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de plus que de disposer la filasse à quitter la chenevotte ; elle affine & attendrit la filasse.

Il est dangereux de tenir trop long-tems le chanvre dans l’eau ; car alors il roüit trop, le chanvre est trop pourri, & en ce cas la filasse n’a plus de force : au contraire, quand le chanvre n’a pas été assez longtems dans l’eau, l’écorce reste adhérente à la chenevotte, la filasse est dure, élastique, & on ne la peut jamais bien affiner. Il y a donc un milieu à garder ; & ce milieu ne dépend pas seulement du tems qu’on laisse le chanvre dans l’eau, mais encore :

1o . De la qualité de l’eau ; il est plûtôt roüi dans l’eau dormante que dans celle qui coule, dans l’eau qui croupit, que dans celle qui est claire.

2o . De la chaleur de l’air ; il se roüit plûtôt quand il fait chaud que quand il fait froid.

3o . De la qualité du chanvre ; celui qui a été élevé dans une terre douce, qui n’a point manqué d’eau, & qu’on a cueilli un peu verd, est plûtôt roüi que celui qui a crû dans une terre forte ou seche, & qu’on a laissé beaucoup mûrir.

En général, on croit que quand le chanvre reste peu dans l’eau pour se roüir, la filasse en est meilleure ; c’est pour cela qu’on prétend qu’il ne faut roüir que par les tems chauds : & quand les automnes sont froids, il y en a qui remettent au printems suivant à roüir leur chanvre femelle ; quelques-uns même préferent de roüir leur chanvre dans de l’eau dormante, même dans de l’eau croupissante, plûtôt que dans de l’eau vive.

M. Duhamel, auteur du traité de Corderie, d’où nous tirons cet article abregé, mit roüir du chanvre dans différentes eaux, & il lui parut que la filasse du chanvre qui avoit été roüi dans l’eau croupissante, étoit plus douce que celle du chanvre qu’on avoit roüi dans l’eau courante ; mais la filasse contracte dans les eaux qui ne coulent point, une couleur desagréable, qui ne lui cause, à la vérité, aucun préjudice, car elle n’en blanchit que plus aisément : cependant cette couleur déplaît, & la filasse en est moins marchande ; c’est pourquoi on fait passer, autant qu’on le peut, au-travers des routoirs un petit courant d’eau qui renouvelle celle du routoir, & qui empêche qu’elle ne se corrompe.

Il est évident par ce que nous avons dit, qu’on ne peut pas fixer le tems qu’il faut laisser le chanvre dans le routoir, puisque la qualité du chanvre, celle de l’eau & la température de l’air, ralentissent ou précipitent cette opération.

On a coûtume de juger que le chanvre a été suffisamment roüi, en éprouvant si l’écorce se leve aisément & de toute sa longueur de dessus la chenevotte ; outre cela il faut avoüer que la grande habitude des paysans qui cultivent le chanvre, les aide beaucoup à ne lui donner que le degré de roüi qui lui convient : cependant ils s’y trompent quelquefois, & il m’a paru qu’il y avoit des provinces où l’on étoit dans l’usage constant de roüir plus que dans d’autres.

Il est bon d’être averti qu’il faut éviter de mettre roüir le chanvre dans certaines eaux où il y a quantité de petites chevrettes ; car ces animaux le coupent, & la filasse est presque perdue.

En parlant de la récolte du chanvre mâle, nous avons dit qu’on laissoit encore quelque tems le chanvre femelle en terre pour lui donner le tems de mûrir sa semence ; mais ce délai fait que le chanvre femelle mûrit trop, son écorce devient trop ligneuse ; & il s’ensuit que la filasse qu’il fournit, est plus grossiere & plus rude que celle du mâle : néanmoins quand on voit que la semence est bien formée, on arrache le chanvre femelle comme on a fait le mâle, & on l’arrange de même par poignées.

Dans certains pays, pour achever la maturité du

chenevi, on fait à différens endroits de la cheneviere des fosses rondes de la profondeur d’un pié & de trois à quatre piés de diametre, & on arrange dans le fond de ces fosses les poignées de chanvre bien serrées les unes auprés des autres, de telle sorte que la graine soit en bas & la racine en haut ; on les retient ensuite en cette situation avec des liens de paille, & on releve tout autour de cette grosse gerbe la terre qu’on avoit tirée de la fosse, pour que les têtes du chanvre soient bien étouffées.

La tête de ce chanvre s’échauffe à l’aide de l’humidité qui y est contenue, comme s’échauffe un tas de foin verd ou une couche de fumier : cette chaleur acheve de mûrir le chenevi, & le dispose à sortir plus aisément de ses enveloppes.

Quand le chenevi a acquis cette qualité, on retire le chanvre de ces fosses, où il se moisiroit si on l’y laissoit plus long-tems.

Dans d’autres cantons où il y a beaucoup de chanvre, on ne l’enterre point, on se contente de l’arranger par tas tête contre tête ; & quelques jours après on travaille à en retirer le chenevi, comme nous allons l’expliquer.

Ceux qui ne font que de petites récoltes, étendent un drap par terre pour recevoir leur chenevi ; les autres nettoyent & préparent une place bien unie sur laquelle ils étendent leur chanvre, en mettant toutes les têtes du même côté ; ils le battent légerement, ou avec un morceau de bois, ou avec de petits fléaux : cette opération fait tomber la meilleure graine, qu’ils mettent à part pour la semer le printems suivant ; mais il reste encore beaucoup de chenevi dans les têtes. Pour le retirer, ils peignent la tête de leur chanvre sur les dents d’un instrument qu’on appelle un égrugeoir, qu’on voit même Planc. même division en r ; & par cette opération l’on fait tomber en même tems & pêle-mêle, les feuilles, les enveloppes des semences, & les semences elles-mêmes : on conserve tout cela en tas pendant quelques jours, puis on l’étend pour le faire sécher, enfin on le bat, & on nettoye le chenevi en le vannant & en le passant par le crible.

C’est cette seconde graine qui sert à faire l’huile de chenevi & à nourrir les volailles.

A l’égard du chanvre, on le porte au routoir, q, pour y souffrir la même préparation que le chanvre mâle.

Quand on a retiré le chanvre du routoir, on délie les bottes pour les faire sécher, on les étend au soleil le long d’un mur, ou sur la berge d’un fossé, ou simplement à plat dans un endroit où il n’y ait point d’humidité : on a soin de les retourner de tems en tems ; & quand le chanvre est bien sec, on le remet en bottes pour le porter à la maison, où on le conserve dans un lieu sec jusqu’à ce qu’on veuille le tiller ou le broyer de la maniere suivante.

Il y a des provinces où l’on tille tout le chanvre, & dans d’autres il n’y a que ceux qui en recueillent peu qui le tillent ; les autres le broyent.

La façon de tiller le chanvre est si simple, que les enfans y réussissent aussi-bien que les grandes personnes : elle consiste à prendre les brins de chanvre les uns après les autres, à rompre la chenevotte, & à en détacher la filasse en la faisant couler entre les doigts. On voit même Planche, même division, cette opération en s.

Ce travail paroît un peu long ; néanmoins comme il s’exécute dans des momens perdus & par les enfans qui gardent les bestiaux, il n’est pas fort à charge aux familles nombreuses : mais il feroit perdre beaucoup de tems aux petites familles, qui ont bien plûtôt fait de le broyer.

Avant que de broyer le chanvre, il le faut bien dessécher, ou, comme disent les paysans, le bien hâ-