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livres de Chimie des Egyptiens, parce qu’ils tiroient de cet art des moyens de se révolter, est de l’invention de quelque chimiste du tems, jaloux de l’origine de son art, qu’il ne pouvoit reculer au-delà du regne de cet empereur, sans quelque supposition telle que celle qu’on nous objecte. Rien ne nous empêche donc de prononcer que les antiquités chimiques sont pleines d’obscurités & de conjectures jusqu’au commencement du quatrieme siecle ; qu’elles n’offrent aucun monument important, & que le nom de l’art ne se trouve dans aucun auteur.

Julius Maternus Firmicus, qui écrivoit au commencement du quatrieme siecle, est le premier qui ait fait mention expresse de la Chimie ; il en parle comme d’une chose connue, lib. III. de sa Mathémat. (Matheseos) encore Boerhaave doute-t-il de l’intégrité du texte dans cet endroit.

Sur la fin du même siecle, Æneas Gazeus s’exprime clairement, & sur l’existence de l’art, & sur l’objet qu’il avoit alors, savoir la transmutation des métaux ; etiam apud nos, dit-il, qui materiæ peritiam habent, argentum & stannum capiunt, ac priore specie abolitâ, in augustius & pretiosius convertunt, aurumque pulcherrimum conficiunt. Il ne s’agit pas ici du fait, qui peut être faux, mais du témoignage qui est vrai.

Il y a dans plusieurs bibliotheques de l’Europe un corps d’ouvrages chimiques publiés sous les noms de Platon, d’Aristote, de Mercure, de Jean Pontife, de Démocrite, de Zozime, d’Olimpiodore le Grand, d’Etienne le Philosophe, de Sophar Perse, de Synesius, de Dioscorus prêtre du grand Serapis à Alexandrie, d’Hostanés appellé l’Egyptien, quoique son nom soit Perse, de Comarius Egyptien, de Marie, de Cléopatre, de Porphire, de Pebechius, de Pelage, d’Agathodemon, de l’empereur Héraclius, de Théophraste, d’Archelaüs, de Petasius, de Claudien, de Panserus, de Sergius, de Memnon le Philosophe, &c. Il est écrit en note à la fin de cette liste, dans le manuscrit de la bibliotheque du Roi : Voilà les maîtres fameux œcuméniques, & les nouveaux interpretes de Platon & d’Aristote. Pour les pays dans lesquels on vient à bout de perfectionner cet œuvre divin, ce sont l’Egypte, la Thrace, l’île de Chypre, Alexandrie, & le temple de Memphis. Au reste, ce manuscrit de la bibliotheque royale est d’une main assez moderne.

Les bibliographes chimistes comptent encore entre les auteurs œcuméniques un Heliodore, un Anepigraphus, un Michel Psellus, un Nicephore Blemmidas, dont la plûpart sont du xj. siecle, comme Psellus, & quelques-uns même plus modernes. Mais ils mettent à leur tête Moyse & Alexandre le Grand, dont ils ont des ouvrages. Il est vrai qu’on les regarde généralement comme des productions modernes attribuées par des auteurs inconnus aux hommes les plus illustres de l’antiquité, tels que Démocrite, Aristote & Platon ; Borrichius lui-même les abandonne, comme des ressources de la charlatannerie des astrologues, des auteurs de magie, des alchimistes, pour donner du lustre & de l’antiquité à leurs rêveries. Le sentiment des littérateurs les plus sages, est que ces écrits ont été fabriqués en différens tems à Alexandrie & à Constantinople, par des moines & autres savans, rassemblés ensuite en un corps & portés en Italie, d’où ils ont passé en France, par les savans qui se répandirent dans l’Europe depuis le commencement du xv. siecle jusqu’à la prise de Constantinople.

Ceux qu’on peut soupçonner d’avoir réellement écrit les ouvrages qui portent leur nom, tels que Synesius, Heliodore, auteur du roman de Theagene, & Chariclée, où l’on trouve une description du grand œuvre, & quelques autres, sont au moins postérieurs au regne de Constantin le Grand, & la

plûpart plus voisins encore de nos tems. Au reste, c’est de l’alchimie pure qu’on trouve dans ces auteurs, à prendre le mot même d’alchimie dans sa plus mauvaise signification. N’ayons donc aucun regret à ce qu’ils soient inconnus & enterrés manuscrits dans les bibliotheques ; le petit nombre de ces écrits inintelligibles même pour les philosophes, qu’on a traduits (mal traduits) & imprimés, n’ont servi de rien, & il n’en a été fait mention que ad pompam & pour le relief de l’érudition, témoins Boerhaave & Agricola. Le premier s’écrie du second, qui ne sera frappé d’étonnement, quis temperet ab admiratione, que cet auteur qui a écrit son admirable ouvrage de re metallica, il y a plus de deux cents ans, ait eu connoissance de tous ces écrivains ? Boerhaave exalte là très-maladroitement l’érudition d’Agricola. Agricola n’avoit jamais vû que la liste de leurs noms, non plus que Boerhaave lui-même ; car plusieurs de ces auteurs ont écrit en vers, & Agricola dit qu’ils sont tous en prose.

Il importoit de réduire ici l’autorité de Boerhaave & d’Agricola à leur juste valeur ; ne fût-ce que pour empêcher que sur ces grands noms, quelque littérateur, chimiste ou non, n’en entreprît une traduction avec note & commentaire, projet qu’eut autrefois un Leon Allatius, qui heureusement étoit trop vieux pour l’exécuter, mais dont l’inexécution n’en a pas été moins déplorée par plusieurs philosophes modernes.

Voilà ce que nous avions à dire sur l’état ancien de la Chimie ; ceux qui trouveront que nous nous sommes trop étendus, & que nous nous sommes livrés avec excès à cette curiosité, dont nous avons fait l’éloge en commençant cette histoire, peuvent aisément nous abreger, en ne lisant de tout ce qui précede que ce qui leur conviendra : s’il y en a au contraire qui pensent malheureusement pour eux que nous avons été trop courts, ils peuvent voir la bibliotheque Grecque de Jean Albert Fabricius, les ouvrages de Conringius, & celui de Borrichius, que nous avons déjà tant cités, le conspectus scriptorum Chimiæ celebriorum du dernier, & sa dissertation contre Conringius. Ce qui concerne les premiers Chimistes y est très-doctement & très-prolixement discuté. Au reste l’ennemi le plus déclaré des antiquités chimiques, Conringius, convient malgré qu’il en ait, que cet art a existé avant le quatrieme siecle ; que plusieurs ouvrages qui en ont été écrits peuvent se rapporter au moins au cinquieme ; & qu’il fut ensuite cultivé par les Grecs pendant quelques siecles, jusqu’à ce que les lettres & les arts cesserent chez eux par la prise de Constantinople, l’an 1452 ou 52. Et nous ajoûterons à cela que tout ce qu’il y a à savoir sur ces auteurs Grecs, c’est qu’ils ont existé, & que la Chimie a été cultivée à Constantinople & dans les provinces de l’empire, jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs, qui nous fit hériter, nous autres occidentaux, des sciences & des lettres auparavant plus florissantes dans ce pays que chez nous : d’ailleurs on n’y trouve rien qui ait pû servir à l’établissement de la Chimie dogmatique, raisonnée, ni même à l’art pratique. Ce ne sont pour nous que des artistes occupés d’un objet particulier (de la transmutation des métaux), dont nous ignorons & la maniere de procéder, & les instrumens.

C’est cependant chez eux que s’est instruit Geber, dit Arabe ou Maure, apparemment parce qu’il a écrit en Arabe, mais que les critiques les plus éclairés prétendent Grec ou Persan, & dont quelques auteurs ont fait un roi. Il étoit né Chrétien, & il se fit ensuite Mahométan, selon Léon Africain. C’est ce Geber qui a porté dans le viij. siecle la Chimie chez les Arabes, dans le tems que ceux-ci adopterent les lettres avec le Mahométisme, un siecle après Maho-