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évêque si-tôt que celui-ci a appellé au saint siége, comme si, du moins avant cet appel, la condamnation d’un évêque étoit du ressort de la jurisdiction d’un prince séculier ? Le second canon renferme la même maxime, que l’autorité du pape est nécessaire pour la célébration des conciles généraux ; aussi n’a-t-il pas une source plus pure. Il est tiré d’une lettre faussement attribuée au pape Jules I. qui contient un rescrit contre les Orientaux en faveur d’Athanase. M. Bini, dans ses notes, avoue que cette decrétale est altérée, pleine de fautes, & composée de différens fragmens. Le pere Labbe va plus loin, & n’hésite point à dire qu’elle est entierement fausse, & n’hésite à plaisir, tome III. des conc. p. 483. & 494. Elle paroît écrite en haine du concile d’Antioche, tenu l’an 341 ; & c’est ce qui en fait voir la fausseté ; car elle est adressée aux consuls Félicien & Titien, qui, suivant les fastes consulaires, étoient consuls en l’an 337, par conséquent quatre ans avant la tenue du concile qu’elle blâme. Les canons iij. & jv. sur lesquels Gratien croit pouvoir fonder son opinion, & qu’il cite dans cette vûe, ne prouvent nullement que le concile œcuménique doive être convoqué par l’autorité du pape. Dans le canon iij. on y statue en général, que personne n’ait la témérité de s’arroger ce qui n’appartient qu’au souverain pontife, sous peine d’être privé de tous les honneurs ecclésiastiques. Cette décision ainsi conçûe d’une façon générale, ne regarde en aucune maniere les conciles, si ce n’est en ce qu’elle est tirée de la lettre qui passe pour être la quatrieme de celles qui sont attribuées au pape Damase, & adressées à Etienne archevêque d’Afrique, & aux conciles de la même province. Or la fausseté de cette lettre paroît, tant par les reserves fréquentes qu’on y fait au saint siége des causes majeures (quoiqu’elles fussent alors inconnues de nom & d’effet), que par la date du consulat qui rapporte la lettre à l’an 400, quoique le pape Damase fût mort dès l’année 384. Dans le canon jv. il est question de quelques évêques qui, lorsqu’il s’élevoit des doutes sur ce qui avoit été statué par les conciles généraux, s’assembloient dans des conciles particuliers, & là jugeoient le concile général ; ce que le pape Pélage I. condamne. Il desapprouve donc qu’un concile particulier ose juger un concile universel, dont la décision est celle de toute l’Eglise ; & il ordonne que dans le cas où les évêques auront quelques doutes sur les statuts des conciles généraux, ils en écrivent au plûtôt aux siéges apostoliques, c’est-à-dire fondés par les apôtres, dans les archives desquels on gardoit les vrais actes des conciles, afin qu’ils trouvent là sûrement ce qu’ils cherchent. On ajoûte dans ce canon, que si ces évêques sont tellement opiniâtres qu’ils refusent d’être instruits, alors il est nécessaire qu’ils soient attirés au salut de quelque façon que ce soit par les siéges apostoliques, ou qu’ils soient réprimés suivant les canons par les puissances séculieres. Cette addition nous semble suspecte, en ce que nous ne voyons pas comment les siéges apostoliques peuvent attirer au salut ceux qui refusent opiniâtrement d’être instruits : ainsi nous présumons que la fin du canon n’est point de Pélage I ; peut-être même la lettre entiere, d’où le canon est tiré, est-elle fausse. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle ne se trouve pas parmi les lettres de Pélage, & qu’elle n’a paru que depuis environ un siecle, tems auquel Luc Holstein nous l’a restituée d’après plusieurs fragmens. Le canon v. est tiré de la lettre qui porte le nom de Pélage II. avec cette inscription : Dilectissimis fratribus, universis episcopis qui illicitâ vocatione Joannis Constantinopolitani episcopi ad synodum Constantinopolim convenerunt, Pelagius. On reconnoît la supposition de cette lettre à tant de marques, que le pere Labbe, tome V. des conc. p. 948.

assûre avec confiance dans une note marginale, que ce seroit être de mauvaise foi que de ne pas la mettre au rang des fausses decrétales dont Isidore nous a infectés ; qu’à la vérité Pélage II. avoit écrit à ce sujet, mais qu’on a perdu la véritable lettre, & qu’on y a substitué celle-ci qui a été fabriquée à dessein, comme le démontrent le style, qui n’est pas celui du tems, & plusieurs autres choses renfermées dans le contexte de la lettre. De-là on peut juger de quel poids est ce canon, lorsqu’il prononce qu’on ne doit pas célébrer de concile sans l’avis du souverain pontife ; qu’autrement ce n’est point un concile, mais un conciliabule. Le mot Latin sententia, dont se sert ici l’imposteur, signifie la convocation dans le sens qu’il lui donne, au lieu que nous nous contentons de dire qu’il faut demander le consentement du saint siége. A l’égard du canon vj. on ne peut lui imputer d’être falsifié ; mais c’est mal-à-propos que Gratien le cite pour appuyer son système ; il n’en peut rien conclure qui lui soit favorable. Voici en peu de mots l’histoire & l’exposition de ce canon. Les patriciens Faustinus & Probinus intenterent divers chefs d’accusation contre le pape Simmaque, pardevant Théodoric roi d’Italie, qui renvoya la connoissance de cette affaire au concile de Rome. Simmaque ayant été déchargé de ces accusations dans le quatrieme concile de Rome, ses ennemis écrivirent contre le concile, & donnerent ce titre à leur ouvrage : Adversus synodum absolutionis incongruæ. Ennodius évêque de Pavie entreprit l’apologie du concile, & cette apologie fut approuvée dans le cinquieme concile. Dans cette apologie Ennodius fait tous ses efforts pour relever l’autorité du saint siége & du pape ; il lui arrive même très-souvent de passer les bornes légitimes : par exemple, il prétend que le successeur de S. Pierre ne peche jamais ; il fonde ce privilége de ne point pécher, tant sur les mérites du chef des apôtres, que sur la prééminence de la dignité en laquelle le pape lui a succédé. C’est de cette apologie rapportée tom. IV. des conc. p. 1340, jusqu’à la page 1359, qu’est tiré le canon dont nous parlons ici. Les adversaires d’Ennodius objectoient ce qui se lit au commencement du canon : Numquid ob id quod præsentiam papa non habuerint, instituta ex regulis ecclesiasticis per singulos annos in quibusque provinciis concilia, eâ ratione invalida sint ? ce qui seroit absurde, de l’aveu même des correcteurs Romains. Ennodius répond : Legistis, insanissimi, &c. & il se laisse tellement emporter à son zele, qu’il soûtient qu’on ne trouve rien d’établi dans les conciles provinciaux contre la décision du saint siége, & même que les causes majeures doivent y être renvoyées ; ce qu’il faut entendre des provinces voisines de Rome, & non des autres, où certainement on célébroit alors des conciles provinciaux sans que le pape s’en mêlât, & qu’il y eût la moindre part. Il est donc évident qu’il ne s’agit point dans ce canon des conciles œcuméniques ; & d’ailleurs l’on voit par les faits qui ont donné lieu à l’apologie d’Ennodius, combien dans ces tems-là le pape étoit peu respecté en Italie.

Nous avons démontré le peu de solidité des autorités compilées par Gratien, pour établir que le pape a le droit de convoquer les conciles généraux à l’exclusion de toute autre puissance. Nous sommes parvenus à ce but en arrachant le masque de l’antiquité que portoient la plûpart de ces autorités, ou en rendant sensible la fausseté des applications. Par-là les réflexions que nous avons faites pour justifier la conduite des empereurs qui ont convoqué des conciles, demeurent dans toute leur force : s’ils ont cessé d’exercer ce droit après l’époque que nous avons marquée, c’est-à-dire après les huit premiers conciles, nous devons l’attribuer sans doute aux changemens