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nua par la perte d’un grand nombre de sujets, & par le partage qui s’en fit dans tous les pays où l’on vouloit s’enrichir : jamais plus grand sacrifice ne fut offert à la Religion.

Depuis, chaque état de l’Europe a eu des intérêts de Commerce, & a cherché à les aggrandir respectivement à ses forces ou à celles de ses voisins, tandis que la France, l’Angleterre & la Hollande, se disputent le Commerce général.

La France à qui la Nature a donné un superflu considérable, semble s’occuper plus particulierement du commerce de luxe.

L’Angleterre, quoique très-riche, craint toûjours la pauvreté, ou feint de la craindre ; elle ne néglige aucune espece de profit, aucuns moyens de fournir aux besoins des autres nations ; elle voudroit seule y pourvoir, tandis qu’elle diminue sans cesse les siens.

La Hollande supplée par la vente exclusive des épiceries à la médiocrité de ses autres productions naturelles ; son objet est d’enlever avec œconomie celles de tous les, peuples pour les répandre avec profit. Elle est plus jalouse qu’aucun autre état de la concurrence des étrangers, parce que son commerce ne subsiste que par la destruction de celui des autres nations.

L’histoire du Commerce nous présente trois reflexions importantes.

1°. On y a vû des peuples suppléer par l’industrie au défaut des productions de la terre, & posséder plus de richesses de convention, que ceux qui étoient propriétaires des richesses naturelles. Mais cette industrie consistoit toûjours à distribuer dans chaque pays les richesses naturelles dont il étoit dépourvû ; & réciproquement sans industrie aucun peuple n’a possédé abondamment l’or & l’argent qui sont les richesses de convention.

2°. Un peuple perd insensiblement son commerce, s’il ne fait pas tout celui qu’il pourroit entreprendre. En effet toute branche de Commerce suppose un besoin, soit réel, soit d’opinion ; son profit donne les moyens d’une autre entreprise ; & rien n’est si dangereux que de forcer d’autres peuples à se procurer eux-mêmes leurs besoins, ou à y suppléer. L’on a toûjours vû les prodiges de l’industrie éclorre du sein de la nécessité ; les grands efforts qu’elle occasionne sont semblables au cours d’un torrent impétueux, dont les eaux luttent avec violence contre les digues qui les resserrent, les renversent à la fin, & se répandent dans les plaines.

3°. Une grande population est inséparable d’un grand commerce, dont le passage est toûjours marqué par l’opulence. Il est constant que les commodités de la vie sont pour les hommes l’attrait le plus puissant. Si l’on suppose un peuple commerçant environné de peuples qui ne le sont pas, le premier aura bien-tôt tous les étrangers auxquels son commerce pourra donner un travail & un salaire.

Ces trois réflexions nous indiquent les principes du Commerce dans un corps politique en particulier. L’Agriculture & l’industrie en sont l’essence ; leur union est telle, que si l’une l’emporte sur l’autre, elle vient à se détruire elle-même. Sans l’industrie, les fruits de la terre n’auront point de valeur ; si l’Agriculture est négligée, les sources du Commerce sont taries.

L’objet du Commerce dans un état est d’entretenir dans l’aisance par le travail le plus grand nombre d’hommes qu’il est possible. L’Agriculture & l’industrie sont les seuls moyens de subsister : si l’une & l’autre sont avantageuses à celui qu’elles occupent, on ne manquera jamais d’hommes.

L’effet du Commerce est de revêtir un corps politique de toute la force qu’il est capable de recevoir.

Cette force consiste dans la population que lui attirent ses richesses politiques, c’est-à-dire réelles & relatives tout à la fois.

La richesse réelle d’un état est le plus grand degré d’indépendance où il est des autres états pour ses besoins, & le plus grand superflu qu’il a à exporter. Sa richesse relative dépend de la quantité des richesses de convention que lui attire son commerce, comparée avec la quantité des mêmes richesses que le Commerce attire dans les états voisins. C’est la combinaison de ces richesses réelles & relatives qui constitue l’art & la science de l’administration du Commerce politique.

Toute opération dans le Commerce d’un état contraire à ces principes, est une opération destructive du Commerce même.

Ainsi il y a un commerce utile & un qui ne l’est pas : pour s’en convaincre, il faut distinguer le gain du marchand du gain de l’état. Si le marchand introduit dans son pays des marchandises étrangeres qui nuisent à la consommation des manufactures nationales, il est constant que ce marchand gagnera sur la vente de ces marchandises : mais l’état perdra, 1° la valeur de ce qu’elles ont coûté chez l’étranger ; 2° les salaires que l’emploi des marchandises nationales auroit procurés à divers ouvriers ; 3° la valeur que la matiere premiere auroit produit aux terres du pays ou des colonies ; 4° le bénéfice de la circulation de toutes ces valeurs, c’est-à-dire l’aisance qu’elle eût répandue par les consommations sur divers autres sujets ; 5° les ressources que le prince est en droit d’attendre de l’aisance de ses sujets.

Si les matieres premieres sont du crû des colonies, l’état perdra en outre le bénéfice de la navigation. Si ce sont des matieres étrangeres, cette derniere perte subsiste également ; & au lieu de la perte du produit des terres, ce sera celle de l’échange des marchandises nationales que l’on auroit fournies en retour de ces matieres premieres. Le gain de l’état est donc précisément tout ce que nous venons de dire qu’il perdroit dans l’hypothese proposée ; le gain du marchand est seulement l’excédent du prix de la vente sur le prix d’achat.

Réciproquement le marchand peut perdre, lorsque l’état gagne. Si un négociant envoie imprudemment des manufactures de son pays dans un autre où elles ne sont pas de défaite, il pourra perdre sur la vente ; mais l’état gagnera toûjours le montant qui en sera payé par l’etranger, ce qui aura été payé aux terres pour le prix de la matiere premiere, les salaires de ; ouvriers employés à la manufacturer ; le prix de la navigation, si c’est par mer que l’exportation s’est faite, le bénéfice de la circulation, & le tribut que l’aisance publique doit à la patrie.

Le gain que le marchand fait sur l’état des autres sujets, est donc absolument indifférent à l’état qui n’y gagne rien ; mais ce gain ne lui est pas indifférent, lorsqu’il grossit la dette des étrangers, & qu’il sert d’encouragement à d’autres entreprises lucratives à la société.

Avant d’examiner comment les législateurs parviennent à remplir l’objet & l’effet du Commerce, j’exposerai neuf principes que les Anglois, c’est-à-dire le peuple le plus savant dans le Commerce, proposent dans leurs livres pour juger de l’utilité ou du desavantage des opérations de Commerce.

1. L’exportation du superflu est le gain le plus clair que puisse faire une nation.

2. La maniere la plus avantageuse d’exporter les productions superflues de la terre, c’est de les mettre en œuvre auparavant ou de les manufacturer.

3. L’importation des matieres étrangeres pour être employées dans des manufactures, au lieu de les tirer toutes mises en œuvre, épargne beaucoup d’argent.