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térieur de la pénitence ! Et à la page 473. & 474. Pour la plûpart des Chrétiens il n’y a guere, moralement parlant, d’autre moyen de salut que la fréquente communion. Venons à la preuve. Combien ne peuvent pas jeûner ? combien ne peuvent pas faire de longues prieres ? l’aumône est impossible à tous les pauvres : la solitude & la fuite du monde ne conviennent pas à ceux qui sont mariés, & à ceux qui sont en place. Pour se sauver, ajoûte-t-il, il faudroit une priere fervente & continuelle ; les gens du monde sont trop occupés, trop dissipés : il faudroit faire l’aumône, une nombreuse famille met hors d’état de la faire : il faudroit jeûner, dompter sa chair rébelle ; un tempérament délicat & infirme s’y oppose : il faudroit par un travail assidu se tirer d’une dangereuse oisiveté ; les richesses donnent un funeste repos : votre salut demanderoit la fuite du monde, une profonde solitude ; une épouse, des enfans, retiennent dans le tracas du siecle. Que faire donc ? Comparons, dit-il, page 369. les moyens de salut marqués dans l’Evangile : auquel de ces moyens vous déterminerez-vous ? est ce à une priere continuelle, à un jeûne continuel, à une solitude profonde, à la distribution de tout votre bien aux pauvres, aux exercices les plus humilians de la charité dans les hôpitaux, dans les prisons, à la pratique d’une pureté virginale ? chacun de ces moyens allarme l’amour-propre, effraye les sens, & desespere une foible volonté comme la nôtre : mais communier souvent, souvent nous unir à Jesus-Christ, est une voie bien plus aisée. Et à la page 372. le pauvre & le riche, l’homme d’épée & l’homme de robe, l’artisan & le marchand, tout le monde enfin peut aisément participer à ce sacrement adorable, sans ruiner sa santé, sans abandonner sa famille, son commerce, son emploi ; on ne peut y opposer raisonnablement aucune impossibilité : disons mieux, on a pour communier souvent toutes les facilités imaginables. D’où cet auteur conclut, p. 472. que c’est un grand mal que de ne pas employer un remede qui est, pour ainsi dire, à la main, qui nous est si proportionné, & qui peut suppléer à tous les autres remedes. Or il avoit dit de ce remede, page 470. qu’il corrige nos défauts sans amertume ; qu’il guérit nos plaies sans douleur ; qu’il purifie notre cœur sans violence ; qu’il sanctifie sans allarme, & presque sans combat ; qu’il nous détache & sépare de nous-mêmes, sans nous donner les convulsions de la mort ; & qu’il nous arrache aux créatures & nous unit à Dieu sans agonie. N’est-ce pas enseigner assez clairement qu’il n’y a guere pour les gens du monde de pénitence plus facile & plus abregée que la fréquente communion ? »

5°. On lui a reproché d’avoir dit, page 355. qu’il en est de l’eucharistie comme du baptême, qui agit sur les enfans & donne la grace sans aucune autre disposition.

6°. D’avoir parlé avec peu de décence de la pénitence publique autrefois en usage dans l’Eglise, en l’appellant, page 323. une pénitence de cérémonie.

7°. D’avoir tronqué, altéré, falsifié des passages des peres, des papes, des conciles, pour en tirer des preuves en faveur de son sentiment.

8°. D’avoir imaginé ou allégué des histoires apocryphes, pour l’appuyer & en tirer des conséquences favorables à ses opinions.

Ce livre fit tant de bruit, que l’auteur se crut obligé de se retracter : & c’est ce qu’il fit par une lettre datée de Strasbourg, le 24 de Janvier 1748, & adressée à M. l’archevêque de Paris, qui la rendit publique. Cette rétractation mit à couvert la personne de l’auteur ; mais elle ne garantit pas son livre de

la condamnation qu’en porterent vingt évêques de France, les uns par des remarques, les autres par des mandemens ou instructions pastorales, par lesquels ils interdirent la lecture de ce livre dans leurs dioceses. M. l’archevêque de Besançon & M. l’évêque de Marseille rétracterent les approbations qu’ils avoient d’abord données à l’ouvrage ; & les évêques se crurent d’autant plus en droit de le condamner, malgré la soûmission de l’auteur, que, comme dit l’un d’entre ces prélats, « un auteur qui condamne de bonne foi son ouvrage, qui se repent amérement devant Dieu de l’avoir donné au public, desire sincerement qu’il ne soit point épargné : plein d’indignation contre ses malheureuses productions, qui ont allarmé tous les gens de bien, il les livre à l’autorité de la justice la plus respectable : plus il déteste toutes les erreurs qui lui ont échapé, plus il souhaite qu’il n’y en ait aucune qui soit exempte de condamnation ». Avis de M. l’archevêque de Tours aux fideles de son diocese.

Les principales autorités qu’on a opposées au pere Pichon sont, outre les passages de S. Chrysostome & de Gennade, que nous avons rapportés au commencement de cet article, 1°. cet endroit de la dix-septieme homélie de S. Chrysostome sur l’épitre aux Hébreux : « Les choses saintes sont pour les saints, sancta sanctis : le cri plein de majesté que le diacre, élevant sa main & se tenant debout, fait retentir au milieu du silence qui regne dans la célébration des saints mysteres, est comme une main invisible qui repousse les uns, pendant qu’elle appelle & fait approcher les autres : comme si le ministre sacré disoit : si quelqu’un n’est pas saint, qu’il se retire. Il ne dit pas : si quelqu’un n’est pas purifié de ses péchés, mais si quelqu’un n’est pas saint. Car c’est la seule habitation du S. Esprit, & l’abondance des bonnes œuvres, & non la seule exemption du péché, qui fait les saints. Ce n’est donc pas assez que vous soyez lavés de la boue, j’exige encore que vous soyez éclatans par la blancheur & par la beauté de votre ame. Que ceux-là donc approchent, & touchent avec respect à la coupe sacrée du roi ». 2°. Cet endroit de S. Thomas, in. 4. dist. jx. art. 4. Non esset consulendum alicui quod statim post peccatum mortale, etiam contritus & consessus, ad eucharistiam accederet ; sed deberet, nisi magna necessitas urgeret, per aliquod tempus propter reverentiam abstinere. Autorités qui paroissent bien diamétralement opposées à ce qu’a avancé le P. Pichon, que l’exemption de péché mortel étoit la seule disposition nécessaire & suffisante pour communier fréquemment.

2°. Qu’outre cette exemption de péché mortel, le concile de Trente exige, du moins pour la communion fréquente, d’autres dispositions de ferveur : Si non decet ad sacras ullas functiones quempiam accedere nisi sanctè ; certe quo magis sanctitas & divinitas cælestis hujus sacramenti viro christiano comperta est, diligentius cavere debet, ne absque magnâ reverentiâ & sanctitate ad id percipiendum accedat. Sess. 13. ch. vij.

3°. A sa distinction de sainteté commandée & de sainteté conseillée, on a opposé ce passage de Salazar Jésuite, dans son traité de la pratique & de l’usage de la communion, ch. viij. où à l’exemption du péché mortel il ajoûte la droiture d’intention, l’attention, la révérence, & la dévotion ou desir. « Prétendre, comme le disent quelques-uns, que le défaut d’attention n’est pas contraire à la sainte communion, est une doctrine fausse, contraire à la raison, à la doctrine des saints peres, à de S. Thomas en particulier ». Et à la fin du même chapitre : « Il se collige clairement de tout ce qui a été dit jusqu’ici : Combien se trompent lourdement ceux qui disent que toutes ces dispositions sont seulement de con-