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vaille plus à séparer le pur d’avec l’impur, à surmonter le mal, à rétablir l’ordre dans l’œconomie animale ; elle succombe, & le malade périt. Ce sont ces considérations qui avoient engagé le pere de la Medecine dogmatique, le confident de la nature, le grand Hippocrate, à établir comme une regle fondamentale de pratique, la précaution de ne pas placer au commencement des maladies des remedes évacuans, & par conséquent de ne pas les employer pour enlever du corps des matieres crues, mais seulement celles qui sont préparées, digérées par la coction : c’est ce que déclare expressément ce législateur de la Medecine, dans son aphorisme 22e. section j. lorsqu’il dit : concocta medicamentis aggredi oportet, & movere non cruda neque in principiis. L’expérience constante prouva tellement dans la suite la justice de cette loi, que selon Aristote (lib. III. pol. c. xj.), il n’étoit pas permis aux Medecins d’Egypte de produire aucun changement dans les maladies, par le moyen des remedes, avant le quatrieme jour de leur durée ; & s’ils anticipoient ce tems, ils étoient comptables, sur leur vie, de l’évenement. Galien regardoit comme un oracle la sentence qui vient d’être citée, tant il étoit convaincu qu’il est nécessaire dans la pratique de la Medecine, de se conformer à ce qu’elle prescrit. Il est cependant un cas excepté par Hippocrate lui-même, à qui rien n’a échappé, & qui a tant prévû en ce genre ; c’est celui auquel la matiere morbifique est si abondante dès le commencement des maladies, qu’elle excite la nature à en favoriser l’évacuation : c’est en effet par cette considération que le divin auteur de l’aphorisme, qui vient d’être rapporté, le termine en disant à l’égard des crudités, qu’elles ne doivent pas être évacuées : si non turgeant, raro autem turgent. Ainsi il établit, que le cas est rare ; mais qu’il arrive cependant que le medecin doit être plus porté à suivre l’indication qui se présente, de procurer l’évacuation de la matiere morbifique, lorsque la maladie commence avec des signes qui annoncent la surabondance de cette matiere, qu’à attendre que la coction en soit faite ; parce qu’il y a lieu de craindre qu’en la laissant dans le corps, les forces de la nature ne suffisent pas pour la préparer, & qu’il ne s’en fasse un dépôt sur quelque partie importante : ce qui seroit un plus mauvais effet que celui qui résulteroit d’en procurer l’évacuation avant la coction ; vû que dans cette supposition, la matiere morbifique a par elle-même de la disposition à être portée hors des parties qu’elle affecte, qui est tout ce que la coction. pourroit lui donner. C’est en pesant les raisons pour & contre, & en se décidant toûjours pour le plus grand bien ou le moindre détriment du malade, que l’on prend le bon parti dans cette conjoncture : c’est ce qu’insinue aussi Hippocrate dans le second aphorisme, après celui ci-dessus mentionné ; il s’exprime ainsi (aphor.xxjv. sect. 1.) in acutis affectionibus raro, & in principiis uti medicamentis oportet, atque hoc facere diligenti prius estimatione factâ.

Il suit de tout ce qui vient d’être dit de la théorie des anciens sur la coction, considérée dans l’état de santé & dans celui de maladie, que l’exposition de ce qu’ils ont pensé à ce sujet est presque tout ce qu’on peut en dire de mieux, ou au moins de plus utile, attendu que leur doctrine est principalement fondée sur l’observation de ce qui s’opere dans l’œconomie animale ; elle n’a par conséquent pas pû être renversée & oubliée, comme tant d’autres opinions, qui n’étant que la production de l’imagination, ont été successivement détruites les unes par les autres, tandis que celle-ci s’est conservée dans son entier, pour ce qui est des principes établis d’après les faits, & des conséquences qui peuvent en être tirées. En effet, elle n’a éprouvé de changemens que par rap-

port à l’explication de l’opération dont il s’agit ; ce qui n’a même eu lieu que dans le siecle dernier.

Car depuis Hippocrate & Galien jusqu’à ce tems-là, tous les Medecins (en adoptant les sentimens de ces grands maîtres qui s’étoient bornés à indiquer la chaleur naturelle comme cause immédiate de tous les changemens qui se font dans les humeurs animales, tant saines que morbifiques) attribuoient la digestion des alimens dans le ventricule, à une coction faite dans ce viscere, semblable à celle qui se fait dans les cuisines. Ils comparoient l’estomac à une marmite ; ils se le représontoient comme exposé à l’action du feu, fourni & entretenu par le cœur, le foie, la rate, & autres parties voisines ; ils pensoient que les matieres renfermées dans ce principal organe de la digestion des alimens, étant comme détrempées, macérées par les fluides qui s’y répandent, devenoient susceptibles d’une veritable élixation par l’effet de la chaleur, ce qui sembloit leur être prouvé par les vents qui s’élevent de l’estomac pendant la digestion ; ils les comparoient aux bulles qui se forment sur la surface d’un fluide qui boût : ensorte qu’ils n’admettoient d’autre agent que le feu, pour la préparation des matieres alibiles qui se fait dans ce viscere ; celle qui est continuée dans les autres parties des premieres voies, étoit aussi attribuée à l’action continuée de cette cause, qu’ils rendoient commune à toutes les autres élaborations d’humeurs dans le système des vaisseaux sanguins, & de tous les autres vaisseaux du corps.

Pierre Castellus, professeur de l’école de Messine, commença à réfuter cette opinion, dans une lettre écrite à Severinus ; il lui disoit entr’autres choses à ce sujet, que si la chaleur seule suffisoit pour la confection du chyle, on devroit aussi pouvoir en faire dans une marmite : mais comme on ne le peut pas, ajoûte-t-il, il faut donc avoir recours à la fermentation pour cette opération, &c. Bientôt après Vanhelmont attaqua avec bien plus de force sentiment de la coction des alimens opérée par la seule chaleur, dans une dissertation intitulée, calor efficaciter non digerit, sed excitativè. Son principal argument étoit, que les poissons ne laissent pas de digérer les alimens qui leur sont propres, quoique le sang des plus voraces même d’entre ces animaux, ne soit guere plus chaud que l’eau dans laquelle ils vivent : on trouve même établi, que le sang des tortues est plus froid que l’eau (Stubas, journ. in trans. phil. xxvij.). Vanhelmont objectoit d’ailleurs, que si la chaleur seule pouvoit opérer la coction des alimens, la fievre devroit la faciliter ultérieurement, bien loin de la troubler & de causer du dégoût, comme il arrive qu’elle le fait ordinairement. Il opposoit au système des anciens, bien d’autres choses de cette nature ; & il ne négligeoit rien pour détruire leur erreur, mais pour tomber dans une autre, qui consistoit à établir que la digestion des alimens ne peut se faire que par l’efficacité d’un ferment acide spécifique. Galien sembloit bien avoir conjecturé, que l’acide pouvoit contribuer à la digestion. De usu part. lib. IV. cap. viij. Riolan paroît aussi avoir eu la même idée. Antropograph. lib. II. cap. x. Cependant ni l’un ni l’autre n’avoient imaginé que l’acide pût agir comme dissolvant, mais seulement en irritant les fibres des organes de la digestion. Le ferment acide fit bientôt fortune ; il fut adopté par Sylvius Deleboé, & par toute la secte chimique Cartésienne : mais son regne n’a pas été bien long, l’expérience a bientôt détruit le fruit de l’imagination ; il n’a pas été possible de prouver la fermentation dans l’estomac, on n’y a jamais trouvé de véritable acide ; au contraire, Musgrave (Trans. phil.) y a démontré des matieres alkalescentes : Peyer a prouvé, qu’on trouve constamment des matieres pourries dans l’estomac des bœufs, à Rome ;