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de la vis, de l’écrou, & de la lanterne. On passe un levier dans les fuseaux de la lanterne ; on met une corde à l’extrémité de ce levier : cette corde va s’enrouler sur un arbre ; cet arbre est tourné par un bras de levier auquel un homme s’applique. L’écrou étant attaché fixement, la vis fait par bas l’effort le plus violent contre la pressée. En conséquence de cet effort, les feuilles prises entre les molletons s’étendent, leurs parties lâches & molles se serrent, s’approchent, & s’essuient. On reçoit dans un baquet l’eau qui s’en échappe par une ouverture pratiquée au plateau : on conçoit aisément que cette eau n’est pas d’une qualité inférieure à celle du tonneau du bout ; aussi la conserve-t-on. Je ne doute pas même qu’étant extrèmement chargée de farine, de gomme, de colle, si on s’en servoit dans les trempis, elle n’en rendît la fermentation beaucoup plus vigoureuse & plus forte. On voit l’opération de la presse si clairement, fig. 3. & elle est si simple, qu’il est inutile de la détailler davantage. Cette presse n’a rien de particulier, que son plateau, ses madriers, & la grosseur de toutes ses parties.

Le carton ne reste pas long-tems sous la presse : la pressée, quand elle ne rend plus rien par le plateau, est envoyée dans un autre attelier.

Cet attelier s’appelle l’épluchoir : là des filles, qu’on appelle éplucheuses, s’occupent à tirer les feuilles de carton d’entre les molletons que les ouvriers appellent langes, & à les visiter les unes après les autres pour en arracher les grosses ordures. Ces grosses ordures se sentent facilement à travers la feuille molle, quand on ne les voit pas. On les ôte ; on presse avec le doigt l’endroit déchiré, & il n’y paroît plus qu’à l’inégalité d’épaisseur. L’endroit reprend ; il est seulement plus mince.

Ou ces feuilles épluchées sont destinées à rester simples comme elles sont, ou à former un carton plus épais dont elles seront parties : si elles sont destinées à rester simples, on les rapporte dans l’attelier de la presse, sous laquelle on les remet, & on les équarrit. Equarrir, c’est en enlever les bords & les rendre plus quarrées ; ce qui s’exécute avec une ratissoire tranchante. On conçoit bien qu’alors les feuilles ne sont pas entre les langes.

Si on les destine à former un carton plus épais, il y a des ouvriers qui ne les épluchent point, de peur qu’elles ne se sechent trop ; elles passent de dessous la presse où on les a mises entre les langes pour la premiere fois, au côté droit de l’ouvrier sur une table : alors l’ouvrier remet proche de lui son plateau vuide ; ôte de dessus la pressée mise sur sa table, le premier lange qui la couvre, & l’étend au fond de son plateau ; il enleve pareillement la premiere feuille simple qui se présente : mais comme elle est mollette, pour ne la point déchirer, il prend le lange, sur lequel elle est posée, par les deux coins d’en-bas ; il corne ces deux coins ; puis il roule le reste de la main droite en allant vers la gauche, & de la gauche en allant vers la droite. Il porte en cet état la feuille roulée en deux parties avec le lange, sur le fond de son plateau. L’endroit des coins étant plus épais que le reste, fait dérouler ; & la feuille, & sous cette feuille le lange, sont étendus en un moment sur le fond du plateau. Cela fait, ou plûtôt pendant cette manœuvre, une forme de matiere s’égoutte sur l’égouttoir ; le cartonnier en ôte aussitôt le chassis, le met sur une seconde forme ; remplit celle-ci, la met égoutter, & renverse la premiere sur celle qu’il a étendue sur le plateau.

Puis il retourne à la cuve ; ôte à la forme qui égouttoit, son chassis ; le met à la forme vuide ; la remplit, & la met égoutter. Pendant qu’elle égoutte, il s’avance vers sa table ; enleve de la pressée une autre feuille avec la même précaution que ci-dessus, c’est-

à-dire roulée dans son lange, & étend ce lange &

cette feuille sur son plateau ; puis il prend de ces deux formes la premiere égouttée, celle qui n’a point de chassis, & la renverse sur son plateau, ou plûtôt sur la feuille de pressée.

Il retourne à sa cuve ; ôte à la forme qui égoutte son chassis ; remplit la forme qu’il tient, après lui avoir mis le chassis qu’il a ôté à l’autre, & la pose sur l’égouttoir. Tandis qu’elle égoutte, il enleve de la pressée une feuille roulée dans son lange, l’étend sur le plateau avec son lange dessous ; puis il prend des deux formes qui égouttoient, celle qui n’a point de chassis, & la renverse sur le plateau, ou plûtôt sur la feuille de pressée. Il retourne ensuite à la cuve, & réitere toute la manœuvre que nous venons d’expliquer, jusqu’à ce qu’il ait formé une nouvelle pressée, qui ne differera de la premiere qu’en ce que entre chaque lange il ne se trouvoit qu’une feuille ; au lieu qu’ici il y en a deux, la feuille de la nouvelle fabrique, & celle de la précédente.

Quand cette pressée est faite, on remet le plateau sous la presse, & l’on presse. L’effet de la manœuvre précédente & de celle-ci, est d’unir si bien la premiere feuille faite avec la seconde, qu’elles n’en fassent qu’une à peu-près double en épaisseur, ce qui ne manque jamais de réussir ; la premiere feuille n’étant pas seche, la seconde étant toute molle & fluide, il se fait entr’elles une distribution égale d’humidité : la feuille de dessous reçoit, pompe même ce que la feuille de dessus en a de plus qu’elle ; de maniere que l’action de la presse les identifie sans peine. D’où il arrive que quand ces nouvelles feuilles passent à l’attelier des éplucheuses, elles sont réellement doubles d’épaisseur, & c’est tout : mais leur corps & leur consistance, sont aussi parfaitement uns que si elles avoient été moulées tout d’un coup.

Quand on veut avoir des cartons de moulage très forts, on peut en appliquer trois feuilles l’une sur l’autre entre les mêmes langes, & n’en faire qu’une de trois : mais cela ne va point jusqu’à quatre. Comme il faut que chacune soit moulée & pressée en particulier, l’humidité a le tems de s’échapper pendant ces opérations réitérées ; la feuille se seche ; & cette feuille composée déjà de trois autres, ou n’est plus assez molle pour pomper l’humidité d’une quatrieme qu’on lui appliqueroit, ou cette quatrieme, qui est simple, n’a pas assez d’humidité pour arroser & amollir celle qui est composée de trois, sur laquelle on l’étend : ainsi il arrive qu’elles ne peuvent plus se lier & faire corps.

Quand la nouvelle pressée, soit simple, soit double, soit triple, sort de dessous la presse, on l’épluche ; on la rapporte sous la presse ; on l’équarrit, & on l’envoye aux étendoirs.

Les étendoirs sont de grands greniers ; les plus airés sont les plus propres ; par la raison contraire les caves seroient les meilleurs endroits qu’on pût choisir pour les trempis. Comme il n’y a plus de langes entre les feuilles de carton quand on les équarrit, il est évident qu’on en équarrit beaucoup plus à la fois qu’on n’en presse. La quantité qu’on équarrit à la fois s’appelle une réglée : la réglée est faite d’une trentaine de poignées ; & la poignée d’une dixaine de cartons doubles. On peut apprécier là-dessus les réglées & poignées des autres sortes : elles contiennent d’autant moins de feuilles, que les feuilles sont plus fortes.

Les réglées trouvent dans les étendoirs des mains toutes prêtes à les employer : chacun se place devant sa réglée, le poinçon à la main. Cet instrument n’est autre chose qu’une espece de pointe de fer, aiguë, d’une ligne & demie de diametre au plus par le bas, de quatre à cinq pouces de long, & emmanchée comme une alêne de Sellier. On enfonce cet instrument