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avec le plus de confiance, en parodiant le célebre bon mot d’Apelle : Parlez plus bas ; vous feriez rire nos porteurs de charbon, s’ils vous entendoient. Le catalogue exact de toutes les erreurs de ce genre qui sont venues à notre connoissance, seroit sans doute très-important à l’intérêt de la vérité & au progrès de la bonne doctrine ; mais il seroit infini. Il mérite bien d’être donné dans un ouvrage qui pourroit avoir pour titre Institutions de Physique-Chimique, & où l’on se proposeroit expressément de substituer des vérités à ces erreurs. Nous prierons le lecteur de se contenter en attendant de celles que nous avons eu occasion de citer, & de quelques autres qui se présenteront encore. Je ne connois aucun chimiste d’un certain nom qui ait osé faire des excursions sur les terres de la Physique ; s’il en est, comme nous les jugeons aussi mal avisés & aussi téméraires que les Physiciens qui se sont répandus sur les nôtres, nous les blâmons & nous les abandonnons.

La Chimie est une science qui s’occupe des séparations & des unions des principes constituans des corps, soit opérées par la nature, soit opérées par l’art, dans la vûe de découvrir les qualités de ces corps, ou de les rendre propres à divers usages.

Les objets particuliers de la Chimie sont tous les phénomenes, soit naturels, soit artificiels, qui dépendent des séparations & des unions des principes des corps. Les naturels sont la maturation des fruits, la formation des gommes, des extraits, des résines, des sels végétaux, &c. l’élaboration & les diverses altérations des alimens des animaux, & de leurs diverses humeurs ; la génération des métaux, des pierres, des crystallisations naturelles, des sels fossiles, du soufre, des bitumes, &c. l’imprégnation & la chaleur des eaux minérales, l’inflammation des volcans, la nature de la foudre & des autres feux allumés dans l’atmosphere, &c. en un mot tous les phénomenes de la Botanique physique, excepté ceux qui appartiennent à l’organisation des végétaux ; tous ceux qui appartiennent à cette branche de l’œconomie animale qui est fondée sur les affections des humeurs ; tous ceux qui constituent l’œconomie ninerale que Becher a appellée physique soûterraine, ou qui sont dûs aux changemens chimiques survenus dans ces corps ; & enfin ceux que présentent dans l’atmosphere certaines matieres détachées des végétaux, des animaux, ou des minéraux.

Les phénomenes chimiques artificiels sont tous ceux qui nous sont présentés par les opérations chimiques, & ceux qui constituent la théorie de ces opérations elles-mêmes.

Nous appellons opérations, tous les moyens particuliers employés à faire subir aux sujets de l’art les deux grands changemens énoncés dans la définition de la Chimie, c’est-à-dire à effectuer des séparations & des unions.

Ces opérations ou sont fondamentales & essentiellement chimiques, ou elles sont simplement préparatoires & méchaniques. Voyez Opérations chimiques.

Les deux effets généraux, primitifs, & immédiats de toutes les opérations chimiques, savoir la séparation & l’union des principes, sont plus connus dans l’art sous le nom de diacrese & de syncrese. La premiere est appellée aussi par plusieurs chimistes analyse, décomposition, corruption, solution, destruction ; & la seconde, mixtion, génération, synthese, combinaison, coagulation, & même confusion par quelques-uns : chacune de ces expressions est prise dans un sens plus ou moins général par divers auteurs, & même en différens sens par les mêmes. Le mot de mixtion, dans la doctrine de Becher & de Stahl, si-

gnifie, par exemple, tantôt l’union de différens principes en général, & tantôt l’union des élémens en particulier, ou celle qui constitue les mixtes proprement dits. Voyez Mixtion.

Les noms les plus usités parmi les Chimistes François, sont ceux d’analyse & de décomposition pour le premier effet général, & ceux de combinaison & de mixtion pour le deuxieme.

Il est très-peu d’opérations chimiques qui ne produisent qu’un de ces effets, ou qui appartiennent exactement à la diacrese ou à la syncrese : la plûpart au contraire sont mixtes, c’est-à-dire qu’elles produisent des séparations & des unions qui sont entre elles dans un rapport de cause & d’effet. Voyez Diacrese, Syncrese, Opérations chimiques.

Les opérations chimiques s’exécutent par deux agens généraux, la chaleur & les menstrues.

L’action de ces deux causes se complique diversement dans les différentes opérations, selon le petit nombre de lois suivantes.

1°. La chaleur seule opere rarement des séparations pures ; & les corps résistent d’autant plus à son action dissociante, qu’ils sont d’un ordre de mixtion moins composé. Nos corps simples & nos mixtes parfaits sont inaltérables par la chaleur seule, du moins par le plus haut degré de chaleur que nous sachions leur appliquer dans les vaisseaux fermés, c’est-à-dire sans le concours de l’air, de l’eau, & du feu menstrue ; plusieurs composés même éludent absolument cette action. Tels sont le tartre vitriolé, le sel marin, &c.

2°. La chaleur est nécessaire à toute action menstruelle, au moins comme condition essentielle ; car il est impossible, du moins il est très-rare que cette derniere action ait lieu entre deux corps solides ou gelés (ce qui est proprement la même chose), & elle ne peut être exercée que l’aggrégation de l’un des deux corps ne soit très-lâche : or cette laxité suffisante ne se trouve ordinairement que dans l’état de liquidité, qui est essentiellement dépendent de la chaleur. C’est sur cette observation qu’est fondé l’axiome chimique, menstrua non agunt nisi sint soluta.

3°. Non-seulement tout menstrue doit pour agir être secondé d’une chaleur absolue, mais même son activité est proportionnelle au degré de chaleur dont il est animé ; ou, pour parler sans figure, à son degré de rareté ou d’expansion : car, comme nous l’avons déjà observé, & comme nous le prouverons au mot, le méchanisme de la dissolution ne consiste point du tout dans le mouvement du menstrue ; & cette division du corps à dissoudre, par laquelle on se figure ordinairement son action, n’en donne qu’une fausse idée. Voyez Menstrue.

4°. La chaleur appliquée à un corps composé, non seulement desunit ses différens principes, mais même les met ordinairement en jeu, & favorise par là de nouvelles combinaisons. L’extrait d’une plante, par exemple, est une substance très-composée, portant en soi des principes de réaction. Ces principes dégagés de leurs premiers liens par un feu suffisant, exercent l’action menstruelle en opérant des précipitations qui supposent des dégagemens & des combinaisons nouvelles. Voyez Distillation, Précipitation, Menstrue ; voy. Analyse végétale au mot Végétal ; voyez Feu.

Ces dégagemens & ces nouvelles combinaisons sont assez multipliés pour qu’on n’ait dû avoir que des théories très-fausses des opérations qui les produisoient, tant qu’on n’a pas sû qu’elles les produisoient en effet, ou qu’on n’a pas été en état de les estimer. C’est parce que quelques anciens chimistes ont ignoré les vrais effets de la chaleur sur les principes des corps, qu’ils ont tant abusé de ce moyen chimique ;