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de l’or, la volatilité du mercure, l’inamalgabilité du fer, &c. sont des propriétés internes de ce genre ; découvrir les propriétés contraires, voilà la source des problèmes de la Chimie pratique la moins vulgaire.

Il est d’autres propriétés internes qui sont tellement inhérentes au corps, qu’il ne sauroit subsister que par elles : ce sont toutes celles qui ont leur raison prochaine dans l’être élémentaire, ou dans l’ordre de mixtion des corpuscules spécifiques de chaque corps ; c’est ainsi qu’il est essentiel au nitre d’être formé par l’union de l’acide que nous appellons nitreux & de l’alkali fixe ; à l’eau, d’être un certain élément, &c.

Toutes les distinctions que nous avons proposées jusqu’à présent peuvent n’être regardées que comme des vérités de précision analytique, puisque nous n’avons considéré proprement dans les corps que des qualités ; nous allons voir que les différences qu’ils nous présenteront comme agens physiques ne sont pas moins remarquables.

1°. Les masses exercent les unes sur les autres des actions très-distinctes de celles qui sont propres aux corpuscules, & cela selon des lois absolument différentes de celles qui reglent les affections mutuelles des corpuscules. Les premieres se choquent, se pressent, se résistent, se divisent, s’élevent, s’abaissent, s’entourent, s’envelopent, se pénetrent, &c. les unes les autres à raison de leur vîtesse, de leur masse, de leur gravité, de leur consistance, de leurs figures respectives ; & ces lois sont les mêmes, soit que l’action ait lieu entre des masses homogenes, soit qu’elle se passe entre des masses spécifiquement différentes. Une colonne de marbre, tout étant d’ailleurs égal, soûtient une masse de marbre comme une masse de plomb ; un marteau d’une matiere convenable quelconque, chasse de la même façon un clou d’une matiere convenable quelconque. Les actions mutuelles des corpuscules ne sont proportionnelles à aucune de ces qualités ; tout ce que les dernieres éprouvent les unes par rapport aux autres, se reduit à leur union & à leur séparation aggrégative, à leur mixtion, à leur décomposition, & aux phénomenes de ces affections : or il ne s’agit dans tout cela ni de chocs, ni de pressions, ni de frottemens, ni d’entrelassement, ni d’introduction, ni de coin, ni de levier, ni de vitesse, ni de grosseur, ni de figure, &c. quoiqu’une certaine grosseur & une certaine figure soient apparemment essentielles à leur être spécifique. Ces actions dépendent des qualités intérieures des corpuscules, parmi lesquelles l’homogénéité & l’hétérogénéité méritent la premiere considération, comme conditions essentielles : car l’aggrégation n’a lieu qu’entre des substances homogenes, comme nous l’avons observé plus haut ; l’hétérogénéité des principes au contraire est essentielle à l’union mixtive. Voyez Mixtion, Décomposition, Séparation.

2°. Toutes les masses gravitent vers un centre commun, ou sont pesantes, elles ont chacune un degré de pesanteur connu, & proportionnel à leur quantité de matiere propre sous un volume donné : la gravité absolue de tous les corpuscules n’est pas démontrée (Voyez Principes & Phlogistique) ; leur gravité spécifique n’est pas connue.

3°. Les masses adherent entre elles à raison de leur vicinité, de leur grosseur, & de leur figure : les corpuscules ne connoissent point du tout cette loi ; c’est à raison de leur rapport ou affinité que se font leurs unions (Voyez Rapport) ; & réciproquement les masses ne sont pas soûmises aux lois des affinités ; l’action menstruelle suppose au contraire la destruction de l’aggrégation (Voyez Menstrue) ; & jamais de l’union d’une masse à une masse de nature différente, il ne résultera un nouveau corps homogene.

4°. Les corpuscules peuvent être écartés les uns des autres par la chaleur, cause avec laquelle on n’a plus besoin de la répulsion de Newton ; les masses ne s’éloignent pas les unes des autres par la chaleur. Voyez Feu.

5°. Certains corpuscules peuvent être volatilisés ; aucune masse n’est volatile. Voyez Volatilité.

Jusqu’à présent nous n’avons opposé les corpuscules aux aggregés, que par la seule circonstance d’être considérés solitairement, & nous n’avons eu aucun égard à la constitution intérieure des premiers : ce dernier aspect nous fournira de nouveaux caracteres distinctifs. Les voici :

1°. Les aggregés sont homogenes : & les corpuscules ou sont simples, ou sont composés de matériaux essentiellement différens. La premiere partie de cette proposition est fondée sur une définition ou demande ; la seconde exprime une vérité du même genre, & elle a d’ailleurs toute l’évidence que peut procurer une vaste expérience que nous avons à ce sujet. Voyez Mixtion,

2°. Les matériaux des corpuscules composés different non seulement entre eux, mais encore du corpuscule qui résulte de leur union, & par conséquent de l’aggregé formé par l’assemblage de ces corpuscules : c’est ainsi que l’alkali fixe & l’acide nitreux different essentiellement du nitre & d’une masse de nitre ; & si cette division est poussée jusqu’aux élémens, nous aurons toute la différence d’une masse à un corps simple. Voyez notre doctrine sur les élémens au mot Principe.

3°. Les principes de la mixtion ou de la composition des corpuscules, sont unis entre eux par un nœud bien différent de celui qui opere l’union aggrégative ou le rapport de masse : le premier peut être rompu par les moyens méchaniques, aussi-bien que par les moyens chimiques ; le second ne peut l’être que par les derniers, savoir, les menstrues & la chaleur ; & dans quelques sujets même ce nœud est indissoluble, du moins par les moyens vulgaires : l’or, l’argent, le mercure, & un très-petit nombre d’autres corps, sont des mixtes de cette derniere classe. Voyez Mixte.

Les bornes dans lesquelles nous sommes forcés de nous contenir, ne nous permettent pas de pousser plus loin ces considérations : les propositions qu’elles nous ont fournies, quoique simplement énoncées pour la plûpart, prouvent, ce me semble, suffisamment que les affections des masses, & les affections des différens ordres de principes dont elles sont formées, peuvent non-seulement être distinguées par des considérations abstraites, mais même qu’elles different physiquement à plusieurs égards ; & l’on peut au moins soupçonner dès-à-présent que la physique des corps non organisés peut être divisée par ces différences en deux sciences indépendantes l’une de l’autre, du moins quant aux objets particuliers. Or elles existent ces deux sciences, la division s’est faite d’elle-même ; & l’objet dominant de chacune remplit si exactement l’une des deux classes que nous venons d’établir, que ce partage qui a précédé l’observation raisonnée de sa nécessité, est une nouvelle preuve de la réalité de notre distinction.

L’une de ces sciences est la Physique ordinaire, non pas cette Physique universelle qui est définie à la tête des cours de Physique ; mais cette Physique beaucoup moins vaste qui est traitée dans ces ouvrages.

La seconde est la Chimie.

Que la Physique ordinaire, que je n’appellerai plus que Physique, se borne aux affections des masses, ou au moins que ce soit là son objet dominant, c’est un fait que tout lecteur peut vérifier 1° sur la table des chapitres de tout traité de Physique ; 2°