne que nous tenons le dessein du roüet des faiseurs de cordes d’instrumens de musique, & des éclaircissemens sur l’art de les fabriquer.

Des cordes de cheveux. Les anciens ont aussi fait filer des cordes de cheveux, dans des circonstances fâcheuses qui les y déterminoient. Les dames de Carthage se couperent les cheveux, pour fournir des cordes aux machines de guerre qui en manquoient. Les femmes Romaines en firent autant dans une extrémité semblable : maluerunt pudicissimæ matronæ, deformato capite, liberè vivere cum maritis, quam hostibus, integro decore, servire. Je ne cite que ces deux exemples, entre un grand nombre d’autres que j’omets, & dont je ne ferois qu’un éloge très-modéré si je les rapportois, le sacrifice des cheveux me paroissant fort au-dessous de ce que des femmes honnêtes & courageuses ont fait en tout tems & font encore tous les jours.

Les Méchaniciens se proposent sur les cordes en général plusieurs questions, telles que les suivantes ;

quelle est la force des cordes en elle-même ? quel est leur effet dans les machines ? quelles sont leurs vibrations quand elles sont frappées. Voyez là-dessus les articles suivans.

Corde, (Méchaniq.) Quelle est la force d’une corde relativement à celle des fils dont elle est composée, si on en prend la somme, en les éprouvant séparément ? Le tortillement ajoute-t-il à la force des cordes ou la diminue-t-il ? Voyez l’article Corderie.

Corde, (Méchaniq.) De la résistance des cordes. La résistance des cordes est fort considérable, & doit par toutes sortes de raisons entrer dans le calcul de la puissance des machines. M. Amontons remarque dans les mém. de l’académie royale des Sciences, 1699,qu’une corde est d’autant plus difficile à courber 1°. qu’elle est plus roide & plus tendue par le poids qu’elle porte : 2°. qu’elle est plus grosse : & 3°. qu’elle est plus courbée, c’est-à-dire qu’elle enveloppe un plus petit cylindre.

Il rapporte des expériences qu’il a faites pour s’assûrer des proportions dans lesquelles ces différentes résistances augmentent ; ces expériences apprennent que la roideur de la corde occasionnée par le poids qui la tire, augmente à proportion du poids, & que celle qui vient de l’épaisseur de la corde augmente à proportion de son diametre : enfin que celle qui vient de la petitesse des poulies autour desquelles elle doit être entortillée, est plus forte pour les petites circonférences que pour les grandes, quoiqu’elle n’augmente pas dans la même proportion que ces circonférences diminuent.

D’où il s’ensuit que la résistance des cordes dans une machine, étant estimée en livres, devient comme un nouveau fardeau qu’il faut ajoûter à celui que la machine devoit élever : & comme cette augmentation de poids rendra les cordes encore plus roides, il faudra de nouveau calculer cette augmentation de résistance. Ainsi on aura plusieurs sommes décroissantes, qu’il faudra ajoûter ensemble comme quand il s’agit du frottement, & qui peuvent se monter très-haut. Voyez Frottement.

En effet, lorsqu’on se sert de cordes dans une machine, il faut ajoûter ensemble toutes les résistances que leurs roideurs produisent, & toutes celles que le frottement occasionne ; ce qui augmentera si considérablement la difficulté du mouvement, qu’une puissance méchanique qui n’a besoin que d’un poids de 1500 liv. pour en élever un de 3000 liv. par le moyen d’une moufle simple, c’est-à-dire d’une poulie mobile & d’une poulie fixe, doit, selon M. Amontons, en avoir un de 3942 livres, à cause des frottemens & de la résistance des cordes.

Ce que nous venons de dire des poulies doit servir de regle dans l’usage des treuils, des cabestans, &c. & des autres machines pour lesquelles on se sert de cordes : si on négligeoit de compter leur roideur, on tomberoit infailliblement dans des erreurs considérables, & le mécompte se trouveroit principalement dans les cas où il est très-important de ne se point tromper, je veux dire dans les grands effets ; car alors les cordes sont nécessairement fort grosses & fort tendues.

C’est d’après ce principe, qu’on examine dans les mémoires de l’académie de 1739, quelle est la meilleure maniere d’employer les seaux pour élever de l’eau. Car il est certain que de la maniere dont on les employe ordinairement, le poids de la corde s’ajoute à celui du seau ; de sorte que si le puits a 150 piés, par exemple, de profondeur, on aura un plus grand effort à faire au commencement de l’action ou de l’élevation du seau que vers la fin, parce qu’au commencement on aura à soûtenir le poids du seau, plus celui de toute la corde, qui, si elle pese deux livres par toise, en pesera 50 pour ce puits de 25