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cipaux soit accessoires, sans donner à aucun d’eux assez de force pour le faire dominer sur les autres ; tels sont l’Ecole des maris, l’Ecole des femmes, & quelques autres comédies de Moliere.

C’est une question de savoir si l’on peut & si l’on doit, dans le comique, charger les caracteres pour les rendre plus ridicules. D’un côté il est certain qu’un auteur ne doit jamais s’écarter de la nature, ni la faire grimacer : d’un autre côté il n’est pas moins évident que dans une comédie on doit peindre le ridicule, & même fortement : or il semble qu’on n’y sauroit mieux réussir qu’en rassemblant le plus grand nombre de traits propres à le faire connoître, & par conséquent qu’il est permis de charger les caracteres. Il y a en ce genre deux extrémités vicieuses ; & Moliere a connu mieux que personne le point de perfection qui tient le milieu entr’elles : ses caracteres ne sont ni si simples que ceux des anciens, ni si chargés que ceux de nos contemporains. La simplicité des premiers, qui n’est point un défaut en soi, n’auroit cependant pas été du goût du siecle de Moliere : mais l’affectation des modernes qui va jusqu’à choquer la vraissemblance, est encore plus vicieuse. Qu’on caractérise les passions fortement, à la bonne heure ; mais il n’est jamais permis de les outrer.

Enfin une qualité essentielle au caractere, c’est qu’il se soûtienne ; & le poëte est d’autant plus obligé d’observer cette regle, que dans le tragique ses caracteres sont, pour ainsi dire, tous donnés par la fable ou l’histoire.

Aut famam sequere, aut sibi convenientia finge,

dit Horace.

Dans le comique il est maître de sa fable, & doit y disposer tout de maniere que rien ne s’y démente, & que le spectateur y trouve à la fin comme au premier acte les personnages introduits, guidés par les mêmes vûes, agissans par les mêmes principes, sensibles aux mêmes intérêts, en un mot, les mêmes qu’ils ont paru d’abord.

Servetur ad imum
Qualis ab incepto processerit, & sibi constet.

Horace, Art poët.


Voyez Mœurs. Princip. pour la lect. des poët. tom. II. page 159. & suiv.

Caractere d’un ouvrage, différence specifique qui le distingue d’un autre ouvrage de même genre. Ainsi l’ode, l’éclogue, l’élégie, le poëme épique, la tragédie, la comédie, &c. sont des ouvrages de poësie ou des poëmes : mais chacun a ses principes, ses regles, son ton propre & particulier ; & c’est ce qu’on appelle son caractere. De même dans l’éloquence un plaidoyer, un sermon, un panégyrique, sont des discours oratoires ; la différence de la méthode qu’on y suit, celle du style qu’on y employe, forment leur caractere propre & particulier. Voyez Ode, Eclogue, &c. Panégyrique, Plaidoyer.

Caractere, en parlant d’un auteur, est la maniere qui lui est propre & particuliere de traiter un sujet, dans un genre que d’autres ont traité comme lui ou avant lui, & ce qui le distingue de ces auteurs. Ainsi l’on dit en parlant des poëtes lyriques, que Pindare est sublime, & quelquefois obscur, entortillé ; Anacréon, doux, tendre, élégant ; qu’Horace a l’élévation de l’un & la mollesse de l’autre ; que Malherbe est noble, harmonieux ; Rousseau impétueux, hardi ; La Motte ingénieux & délicat. M. de Fenelon trace ainsi en peu de mots les caracteres des principaux historiens de l’antiquité. « Hérodote, dit-il, raconte parfaitement ; il a même de la grace par la variété des matieres : mais son ouvrage est plûtôt un recueil des relations des divers pays, qu’une histoire qui ait de l’unité.

Polybe est habile dans l’art de la guerre & dans la politique : mais il raisonne trop, quoiqu’il raisonne très-bien. Il va au-delà des bornes d’un simple historien ; il développe chaque évenement dans sa cause ; c’est une anatomie exacte, &c.

Salluste a écrit avec une noblesse & une grace singuliere : mais il s’est trop étendu en peintures de mœurs, & en portraits de personnes, dans deux histoires très-courtes.

Tacite montre beaucoup de génie, avec une profonde connoissance des cœurs les plus corrompus : mais il affecte trop une brieveté mystérieuse. Il est trop plein de tours poëtiques dans ses descriptions ; il a trop d’esprit, il raffine trop. Il attribue aux plus subtils ressorts de la politique, ce qui ne vient souvent que d’un mécompte, que d’une humeur bisarre, que d’un caprice, &c. ». Lett. sur l’éloquence, &c.

On voit par cet échantillon, que le caractere des auteurs ne consiste pas moins dans leurs défauts que dans leurs perfections ; & comme il n’est point de genre d’écrire qui n’ait son caractere particulier, il n’est point non plus d’auteur qui n’ait le sien : l’un & l’autre sont fondés sur la différente nature des matieres, & sur la différence des génies. (G)

Caractere, terme moderne de Botanique : le caractere d’une chose est ce qui la distingue essentiellement de toute autre chose. Suivant cette définition, le caractere d’une plante est ce qui la distingue si bien de toutes celles qui ont quelque rapport avec elle, qu’on ne sauroit la confondre avec ces autres plantes, quand on fait attention aux marques essentielles qui les distinguent : or ce caractere distinctif, suivant plusieurs Botanistes, doit être formé d’après l’examen des parties qui composent la fleur. V. Botanique, Méthode.

L’on nomme caractere incomplet, ou selon M. Linnæus, caractere artificiel, celui dans lequel on décrit seulement quelques parties de la fleur, en gardant le silence sur les autres parties, que par la méthode qu’on s’est proposée, l’on suppose inutiles ; au lieu que l’on entend par le caractere naturel, celui dans lequel on désigne toutes les parties de la fleur, & on en considere le nombre, la situation, la figure, & la proportion. Article communiqué par M. le Chevalier de Jaucourt.

Caractere, en Peinture, signifie les qualités qui constituent l’essence d’une chose, qui la distinguent d’une autre ; caractere des objets, caractere des passions.

La pierre, les eaux, les arbres, la plume, les animaux, demandent une touche différente, qui exprime leur différent caractere.

On dit beau caractere de tête, non-seulement pour dire qu’elle exprime bien la passion dont la figure est affectée, mais on le dit aussi pour le rapport du dessein convenable à cette même tête.

Caractere de dessein, se dit encore pour exprimer la bonne ou la mauvaise maniere dont le peintre dessine, ou dont la chose en question est rendue. (R)

CARACTERISER, v. act. en Peinture, c’est saisir si bien le caractere qui convient à chaque objet, qu’on le reconnoisse au premier coup d’œil. On dit ce Peintre caractérise bien ce qu’il fait, c’est-à-dire, qu’il est juste. (R)

CARACTÉRISTIQUE, adj pris sub. en général, se dit de ce qui caractérise une chose ou une personne, c’est-à-dire, de ce qui constitue son caractere, par lequel on en fait la distinction d’avec toutes les autres choses. Voyez Caractere.

Caractéristique est un mot dont on se sert particulierement en Grammaire pour exprimer la principale lettre d’un mot, qui se conserve dans la plûpart de ses tems, de ses modes, de ses dérivés et composés.

La caractéristique marque souvent l’étymologie d’un