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de elle devienne incapable de recevoir de nouvelles augmentations. Enfin si on suppose que le froid continue encore à augmenter depuis ce période, il est aisé de voir que sa chaleur innée doit diminuer par degrés, jusqu’à ce qu’elle se termine enfin avec la vie. Id. ibid.

La latitude de la chaleur differe dans les différentes parties d’un animal, & dans les différens animaux, suivant les vîtesses respectives de leur circulation : & de plus, le même animal peut fixer, à sa volonté, cette latitude à différens degrés de froid, suivant qu’il retarde ou accélere le mouvement de son sang par le repos & l’exercice, ou par d’autres causes. D’ailleurs, la température d’un animal chaud ne descend jamais au-dessous de son point naturel, que lorsque la vîtesse de la circulation est en même tems proportionnellement diminuée ; & plus sa température s’éloigne de ce point, plus grande est la diminution de cette vîtesse. En un mot, on peut conclure certainement que depuis ce degré de froid extérieur, où la chaleur innée d’un animal parvient à sa plus grande vigueur, elle diminue ensuite dans la même proportion que la vîtesse du sang, jusqu’à ce qu’elles se terminent l’une & l’autre avec la vie de l’animal. Id. ibid.

Les grands animaux éprouvent une moindre perte de chaleur, que les petits de la même température ; & cela exactement en raison de leurs diametres, cæteris paribus. Maintenant puisque la densité des corps des animaux est à peu près la même, nous pouvons donc, malgré quelque différence qu’il peut y avoir dans leurs figures particulieres, & qu’on peut négliger ici en toute sûreté comme étant de peu de conséquence dans l’argument général ; nous pouvons, dis-je, avancer que les animaux de la même température perdent de leur chaleur en raison inverse de leurs diametres. Mais comme dans les animaux vivans la chaleur qu’ils acquierent doit être égale à la perte qu’ils éprouvent, il suit évidemment que les quantités de chaleur produites par des animaux de la même température, sont volume pour volume réciproquement comme le diametre de ces animaux.

Ainsi, par exemple, si nous supposons que le diametre d’un éléphant soit à celui d’un petit oiseau, comme 100 à 1, il suit que leurs pertes respectives de chaleur étant en cette proportion, la cause qui produit la chaleur dans l’oiseau doit agir avec cent fois plus d’énergie que dans l’éléphant, pour compenser sa perte cent fois plus grande.

De plus, si nous faisons la comparaison entre l’éléphant & l’abeille (insecte que le docteur Martine a trouvé d’une température égale à celle des animaux chauds), la différence entre la quantité de chaleur que perdent ces deux êtres si disproportionnés, & qu’ils acquierent de nouveau, est encore beaucoup plus grande, & se trouve peut-être comme 1000 à 1. Id. ibid.

Un animal, depuis les limites de sa chaleur innée jusqu’à une certaine latitude de froid, conserve sa température naturelle égale & uniforme, comme nous l’avons déjà vû : mais cette latitude n’est pas à beaucoup près la même dans les différentes parties du corps ; en général elle est plus grande dans le tronc, & elle diminue dans les autres parties, à peu près à raison de leurs distances du tronc : mais elle est fort petite, sur-tout dans les mains, les piés, les talons, les oreilles, & le visage, &c. la raison en est évidente : la circulation du sang se fait plus vîte, cæteris paribus, dans les parties proches du cœur, & diminue de sa vitesse en s’éloignant de ce centre ; en sorte que dans les parties les plus éloignées elle doit être fort lente.

La chaleur de la fiévre est dans l’homme d’environ 105, 106 ou 108d du therm. de Fahr. selon l’estimation du docteur Martine.

Le même docteur Martine a observé qu’on pouvoit rester quelque tems dans un bain dont la chaleur est d’environ cent degrés ; mais que l’eau échauffée jusqu’au 112e ou 114e étoit trop chaude, pour que le commun des hommes pût tenir dedans pendant un certain tems les piés & les mains, quoique les mains calleuses ou endurcies par le travail de quelques ouvriers, ne soient pas offensées par un degré supérieur.

Il n’est pas inutile d’observer sur cela qu’il ne faut qu’une certaine habitude pour pouvoir laver impunément les mains avec du plomb fondu, comme le pratiquent certains charlatans, pourvû qu’on ait soin de ne faire fondre ce métal qu’au point précis de chaleur qui peut produire la fusion. Ce degré n’est pas très-considérable : il n’est pas capable de brûler les mains, sur-tout si l’on a soin de ne retenir le plomb que très-peu de tems ; précaution qui n’est pas négligée dans l’épreuve dont nous parlons : car on peut toucher à des corps brûlans moyennant cette derniere circonstance, c’est-à-dire, pourvû que ce contact ne soit que momentané. C’est ainsi que les Confiseurs trempent leurs doigts dans du sucre bouillant, les Cuisiniers, dans des sauces assez épaisses aussi bouillantes, &c.

Trois animaux, un moineau, un chien & un chat, que Boerhaave exposa à un air chaud de 146 degrés, moururent tous en quelques minutes. Le thermometre mis dans la gueule du chien quelques instans après sa mort, marqua le 110e degré de chaleur.

Enfin il faut encore se souvenir que les parties des animaux dans lesquelles le mouvement des humeurs est intercepté, ou considérablement diminué, comme dans certains cas de paralysie, après la ligature d’une artere, &c. que ces parties, dis-je, sont froides, ou ne joüissent presque que de la chaleur étrangere, ou communiquée par le milieu ambient.

Voilà une histoire exacte du phénomene que nous examinons ; histoire qui dans la question présente, comme dans toute question physiologique, constitue d’abord en soi l’avantage le plus clair & le plus solide qu’on en puisse retirer, & qui doit être d’ailleurs regardée comme l’unique source des raisonnemens, des explications, de la saine théorie. Nous allons donc nous appuyer de la considération de ces faits, pour peser le degré de confiance que nous pouvons raisonnablement accorder aux systèmes que les Physiologistes nous ont proposés jusqu’à présent sur cette matiere.

Depuis que notre façon d’envisager les objets physiques est devenue si éloignée de celle qui faisoit considérer la chaleur animale à Hyppocrate, comme un souffle divin, comme le principe de la vie, comme la nature même ; & que l’air de sagesse, le ton de démonstration, & le relief des connoissances physiques & mathématiques, ont établi la doctrine des Medecins méchaniciens sur le débris de l’ingénieux système de Galien, & des dogmes hardis des Chimistes, la chaleur animale a été expliquée par les plus célebres Physiologistes, par les différens chocs, frottemens, agitations, &c. que les parties du sang éprouvoient dans ses vaisseaux, soit en se heurtant les unes contre les autres, soit par l’action & la réaction mutuelle de ce fluide & des vaisseaux élastiques & oscillans dans lesquels il circule. Le mouvement intestin auquel les Chimistes avoient eu recours, & qu’ils regardoient comme une fermentation ou comme une effervescence, n’a pourtant pas été absolument abandonné encore ; mais ce mouvement a été ramené par les Physiologistes qui l’ont retenu, aux causes méchaniques de la production de la chaleur, en-