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tendues par chaque auteur selon le système de philosophie qu’il a adopté.

Le docteur Mortimer même a proposé en 1745, à la Société royale de Londres, une explication de la chaleur animale, fondée sur une espece d’effervescence excitée entre les parties d’un soufre animal ou phosphore, qu’il suppose tout formé dans les humeurs des animaux, & les particules aériennes contenues dans ces humeurs : mais l’existence de ce soufre, & l’état de liberté de l’air contenu dans nos humeurs, du moins dans l’état de santé, ne sont établis que sur deux suppositions également contraires à l’expérience.

Mais toutes ces opinions qui ont regné dans l’école pendant les plus beaux jours de la Physiologie, qui peuvent compter parmi leurs partisans un Bergerus, un Boerhaave, un Stahl ; ces opinions, dis-je, ont été enfin très-solidement réfutées par le docteur Douglas (essai déjà cité), qui leur oppose entre autres argumens invincibles, l’impossibilité d’expliquer le phénomene essentiel, savoir, l’uniformité de la chaleur des animaux sous les différentes températures de leur milieu ; & c’est précisément à ce phénomene, qui fait effectivement le vrai fond de la question, que le système du docteur Douglas satisfait par la solution la plus naturelle & la plus séduisante. Cet ingénieux système, qui a été orné, étendu, & soûtenu avec éclat dans les écoles de Paris par M. de la Virotte, n’est cependant encore qu’une hypothese, à prendre cette expression dans son sens desavantageux, comme je vais tâcher de le démontrer : je dis démontrer ; car en Physique même nous pouvons atteindre jusqu’à la démonstration, quand nous n’avons qu’à détruire, & sur-tout lorsqu’il ne s’agit que d’une explication physiologique, appuyée sur les lois méchaniques & sur le calcul.

Le système du docteur Douglas est exposé & prétendu démontré dans le théorème suivant, qui est précédé de quatre lemmes mentionnés dans sa démonstration que nous allons aussi rapporter, & de l’énumération des phénomenes que nous venons d’exposer d’après cet auteur.

Théoreme. « La chaleur animale est produite par le frottement des globules du sang dans les vaisseaux capillaires.

» Cette proposition est un corollaire qui suit naturellement des quatre lemmes (que nous pouvons regarder avec l’auteur comme démontrés) ; car il est évident que la chaleur animale doit être l’effet ou du frottement des fluides sur les solides, ou de celui des solides entre eux, ou enfin d’un mouvement intestin. Par le lemme premier, elle ne peut pas être produite par le frottement des fluides sur les solides : par le lemme second, elle ne peut être l’effet d’aucun mouvement intestin du sang : par le lemme troisieme, elle n’est produite en aucune maniere par le frottement des solides entre eux, excepté seulement celui des globules dans les vaisseaux capillaires : par le lemme quatrieme, les quantités de ce frottement sont proportionnelles aux degrés de la chaleur engendrée. Ce frottement des globules dans les vaisseaux capillaires, doit donc être regardé comme la seule cause de la chaleur animale ». C. Q. F. D.

Le théoreme établi, M. le d. Douglas en déduit avec beaucoup d’avantage l’explication de tous les phénomenes que nous venons de rapporter. Le principal phénomene sur-tout, savoir l’uniformité de la chaleur animale dans les différens degrés de température du milieu environnant, en découle comme de lui-même. En voici la preuve. Les vaisseaux capillaires sont resserrés par le froid, personne n’en peut disconvenir ; des vaisseaux capillaires resser-

rés embrasseront un globule étroitement, le toucheront dans un grand cercle entier au moins ; puisqu’il est tel degré de constriction, où le diametre du globule sera plus grand que celui du vaisseau capillaire, & où par conséquent ce globule sera forcé de changer sa figure sphérique, & de s’allonger en ovale ; ce qui augmentera considérablement le frottement, tant à raison de l’augmentation de la pression mutuelle, que de celle de la surface du contact, qui s’exercera alors dans une zone au lieu d’une simple circonférence : donc des vaisseaux ainsi resserrés sont le plus favorablement disposés qu’il est possible pour la génération de la chaleur. Au contraire, dans un vaisseau capillaire relâché par la chaleur, un globule touche à peine à ce vaisseau par un seul point : donc le frottement & par conséquent la génération de la chaleur sont nuls ou à-peu-près nuls dans ce dernier cas. Rien ne paroît si simple que l’action absolue de ces causes, & que leur rapport exactement proportionnel avec les effets qu’on leur assigne.

Mais d’abord lorsque M. Douglas avance qu’il est évident que la chaleur animale doit être l’effet ou du frottement des fluides sur les solides, ou de celui des solides entre eux, ou enfin d’un mouvement intestin, il suppose sans doute que le système de Galien & des Arabes, qui a si long-tems regné dans l’école, est suffisamment réfuté, & qu’il a été abandonné avec raison. Je suis bien éloigné assûrément de vouloir réclamer la chaleur innée, ou plûtôt le feu ou le foyer inné, allumé par l’esprit implanté, alimenté par l’humide radical, ventillé par l’air respiré, &c. Cependant je ne croi pas que ce feu présenté sur-tout comme ses partisans les plus éclairés l’ont fait, comme un agent physique & réel, & non pas comme une vaine qualité (Calidi nomen concretum est, quod non solum accidens denotat, sed etiam subjectum cui illud inhæret. Laz. Riverii J. Med.) ; que ce foyer, dis-je, doive être exclus de l’énumération des formes possibles, sous lesquelles on peut concevoir la chaleur animale : sur-tout le grand argument du d. D. ne portant pas contre ce système, selon lequel rien n’est si simple que d’expliquer l’uniformité de la chaleur animale dans les différens degrés de température de leur milieu environnant ; car l’air respiré étant regardé par les Galénistes comme excitant le feu animal par un méchanisme semblable à celui de son jeu dans nos fourneaux à vent, & l’intensité de cet effet de l’air étant exactement comme sa densité ou sa froideur, la génération de la chaleur par cette cause sera proportionnée à la perte que l’animal en fera par le même degré de froid, & par conséquent il persistera dans sa température uniforme.

Mais le sentiment de l’ancienne école peut être défendu par des considérations qui le rendent plus digne encore, ce semble, d’être mis au moins à côté des théories modernes. En effet toutes les parties des animaux & leurs humeurs sur-tout, sont composées de substances inflammables ; elles contiennent le véritable aliment du feu ; & les causes qui excitent la chaleur dans ce foyer quelles qu’elles soient, l’ont portée quelquefois jusqu’à dégager le principe inflammable, jusqu’à le mettre manifestement en jeu, en un mot jusqu’à exciter dans les animaux un véritable incendie, comme il est prouvé par un grand nombre de faits rapportés par différens auteurs dignes de foi, & recueillis par M. Rolli, dans un écrit lû à la Société royale de Londres, en 1745. Cet ouvrage se trouve traduit en François à la suite des Dissertations sur la chaleur animale, &c. traduites de l’Anglois, à Paris chez Hérissant, 1751.

Des humeurs ainsi constituées paroissent pouvoir au moins être très-raisonnablement soupçonnées d’être échauffées dans l’état naturel par un