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vrai feu d’embrasement, tel que le supposoient les anciens. Les phénomenes de l’électricité paroissent encore favorables à cette opinion, la rendent du moins digne d’être discutée ; en un mot il n’est point du tout décidé que la chaleur animale ne dépende que du feu libre répandu uniformément dans les corps des animaux comme dans les corps inanimés, & même dans le vuide ; feu excité par des frottemens, &c. & non pas d’une certaine quantité de feu combiné dans les différentes substances animales, & dégagé par les mouvemens vitaux. C’est donc faire, je le répete, une énumération très-incomplete des causes possibles de la génération de la chaleur animale, que de négliger celle-ci pour n’avoir recours qu’aux causes méchaniques de la chaleur, aux frottemens, qui l’engendrent indifféremment dans tous les corps inflammables ou non inflammables, mais qui ne peuvent jamais exciter d’incendie vrai, c’est-à-dire, de dégagement du feu combiné, que dans les premiers. Or, en bonne logique, pour être en droit d’établir une opinion sur la réfutation de toutes les autres explications possibles, au moins faut-il que l’exclusion de ces autres explications soit absolue.

J’en viens à présent au fond même du système du d. Douglas, & j’observe 1°. qu’il est impossible de concevoir le méchanisme sur lequel il l’appuie, si on ne sait plier son imagination à l’idée d’un organe, d’un vaisseau capillaire représenté comme chaud & froid, relâché & resserré, & cela exactement dans le même tems ; car à un degré de froid donné, à celui de la congélation de l’eau, par exemple, un vaisseau capillaire exposé à toute l’énergie de ce froid, sera resserré au point de pouvoir exercer avec la file de globules qui le parcourra dans cet état, un frottement capable d’engendrer une certaine chaleur, celle de 66d, sous la température supposée ; mais l’instant même du frottement est celui de la génération de cette chaleur, tant dans le globule que dans le vaisseau capillaire, & par conséquent celui du relâchement de ce dernier.

C’est à ce dernier effet que le d. Douglas paroît n’avoir pas fait attention ; car il suppose son vaisseau capillaire constamment resserré ou froid : & ce n’est même que par cette contraction qu’il est disposé à la génération de la chaleur. Mais il est impossible de saisir même par l’imagination la plus accoûtumée aux idées abstraites, aux concepts métaphysiques, de saisir, dis-je, un intervalle entre la génération de la chaleur dans ce vaisseau & le relâchement de ce même vaisseau ; effet nécessaire & immédiat de son échauffement. Ce vaisseau est si délié, & il embrasse si étroitement la colonne de globules échauffés selon la supposition, que quand même ce ne seroit que par communication qu’il s’échaufferoit, cette communication devroit être instantanée : mais le cas est bien plus favorable à la rapidité de sa caléfaction, puisque ce vaisseau est en même tems l’instrument de la génération & la matiere de la susception de la chaleur : donc, selon le méchanisme proposé par le d. Douglas, un vaisseau capillaire, contenant une file de globules engendrant actuellement de la chaleur par leur frottement dans ce vaisseau, doit être chaud, & par conséquent relâché ; mais par la supposition du d. Douglas, il n’est propre à engendrer de la chaleur qu’autant qu’il est froid & resserré : donc, dans le système de cet auteur, un même vaisseau doit être conçû en même tems, relâché & resserré, froid & chaud. C. Q. F. D.

Mais en renonçant à cette démonstration, & en accordant qu’il est possible que des vaisseaux extrèmement déliés soient parcourus pendant un tems souvent très-considérable (un animal peut vivre

long-tems exposé au degré de la congélation de la glace, sans que sa température varie) par une colonne des globules chauds, comme 66d au-dessus du terme de la glace du therm. de Farh, sans que ces vaisseaux cessent d’être froids comme ce terme de la glace : j’observe 2°. que dans le cas le plus favorable au frottement des globules dans les vaisseaux capillaires, on ne voit nulle proportion entre la grandeur de l’effet & celle de la cause : en premier lieu, parce que le mouvement des humeurs est très-lent dans les capillaires, de l’aveu de tous les Physiologistes ; & en second lieu, parce que les instrumens générateurs de la chaleur font une partie bien peu considérable de la masse, qui doit être échauffée par cette cause.

Le d. Douglas convient de la difficulté tirée de la lenteur des humeurs dans les capillaires : Il est vrai, (dit-il p. 334.) que la vîtesse du frottement doit être petite dans les capillaires ; mais ce défaut est amplement compensé par la grande étendue de sa surface, comme on le voit évidemment par le nombre immense des vaisseaux capillaires, & la petitesse excessive des globules. Mais cette compensation est supposée gratis, & l’expérience lui est absolument contraire. La chaleur excitée par le frottement lent d’une surface mille fois plus grande, ne peut jamais équivaloir à celle qui s’excite par le frottement rapide d’une surface mille fois moindre : je ne dis pas quand même la vélocité du mouvement seroit dans les deux cas réciproquement proportionnelle aux surfaces ; mais si le mouvement de la petite surface étoit seulement tant soit peu plus rapide que celui de la surface mille fois plus grande : en un mot, cæteris paribus (c’est-à-dire la densité, la roideur ou la dureté des corps, leur contiguité, les tems du frottement, &c. étant égaux), le degré de chaleur excité par le frottement est comme sa rapidité, & la quantité de surface frottée ne fait rien du tout à la production de ce degré (abstraction faite de la perte de chaleur par la communication) : tout comme cent pintes d’eau bouillante mises ensemble, n’ont pas un degré de chaleur centuple de celui de l’eau bouillante, mais au contraire un degré exactement le même. M. Douglas paroît avoir confondu ici la quantité de chaleur avec le degré : mais ce sont deux choses bien différentes. Cent globules frottés, ou cent pintes d’eau contiennent une quantité de chaleur, comme 100, où sont cent corps chauds ; un seul globule, ou une seule pinte, ne sont que la centieme partie de cette masse chaude : mais le degré de chaleur est le même dans le globule seul & dans les cent globules, ou dans un million de globules. Ainsi si chaque globule ne peut dans son trajet dans un vaisseau capillaire produire sous la température supposée une chaleur de 66d, il est impossible que tel nombre de globules qu’on voudra imaginer produise ce degré de chaleur. C. Q. F. D.

J’ai dit en deuxieme lieu, que les instrumens générateurs de la chaleur font une partie bien peu considérable de la masse qui doit être échauffée par cette cause ; & en effet quelque multipliés qu’on suppose les vaisseaux capillaires, & quelque grande qu’on suppose la somme de leurs capacités & de la masse de leurs parois, on ne les poussera pas, je crois, jusqu’à les faire monter à la moitié de la capacité totale du système vasculeux, & de la masse générale des solides d’un animal. Mais supposons qu’elles en fassent réellement la moitié : dans cette hypothese, la chaleur engendrée dans ces vaisseaux doit être exactement double de la chaleur spécifique de l’animal, pour qu’il résulte de l’influence de cette chaleur dans un corps supposé absolument froid, ce degré de chaleur spécifique moyen entre la privation absolue & la chaleur double du