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procédés, & il continue, tout court, ou il continue d’en avoir ; mais non il les continue. Cet ouvrage se continue ; le bruit continue. Continuer peut être relatif à continué & à continu : quand il est relatif à continu, il ne marque point d’interruption ; quand il est relatif à continué, il en peut marquer ; car le continu n’a point cessé, & le continué a pû cesser.

Continuer l’audience à un tel jour, (Jurisprud.) signifie que la cause commencée continuera d’être plaidée le jour qui est indiqué ; ce qui est fort différent de remettre l’audience ou la cause à un tel jour, en ce qu’une remise ne fait pas que la cause soit réputée commencée, & n’est pas réputée une journée de la cause. Cette distinction est de conséquence dans certaines matieres, comme en retrait lignager, où il faut des offres à chaque journée de la cause. (A)

CONTINUITÉ, s. f. (Physiq.) se définit ordinairement, chez les scholastiques, la cohésion immédiate des parties dans un même tout. D’autres la définissent un mode du corps par lequel ses extrèmes ne deviennent qu’un : d’autres enfin, l’état d’un corps résultant de l’union intime de ses parties. Voyez Continu, &c.

Il y a deux sortes de continuité, l’une mathématique, & l’autre physique. La premiere est l’état d’un corps dont on suppose les parties immédiatement voisines les unes des autres, & se touchant par-tout : elle est purement imaginaire & de supposition, puisqu’elle suppose des parties réelles ou physiques où il n’y en a point. Voyez Pore.

La continuité physique est cet état de deux ou de plusieurs parties ou particules, dans lequel elles paroissent adhérer ou former un tout non interrompu ou continu, ou entre lesquelles nous n’appercevons aucun espace intermédiaire. Voyez Continu.

Les scholastiques distinguent encore deux sortes de continuité ; l’une homogene, l’autre hétérogene : la premiere est celle où nos sens n’appercoivent pas les extrémités des parties, ou plûtôt leur distinction ; telle est celle des parties de l’air & de l’eau : la seconde est celle où nos sens apperçoivent à la vérité l’extrémité de certaines parties, mais en même tems où ils découvrent que ces mêmes parties, soit par leur figure, soit par leur situation, sont étroitement enchaînées les unes avec les autres ; c’est celle qu’on observe dans les corps des plantes & des animaux.

La continuité des corps est un état purement relatif à la vûe & au toucher ; c’est-à-dire que si la distance de deux objets séparés est telle, que l’angle sous lequel on les voit soit insensible aux yeux, ce qui arrivera s’il est au-dessous de seize secondes, ces deux corps séparés paroîtront contigus. Or la continuité est le résultat de plusieurs objets contigus : donc si des objets visibles en nombre quelconque sont placés à une telle distance les uns des autres, qu’on voye leur distance sous un angle au-dessous de seize secondes, ils paroîtront ne former qu’un corps continu. Donc comme nous pouvons déterminer la distance à laquelle un espace quelconque devient invisible, il est aisé de trouver à quelle distance deux corps quelconques, quelque éloignés qu’ils soient, paroîtront comme contigus, & où plusieurs corps n’en formeront qu’un continu. Pour la cause physique de la continuité, voyez Cohésion. Chambers. (O)

Continuité, (loi de) c’est un principe que nous devons à M. Leibnitz, & qui nous enseigne que rien ne se fait par saut dans la nature, & qu’un être ne passe point d’un état dans un autre, sans passer par tous les différens états qu’on peut concevoir entr’eux. Cette loi découle, suivant M. Leibnitz, de l’axiome de la raison suffisante. En voici la déduction. Chaque état dans lequel un être se trouve, doit avoir sa raison suffisante pourquoi cet être se trouve dans cet état plûtôt que dans tout autre ; & cette raison ne peut

se trouver que dans l’état antécédent. Cet état antécédent contenoit donc quelque chose qui a fait naître l’état actuel qui l’a suivi ; ensorte que ces deux états sont tellement liés, qu’il est impossible d’en mettre un autre entre deux : car s’il y avoit un état possible entre l’état actuel & celui qui l’a précédé immédiatement, la nature auroit quitté le premier état, sans être encore déterminée par le second à abandonner le premier ; il n’y auroit donc point de raison suffisante pourquoi elle passeroit plûtôt à cet état qu’à tout autre état possible. Ainsi aucun être ne passe d’un état à un autre, sans passer par les états intermédiaires ; de même que l’on ne va pas d’une ville à une autre, sans parcourir le chemin qui est entre deux. Cette loi s’observe dans la Géométrie avec une extrème exactitude. Tous les changemens qui arrivent dans les lignes qui sont unes, c’est-à-dire dans une ligne qui est la même, ou dans celles qui font ensemble un seul & même tout ; tous ces changements, dis-je, ne se font qu’après que la figure a passé par tous les changemens possibles qui conduisent à l’état qu’elle acquiert. Les points de rebroussement qui se trouvent dans plusieurs courbes, & qui paroissent violer cette loi de continuité, parce que la ligne semble se terminer en ce point, & rebrousser subitement en un sens contraire, ne la violent cependant point : on peut faire voir qu’à ces points de rebroussement il se forme des nœuds, dans lesquels on voit évidemment que la loi de continuité est suivie ; car ces nœuds étant infiniment petits, prennent la forme d’un seul & unique point de rebroussement. Ainsi dans la fig. 104. de la Géométrie, si le nœud AD s’évanoüit, il deviendra le point de rebroussement T. Voyez Nœud & Rebroussement.

La même chose arrive dans la nature. Ce n’est pas sans raison que Platon appelloit le Créateur, l’éternel Géometre. Il n’y a point d’angles proprement dits dans la nature, point d’inflexions ni de rebroussemens subits ; mais il y a de la gradation dans tout, & tout se prépare de loin aux changemens qu’il doit éprouver, & va par nuances à l’état qu’il doit subir. Ainsi un rayon de lumiere qui se réfléchit sur un miroir, ne rebrousse point subitement, & ne fait point un angle pointu au point de la réflexion ; mais il passe à la nouvelle direction qu’il prend en se réfléchissant par une petite courbe, qui le conduit insensiblement par tous les degrés possibles qui sont entre les deux points extrèmes de l’incidence & de la réflexion. Il en est de même de la réfraction : le rayon de lumiere ne se rompt pas au point qui sépare le milieu qu’il pénetre & celui qu’il abandonne ; mais il commence à subir une inflexion avant que d’avoir pénétré dans le nouveau milieu ; & le commencement de sa réfraction est une petite courbe qui sépare les deux lignes droites qu’il décrit en traversant deux milieux hétérogenes & contigus.

Les partisans de ce principe prétendent qu’on peut s’en servir pour trouver les lois du mouvement. Un corps, disent-ils, qui se meut dans une direction quelconque, ne sauroit se mouvoir dans une direction opposée, sans passer de son premier mouvement au repos par tous les degrés de retardation intermédiaires, pour repasser ensuite par des degrés insensibles d’accélération du repos au nouveau mouvement qu’il doit éprouver. Presque toutes les lois du mouvement proposées par M. Descartes sont fausses, selon les Leibnitiens, parce qu’elles violent le principe de continuité. Telle est, par exemple, celle qui veut que si deux corps B & C se rencontrent avec des vîtesses égales, mais que le corps B soit plus grand que le corps C ; alors le seul corps C retournera en arriere, & le corps B continuera son chemin, tous deux avec la même vîtesse qu’ils avoient avant le choc. Cette regle est démentie par l’expé-