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que l’un ou l’autre ait un sens plus caché qui renferme la vérité. Il y a beaucoup d’analogie entre ce qui sent l’hérésie, & ce qui est captieux ; elle est la même que celle qui se trouve entre l’hérésie & l’erreur. Ainsi toute proposition chargée de termes compliqués, obscurs & embarrassés, est ou captieuse ou sentant l’hérésie ; captieuse, si c’est seulement une erreur qu’elle insinue ; sentant l’hérésie, si c’est une hérésie qu’elle présente d’une maniere indirecte. Il n’est pas aisé d’assigner des limites qui séparent une proposition mal sonnante dans la foi d’avec celle qui sent l’hérésie ; peut-être que toute la malignité de l’une consiste dans les termes durs qui énoncent une vérité, & qui la rendent odieuse à ceux qui l’écoutent : tandis que la malignité de l’autre en veut à la vérité, quoique sous des termes plus doux & plus mitigés. Ainsi la note d’une proposition mal sonnante dans la foi, n’est pas si forte que la note d’une proposition sentant l’hérésie. On qualifie d’opinion dangereuse celle qui embarrasse si fort le dogme catholique dans les incertitudes des systèmes théologiques, que cette opinion entraîneroit la ruine du dogme avec celle des systèmes. Rien n’est sans doute plus dangereux, pour la foi, que de la faire dépendre d’une opinion humaine, sujette par sa nature à l’examen critique de tout homme qui voudra l’attaquer. La note de témérité tombe sur une proposition qui seroit balancée par une grande autorité ; ce n’est pas tant le nombre des scholastiques que leurs raisons, qui doivent faire autorité sur l’esprit d’un Théologien. Il y a eu un tems où toutes les écoles, & même toutes les universités de Théologie, soûtenoient avec chaleur le probabilisme ; cette nuée de Théologiens, qui formoient pour lui un puissant parti, lui donnoit-elle plus de poids & d’autorité ? non sans doute. Il y a eu aussi un tems où ç’eût été un crime en Théologie, de soûtenir l’intention extérieure ; c’est aujourd’hui une opinion soûtenue publiquement sur les bancs : tel est le sort des opinions théologiques. Ce que de graves docteurs ont proscrit comme téméraire dans leur jeunesse, ils le voyent quelquefois soûtenir sur leurs vieux ans, comme une opinion très-vraissemblable : témoin la fameuse question des ordinations Anglicanes, sur laquelle on a fait autrefois tant de bruit. L’exemple du concile de Trente, qui a laissé tant de questions indécises, ne voulant point interposer son autorité où il voyoit différentes opinions, nous apprend combien on doit être circonspect, quand il est question de flétrir un livre ou quelques propositions extraites. Ce qui a été une fois censuré par l’Eglise, soit dispersée, soit assemblée dans un concile, l’est irrévocablement ; aussi la censure ne tombe pas sur toute expression ou toute proposition, qui se reproduit dans l’Eglise, après y avoir été défendue quelque tems, à cause de l’abus qui pouvoit en naître. Tels sont, par exemple, le terme d’omousios ; & cette proposition, unus e trinitate passus est. Il y a donc cette différence entre les propositions que l’Eglise censure, & celles qu’elle défend seulement ; que les premieres contenant en elles-mêmes quelque fausseté, blesseront toûjours par quelque endroit la vérité, qui est la même dans tous les tems ; au lieu que les secondes n’étant mauvaises que par l’abus qu’en fait l’erreur, reprendront leur premier sens avoüé par la vérité, quand l’erreur qui lui en donnoit un forcé & mauvais, le précipitera dans l’oubli. Voyez Note & Qualification. (X)

CENT, (Commerce.) nous exprimons communément les quantités, la proportion des choses, & les profits qui se font dans le commerce, par cent ; ils exigent deux & demi par ou pour cent, pour remettre de l’argent en telle ville : l’intérêt légitime de l’argent est cinq pour cent. Voyez Change, Remise, Intérêt.

Cent est aussi en usage en fait de mesure, pour signifier certaine quantité ou nombre.

Les planches de sapin sont à six vingt le cent ou le grand cent, qui est de 112 livres.

Les lattes & les pieux de cinq piés sont à cinq fois vingt, & ceux de trois à six fois vingt le cent, le poids de cent ou le grand cent. Voyez Quintal.

Cent signifie aussi la perte ou le profit qui se rencontre sur la vente de quelque marchandise : ainsi quand on dit qu’il y a eu dix pour cent de gain, ou dix pour cent de perte sur une marchandise, c’est-à-dire, que l’on y a profité ou perdu dix francs chaque fois.

Cent se dit encore par rapport aux traites & remises d’argent que l’on fait d’une place sur une autre place : ainsi l’on dit, il en coûtera deux & demi pour cent pour remettre en une telle ville.

Le tant pour cent qu’il en coûte pour les traites & remises d’argent, est ce que l’on appelle le prix du change. Voyez Change.

Dans les écritures de marchands le tant pour cent se met ainsi en abregé (2. p. ) c’est-à-dire, deux pour cent. Dict. du Comm. (G)

* CENTAURES, s. m. pl. (Myth.) monstres de la fable moitié hommes & moitié chevaux : elle les a fait naître d’Ixion & d’une nuée. Ceux qui prétendent trouver un sens à toutes les visions de la crédule antiquité, disent que les centaures étoient des peuples qui habitoient la contrée de la Thessalie voisine du mont Pélion, qu’ils dompterent les premiers chevaux ; & que comme avant eux l’on n’avoit point encore vû d’homme à cheval, on prit l’homme & le cheval sur lequel il étoit monté, pour un seul & même animal. Quoi qu’il en soit de cette explication, il est certain que le centaure Chiron, précepteur d’Achille, n’étoit qu’un excellent écuyer. Ceux des centaures qui assisterent aux noces de Pirithoüs & de Déidamie s’y querellerent avec les Lapithes, qu’Hercule vengea en chassant les centaures de la Thessalie. Y a-t-il eu vraiment des centaures, ou ces monstres sont-ils fabuleux ? c’est ce qu’il n’est point facile de décider. Plutarque dit qu’on en présenta un qui venoit de naître d’une cavale, aux sept sages ; Pline, qu’il en a vû un qu’on avoit apporté d’Egypte à Rome, embaumé à la maniere du pays ; S. Jérome, que S. Antoine rencontra un hippocentaure dans le desert, &c. Si l’on veut décider la question par l’histoire naturelle, on trouvera dans un grand nombre d’animaux qui proviennent du mêlange de deux especes, des raisons suffisantes pour admettre la possibilité des centaures, des faunes, &c. Quant à la maniere fabuleuse dont ils naquirent d’Ixion & de la nuée, on la raconte de plusieurs manieres différentes : les uns prétendent qu’Ixion devenu amoureux de Junon à la table de Jupiter, osa déclarer sa passion à la déesse ; & que Jupiter loin de s’offenser de cette témérité, offrit aux embrassemens d’Ixion une nuée formée à la ressemblance de Junon, de laquelle naquit un centaure : d’autres disent qu’Ixion ayant engagé par l’espoir de la récompense, de jeunes Thessaliens d’un village voisin de la montagne appellée Nephele ou Nuée, à combattre des taureaux qui ravageoient la campagne autour du mont Pélion, le nom de la montagne, & le succès des jeunes gens contre les taureaux, donnerent lieu à la fable d’Ixion & des centaures : enfin Tzetzes assûre que le Jupiter dont Ixion aima la femme, étoit un roi de Thessalie qui eut la condescendance pour la passion d’Ixion, non de lui céder sa femme, mais de lui substituer une de ses filles d’honneur appellée Nephelé, de laquelle naquit un fils appelé Imbrus, & surnommé dans la suite centaure, de κεντῶν, piquant, & de ὀυρὰ, queue. D’autres donnent pour étymologie κεντεῖν τοὺς ταύρους, pungere tauros, parce que, dit-on, les centaures étoient des gardes du roi de Thessalie, qui ramenerent à l’étable des taureaux qui s’étoient enfuis & effarouchés.