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qui ne s’en servoient que dans les jours de cérémonies, comme triomphes, jeux publics, &c. Il paroît qu’il y avoit telle chaussure qu’on pardonnoit à la jeunesse, mais qu’on quittoit dans un âge plus avancé : on reprochoit à César de porter sur le retour de l’âge une chaussure haute & rouge. Le calceus & le mullæus couvroient tout le pié, & montoient jusqu’au milieu de la jambe. Les Romains pousserent le luxe fort loin dans cette partie du vêtement, & y employerent l’or & l’argent, & les pierreries. Ceux qui se piquoient de galanterie, veilloient à ce que la chaussure prît bien la forme du pié. On la garnissoit d’étoffe molle ; on la serroit fortement avec des courroies appellées ansa ; quelques-uns même s’oignoient auparavant les piés avec des parfums.

Le pero étoit de peaux de bêtes non préparées : c’étoit une chaussure rustique ; elle alloit jusqu’à la moitié du genou. Le phacasium étoit de cuir blanc & leger ; cette chaussure convenoit à des piés délicats : les prêtres d’Athenes & d’Alexandrie la portoient dans les sacrifices. Le caliga étoit la chaussure des gens de guerre ; c’étoit une grosse semelle d’où partoient des bandes de cuir qui se croisoient sur le coup de pié, & qui faisoient quelques tours vers la cheville : il y avoit quelquefois de ces courroies qui passoient entre le gros orteil & le suivant, & alloient s’assembler avec les autres. Le campagus différoit peu du caliga ; c’étoit la chaussure de l’empereur & des principaux de l’armée : il paroît que les courroies de celle-ci étoient plus legeres qu’au caliga, & formoient un réseau sur la jambe.

Le solea, crepida, sandalium, gallica, étoient des semelles retenues sous la plante du pié : voilà ce qu’elles avoient de commun ; quant à leur différence, on l’ignore : on sait seulement que le solea & le gallica n’alloient point avec la toge, à moins qu’on ne fût à la campagne ; mais qu’on les portoit fort bien avec le penule. Les femmes se servoient de ces deux chaussures, soit à la ville soit à la campagne. Il paroît par quelques endroits de Cicéron, qu’il y avoit un solea qui étoit de bois, qu’il étoit très-lourd, & qu’on en mettoit aux piés des criminels pour les empêcher de s’enfuir. Ce pourroit bien être du gallica des Latins que nous avons fait notre mot galloche.

Le crepida différoit peu du solea, & ne couvroit le pié que par intervalle. Le bacca étoit une chaussure de philosophes ; il y en avoit de feuilles de palmier. On n’a d’autres conjectures sur la sycionia, sinon que c’étoit une chaussure legere. Quant au soccus, soc, & au cothurnus, cothurne, voyez Soc & Cothurne. Les ocreæ qui étoient en usage dès la guerre de Troye, étoient quelquefois d’étain, de cuivre, de fer, & d’oripeau.

Les Juifs avoient aussi leurs chaussures, assez semblables à celles que nous venons de décrire ; elles s’attachoient sur le pié avec des courroies. Cependant ils alloient souvent piés nuds ; ils y étoient obligés dans le deuil, par respect, & quelquefois par pauvreté. Leurs prêtres entroient dans le temple piés nuds : ils ôtoient leurs sandales en se mettant à table, excepté à la célébration de l’agneau paschal. Oter sa chaussure & la donner, étoit le signe du transport de la propriété d’une chose.

Les anciens Germains, & sur-tout les Goths, avoient une chaussure de cuir très-fort qui alloit jusqu’à la cheville du pié : les gens distingués la portoient de peau. Ils étoient aussi dans l’usage d’en faire de jonc & d’écorce d’arbre. Presque tous les Orientaux aujourd’hui portent des babouches ou chaussures semblables à nos pantoufles. Presque tous les Européens sont en souliers. Nos chaussures sont le soulier, la pantoufle, la babouche, la mule, la claque, le patin, le sabot. Voyez ces mots à leurs articles. Antiq. expl. heder. lex.

Observations anatomiques sur quelques chaussures modernes. De judicieux anatomistes ont observé, 1o. que les différens mouvemens des os du pié étant très-libres dans l’état naturel, comme on le voit assez dans les petits enfans, se perdent d’ordinaire par la mauvaise maniere de chausser les piés ; que la chaussure haute des femmes change tout-à-fait la conformation naturelle de ces os, rend les piés extraordinairement cambrés ou voûtés, & même incapables de s’applatir, à cause de la soûdure non naturelle ou anchylose forcée de ces os ; à peu-près comme il arrive aux vertebres des bossus : que l’extrémité postérieure de l’os calcaneum, à laquelle est attaché le gros tendon d’achille, s’y trouve continuellement beaucoup plus élevée, & le devant du pié beaucoup plus abaissé que dans l’état naturel ; & que par conséquent les muscles qui couvrent la jambe postérieurement, & qui servent par l’attache de leur tendon à étendre le pié, sont continuellement dans un raccourcissement non naturel, pendant que les muscles antérieurs qui servent à fléchir le pié en-devant, sont au contraire dans un allongement forcé.

2o. Que les personnes ainsi chaussées, ne peuvent que très-difficilement descendre d’une montagne ; au lieu qu’en y montant, la chaussure haute leur peut en quelque façon servir de marches plates, le bout du pié étant alors plus élevé : qu’elles ont aussi de la peine à marcher long-tems, même par un chemin uni, sur-tout à marcher vîte, étant alors obligées ou de se balancer à peu près comme les canards, ou de tenir les genoux plus ou moins pliés & soûlevés, pour ne pas heurter des talons de leur chaussure contre terre ; & que par la même raison, elles ne peuvent sauter avec la même liberté que d’autres qui ont la chaussure basse : car on sait que dans l’homme, de même que dans les quadrupedes & dans les oiseaux, l’action de sauter s’exécute par le mouvement subit & prompt de l’extrémité postérieure & saillante de l’os calcaneum au moyen des muscles, dont le gros tendon y est attaché.

3o. Que les chaussures basses, loin d’exposer à ces inconvéniens, facilitent au contraire tous les mouvemens naturels des piés, comme le prouvent assez les coureurs, les porte-chaises, les laboureurs, &c. que les sabots les plus communs, malgré leur pesanteur & inflexibilité, ne mettent pas tant d’obstacles à l’action libre & naturelle des muscles qui servent aux mouvemens des piés, en ce que, outre qu’ils ont le talon très-bas, leur extrémité antérieure est arrondie vers le dessous ; ce qui supplée en quelque maniere au défaut de l’inflexion alternative d’un pié appuyé sur les orteils, pendant que l’autre pié est en l’air quand on marche.

4o. Que les socques des Récollets suppléent davantage à ce défaut, en ce que avec un talon très bas, ils ont encore une piece de la même hauteur vers le devant, sous l’endroit qui répond à l’articulation du métatarse avec les orteils ; & que par ce moyen, la portion antérieure de ces socques étant en l’air, permet d’abaisser la pointe du pié proportionnellement à l’élévation du calcaneum.

5o. Que les souliers du petit peuple avec des semelles de bois, sont moins commodes que ces socques, & fatiguent plus les muscles du tendon d’achille, en ce que n’étant-ni flexibles ni façonnés comme ces socques, ils rendent la portion antérieure du levier du pié plus longue que dans l’état naturel, & occasionnent ainsi plus d’effort à ces muscles, lorsqu’il faut soûlever le corps sur la pointe de ces souliers inflexibles : car on sait que dans l’action de soûlever le corps sur la pointe du pié, ce pié fait l’office du levier de la seconde espece, le fardeau de