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c’est parce que les détracteurs de la Chimie ont ignoré qu’on pouvoit prévenir ces changemens ou les évaluer exactement, qu’ils ont combattu par de mauvaises raisons l’analyse par le feu seul, qui étoit l’unique qui fût connue de leur tems, & par conséquent la Chimie qui n’étoit pour eux que l’art d’exécuter cette analyse (voyez dans l’historique qui terminera cet article, l’endroit de Boyle) ; c’est parce que les Chimistes modernes ont découvert une meilleure méthode, savoir l’analyse menstruelle, qu’ils ont abandonné l’analyse ancienne ; & c’est enfin parce que l’art est assez avancé aujourd’hui pour évaluer exactement le jeu de tous les réactifs excités par la chaleur dans le corps le plus composé, que l’on pourroit les examiner par son seul secours, c’est-à-dire par la distillation à la violence du feu, sans autre inconvénient que de se proposer à la façon des Géometres & avec le même degré d’utilité, un problème chimique très-compliqué.

Les chimistes employent dans leurs opérations divers instrumens : fourneaux, vaisseaux, luts, intermedes, & autres ustenciles, qui tous ensemble font le suppellex chimica, les meubles d’un laboratoire. Voy. Instrumens de Chimie, Fourneau, Lut, Intermede, Laboratoire, & les articles particuliers.

Nous n’admettons pas l’inutile distinction de ces instrumens appellés particuliers & artificiels par la plûpart des chimistes ; de ces instrumens, dis-je, & des instrumens appellés par les mêmes chimistes naturels & généraux, savoir le feu, l’air, l’eau, & la terre : 1°. parce que lorsque ces derniers corps agissent par leurs qualités intérieures, & qu’ils éprouvent matériellement les changemens chimiques, ils ne sont plus des instrumens, mais des menstrues ; l’air agit comme menstrue dans la calcination, le feu dans la réduction, l’eau dans la fermentation, & la terre dans certaines fixations ; voy. Menstrue : 2°. parce que le rapport ou la qualité commune par laquelle ces quatre substances, considérées comme agens médiats ou méchaniques, sont classées sous le nom commun d’instrumens naturels, n’existe point ; car quoi de plus forcé, que d’établir une certaine identité entre le feu considéré comme cause de chaleur, la terre fournissant des cornues & des fourneaux, l’eau un intermede, & l’air un courant qui anime le feu de nos fourneaux ? 3°. parce que deux de ces prétendus instrumens naturels, la terre & l’eau, agissant comme secours éloignés, par leur masse, ne different en rien d’essentiel de l’instrument le plus méchanique & le plus particulier ; que l’eau d’un bain-marie par exemple, n’est qu’un intermede plus commode, dans diverses opérations, qu’un bain de sable, de cendre, de limaille, &c. & non pas un instrument vraiment distinct & nécessairement requis dans certaines opérations, ainsi que se le persuadent quelques manœuvres qui regarderoient une distillation faite à feu nud ou au bain de sable, comme très-essentiellement différente d’une distillation faite au bain-marie, par la seule circonstance d’être faite à feu nud ou au bain de sable. Ainsi il faudroit au moins abandonner ces deux prétendus instrumens naturels : quant à l’air, la propriété d’exciter le feu lui est assez particuliere pour le distinguer par-là, au moins dans la pratique ; mais cet agent est si peu chimique à cet égard, comme l’on voit, que ce n’est pas la peine d’en faire un instrument chimique distinct, & encore moins un instrument général. Ce sera donc proprement au feu seul ou à la chaleur, que le nom d’instrument naturel & général conviendra : mais nous aimons mieux lui laisser celui d’agent ou de cause, par lequel nous l’avons designé jusqu’ici.

L’explication suffisamment détaillée de l’action de nos deux grands agens, du secours que nous tirons

de nos instrumens, la théorie des opérations & des phénomenes chimiques, voilà l’art chimique, ou son système d’instrumens & de regles. Un vrai traité de Chimie pratique, un traité élémentaire, des institutions pratiques, devroient embrasser ce système. Or ce traité n’existe point ; presque tous nos livres de Chimie sont des histoires pratiques des trois regnes de la nature, & ne peuvent guere être comparés qu’à nos cours de Chimie, où suivant un ordre fort arbitraire & assez indifférent, on enseigne à des commençans ce qu’il faut en effet commencer de savoir, l’histoire des propriétés chimiques d’un certain nombre de corps de différentes classes & de divers genres, especes, &c. histoire qu’il n’est pas possible de faire sans offrir en même tems la maniere de procéder aux opérations particulieres, & de se servir des instrumens. Cette étude dispose l’œil & la main à une expérience qu’il est de la derniere importance d’acquérir, par la facilité qu’on en obtient pour la vérification de ses propres idées, & pour saisir certains phénomenes fugitifs & solitaires, qui germent toûjours dans l’entendement du philosophe, mais qui n’y peuvent être jettés que par des sens exercés.

Malgré l’utilité & la nécessité de ces connoissances particulieres, le chimiste qui les possédera ne sera encore qu’un manœuvre, s’il ne les a combinées sous la forme scientifique d’un système ; forme sous laquelle nous achevrons de les présenter dans ce Dictionnaire. Voy. les différens articles, tels que Calcination, Cementation, Distillation, Mixtion, Opération, Instrument, &c.

Les trois regnes de la nature dont nous venons de faire mention, sont trois grandes divisions dans lesquelles nous avons distribué les sujets chimiques ; les minéraux, les végétaux, les animaux, remplissent ces divisions. Voyez Animal, Végétal, Minéral.

Les corps de chacun de ces trois regnes sont distingués entre eux par leur simplicité, ou par leur ordre de mixtion ; ils sont des corps simples, des mixtes, des composés, des surcomposés, &c. caractere essentiel relativement aux moyens par lesquels le chimiste doit procéder à leur examen. V. Mixtion.

L’analyse de tous les corps composés nous a appris que chacun de ces corps pouvoit se résoudre immédiatement en d’autres substances essentiellement différentes ; qu’on pouvoit diviser celles-ci en d’autres substances différentes aussi entr’elles, qui pouvoient être encore ou simples ou composées, & ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on fût arrivé par ordre jusqu’aux élémens qui ne constituoient eux-mêmes le premier ordre de composition que réunis plusieurs ensemble, & différens en nature.

Ces différens corps dont nous venons de parler, considérés comme matériaux d’autres corps plus composés, les Chimistes les ont appellés en général principes, & ils ont donné le nom de premiers principes aux corps simples, qu’ils ont appellés aussi élémens ; & celui de principes secondaires ou principes principiés, à ceux qu’ils pouvoient décomposer ultérieurement. Voyez la doctrine des principes des Chimistes, l’histoire des erreurs sur cette matiere de plusieurs d’entr’eux, & celle des erreurs plus grossieres encore des Physiciens qui les ont combattues, au mot Principe.

Si le Chimiste réussit à réunit par ordre tous les principes qu’il a séparés par ordre, & à recomposer le corps qu’il avoit analysé, il parvient au complément de la démonstration chimique : or l’art a atteint ce degré de perfection sur plusieurs objets essentiels. Voyez Syncrese.

L’usage, l’emploi des menstrues dans les opérations chimiques, nous a découvert dans les petits corps une propriété que je généralise sous le nom de solubilité ou miscibilité (voyez Miscibilité), & que