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les accidens, sont autant de petites entités qui vont se placer d’elles-mêmes dans tous les êtres. Moyennant ce système, il n’y a point d’être dans tout l’univers qui ne renferme une infinité d’ordres d’infini, élevés les uns sur les autres. Ce que la divisibilité des parties à l’infini est à la matiere, la multitude d’êtres à l’infini l’est même aux esprits : & ce qu’il y a de singulier, c’est que des entités toutes spirituelles s’allient dans ce système avec les êtres les plus matériels, s’il est permis de parler ainsi : car que sont autre chose ce qu’on appelle dans l’école degrés métaphysiques ? y a-t-il d’être qui n’ait ses degrés métaphysiques ; & si, comme le prétendent les Scotistes, tous ces degrés existent réellement dans les objets, je ne vois pas comment ils pourroient se défendre d’enter sur la matiere, des entités purement spirituelles & indivisibles. Voilà, à proprement parler, en quoi consiste le foible de leur système. Les Thomistes plus sensés prodiguent moins les êtres : ils n’en voyent que là où ils apperçoivent des idées totales & complettes. Voyez Degré, &c.

La distinction en général est de deux sortes, réelle, & mentale, autrement de raison. La premiere suppose des êtres qui ne sont pas les mêmes, indépendamment de ce que l’esprit en pense ; & la seconde, des choses que l’esprit distingue, quoiqu’elles soient réellement les mêmes. Telle est la distinction qui se trouve entre une chose & son essence, entre son essence & ses propriétés.

Les Scotistes, autrement les Réalistes, admettent trois sortes de distinctions réelles ; l’une pour les êtres qui peuvent exister séparément, comme le corps & l’ame ; l’autre pour deux êtres, dont l’un peut être séparé de l’autre, sans que cela soit réciproque entr’eux, comme la substance & l’accident qui la modifie ; la troisieme enfin, pour les êtres qui ne sont tous deux que des modalités. La premiere de ces distinctions s’appelle réelle majeure, la seconde mineure, & la troisieme la plus petite ; comme si la distinction étoit susceptible de plus & de moins.

La distinction mentale ou de raison est de deux sortes ; l’une est dite distinction rationis ratiocinantis ; & l’autre rationis ratiocinatæ, comme l’on parle dans les écoles. La premiere est celle que l’esprit met dans les choses, sans qu’il y ait en elles aucun fondement qui autorise une telle distinction : telle seroit, par exemple, la distinction qui se trouve entre Cicéron & Tullius. Comme cette distinction ne roule que sur des mots, ceux qui en sont les défenseurs sont appellés nominaux. Un de leurs chefs est Okam, cordelier anglois, qui vivoit dans le quatorzieme siecle. Ils entroient dans un grand détail des mots, s’appésantissoient scrupuleusement sur toutes les syllabes ; c’est ce qui leur attira le reproche injurieux de vendeurs de mots, ou marchands de paroles. Cette secte s’éleva vers la fin du onzieme siecle. Ils prétendoient être sectateurs de Porphire & d’Aristote ; mais ils ne commencerent à° porter le nom de nominaux que du tems d’Okam : ils furent les fondateurs de l’université de Léipsik. On trouve encore aujourd’hui beaucoup de philosophes qui se piquent d’être nominaux.

La distinction de raison raisonnée, rationis ratiocinatæ, est celle que l’esprit met dans les choses, lorsqu’il y a une raison légitime pour cela. Le fondement de cette distinction est de deux sortes : ou il est extrinseque, & c’est alors la variété des effets qui donne naissance à la distinction ; ou il est intrinseque, & c’est alors l’excellence d’une vertu qui produit différens effets. Si l’on considere cette distinction du côté de la chose, elle est appellée virtuelle ; mais si on l’envisage par rapport à l’esprit, elle retient le nom de distinction de raison raisonnée. Considérée sous le premier rapport, c’est moins une distinction, que le fondement d’une distinction : considérée de la

seconde maniere, c’est une vraie distinction appuyée sur un fondement réel. On appelle autrement cette distinction thomistique, du nom des Thomistes.

DISTIQUE, (Belles-Lettres) c’est un couplet de vers, ou petite piece de poésie dont le sens se trouve renfermé dans deux vers, l’un hexametre, & l’autre pentametre : tel est ce fameux distique que Virgile fit à l’occasion des fêtes données par Auguste.

Nocte pluit totâ, redeunt spectacula mane ;
     Divisum imperium cum Jove Cæsar habet.

Et celui-ci bien plus digne d’être connu :

Unde superbit homo, cujus conceptio casus,
   Nasci pœna, labor vita, necesse mori ?

Ce mot est formé du grec δὶς, deux fois, & de στίχος, vers.

Les distiques de Caton sont fameux, & plus admirables par l’excellente morale qu’ils renferment, que par les graces du style. Voyez ce qu’en dit Vigneul Marville, tom. I. pag. 54 & 55. (G)

Les élégies des anciens ne sont qu’un assemblage de distiques ; & à l’exception des métamorphoses, c’est la forme qu’Ovide a donnée à tous ses autres ouvrages. Le nom de distique est demeuré affecté à la poésie greque & latine. Voyez Vers.

Quelques-uns de nos poëtes ont écrit en distiques. Ce sont communément ceux qui ont pensé vers-à-vers. On dit de Boileau qu’il commençoit par le second vers, afin de s’assûrer qu’il seroit le plus fort. Cette marche est monotone & fatiguante à la longue : elle rend le style lâche & diffus, attendu qu’on est obligé souvent d’étendre, & par conséquent d’affoiblir sa pensée, afin de remplir deux vers de ce qui peut se dire en un : elle est sur-tout vicieuse dans la poësie dramatique, où le style doit suivre les mouvemens de l’ame, & approcher le plus qu’il est possible de la marche libre & variée du langage naturel. En général, la grande maniere de versifier, c’est de penser en masse, & de remplir chaque vers d’une portion de la pensée, à-peu-près comme un sculpteur prend ses dimensions dans un bloc pour en former les différentes parties d’une figure ou d’un groupe, sans altérer les proportions. C’est la maniere de Corneille, & de tous ceux dont les idées ont coulé à pleine source. Les autres ont imaginé, pour ainsi dire, goutte-à-goutte, & leur style est comme un filet d’eau pure à la vérité, mais qui tarit à chaque instant. Voyez Style, Vers, &c. Article de M. Marmontel.

DISTORSION, s. f. en Medecine, se dit de la bouche, distorsio oris, lorsque cette partie du visage & celles qui l’avoisinent, sont tirées de côté, de maniere que l’angle des levres soit porté en haut ou en bas, ou transversalement hors de leur situation ordinaire.

Lorsque la distorsion de la bouche a lieu des deux côtés, c’est ce qu’on appelle spasme cynique, ou rire de chien, parce que cet animal en colere écarte les deux angles de la gueule vers les oreilles, en relevant & ridant la levre supérieure ; ce qui est une menace de mordre : on l’appelle encore rire sardonique, par sa ressemblance avec l’effet d’une plante, qui se trouve dans l’île de Sardaigne : c’est une espece de renoncule à feuille d’ache, qui cause l’écartement des deux angles de la bouche à ceux qui en ont mangé, & les fait mourir avec l’apparence d’un visage riant ; ce qui a fait donner à cette plante le nom d’apium risûs.

On appelle encose distorsion de la bouche, la figure viciée du visage, par la rétraction involontaire d’un des angles des levres, & quelquefois le tiraillement de toutes les parties d’un même côté ; ce qui est plus particulierement nommé par Platerus tor-