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phre, que celle de ceux qui viennent à découvert dans un terrein sabloneux ; car l’influence du soleil rend le camphre si volatil, qu’il se mêle facilement avec les sucs de l’arbre, & que s’élevant entre le bois & la membrane intérieure & tendre de l’écorce, il se répand si parfaitement entre les branches & dans les feuilles où il se transforme, qu’il ne se laisse plus distinguer, & que ce qui en reste n’est pas sensible.

L’odeur du canellier est admirable quand il est en fleur ; & lorsque les vents favorables soufflent de terre, le parfum en est porté fort avant dans la mer, ensorte qu’au rapport de quelques voyageurs, ceux qui navigent alors dans ces contrées, sentent cette odeur suave à quelques milles de distance du rivage.

Méthode en usage pour tirer la canelle de l’arbre. La canelle des boutiques est l’écorce tirée des canelliers de trois ans : on a coûtume de l’enlever au printems & en automme, dans le tems que l’on observe une seve abondante entre l’écorce & le bois ; lorsqu’on l’a enlevée, on sépare la petite écorce extérieure grise & raboteuse ; ensuite on la coupe par lames, on l’expose au soleil ; & là en se séchant, elle se roule d’elle-même comme nous la voyons : on choisit sur-tout le printems, & lorsque les arbres commencent à fleurir, pour enlever cette écorce. Après qu’on l’a enlevée, l’arbre reste nud pendant deux ou trois ans ; enfin au bout de ce tems il se trouve revêtu d’une nouvelle écorce, & est propre à la même opération.

La canelle Portugaise ne subsiste plus. On a eu pendant quelque tems dans le commerce cette canelle, qu’on appelloit canelle sauvage, canelle grise, qui croissoit dans le royaume de Cochin, sur la côte de Malabar ; les Portugais chassés par les Hollandois de Ceylan ; débitoient cette canelle sauvage à la place de la véritable ; mais ce debit n’a pas duré longtems : ces derniers ne virent pas sans envie le négoce de la canelle Portugaise, & l’on croit que cette jalousie fut en partie la cause qui les engagea de s’emparer en 1661 de Cochin, dont ils firent arracher toute la canelle sauvage, afin de se trouver seuls maîtres dans le monde de cette précieuse épicerie.

On demande si les anciens ont connu notre canelle, & si le cinnamome dont il est tant parlé dans les écrits des anciens, étoit la canelle de nos jours : problème qui partage tous les auteurs.

Il est d’abord certain que le kin-namom des Hébreux, mentionné dans l’Ecriture-sainte, Exode xx. 33. cantiq. iv : 14. n’est point celui des Grecs & des Romains, encore moins quelque canelle d’Amérique, ou celle des Indes orientales. Le nouveau monde n’étoit pas connu, & le commerce avec l’île de Ceylan ou de Taprobane, n’étoit pas ouvert. Dieu ordonne à Moyse de prendre du kin-namom avec divers autres aromates, & d’en composer une huile de parfum pour oindre le tabernacle. Il s’agit donc ici d’une gomme, ou d’une huile, plûtôt que d’une écorce ou d’un bois odorant.

La difficulté est bien plus grande à l’égard du cinnamome des autres peuples. Quelques-uns pensent que leur cinnamome étoit les tendres rameaux de l’arbre qui porte le clou de girofle : mais ils ne songent pas que si les anciens eussent connu cet arbre, ils n’auroient pas omis, comme ils l’ont fait, de parler de ses fruits, qui sont si remarquables par leur aromate, leur goût piquant, & leur odeur pénétrante.

Ceux qui prétendent que le cinnamomum des anciens, de Théophraste, Dioscoride, Galien, & Pline, est notre canelle moderne, s’appuient sur la ressemblance des caracteres de cet arbrisseau avec notre canellier, dans la description que ces anciens écrivains nous ont donnée de la petitesse de l’écorce, de son odeur, de son goût, de ses vertus, & de son prix : mais on combat les sectateurs de cette opinion pré-

cisément par les mêmes armes qu’ils employent pour

la défendre. On leur oppose que les anciens distinguant plusieurs especes de cinnamomum, une mosylitique noirâtre, d’un gris vineux, qui est la plus excellente, acre, échauffante, & salée en quelque maniere, une autre de montagne, une noire, une blanche ; aucune de ces especes ne convient à notre canelle : d’où l’on conclut que les anciens Grecs & Romains ne l’ont point connue. Les curieux trouveront toutes les raisons possibles en faveur de ce dernier sentiment, rassemblées dans un ouvrage exprès de Balthasar Michacl Campi, intitulé : Spicilegio botanico, nel quale si manifesta lo sconosciuto cinnamomo delli antichi. Lucca, 1652, in-4o.

Sans décider une question susceptible de raisons pour & contre, nous nous contenterons de remarquer, que les anciens n’ayant point déterminé clairement ni unanimement ce qu’ils entendoient par leur cinnamomum, nous n’en pouvons juger qu’en aveugles ; ils n’en connoissoient pas même l’histoire, comme il est aisé de le prouver.

Pline raconte que les marchands qui l’apportoient en Europe, faisoient un voyage si long & si périlleux, qu’ils étoient quelquefois cinq ans sans revenir ; que la plûpart mouroient en chemin ; & que la plus considérable partie de ce trafic se faisoit par des femmes. L’éloignement du lieu dont on tiroit la marchandise, la longueur du trajet, l’avidité du gain, le prix naturel de la chose, les diverses mains par lesquelles elle passoit ; en faut-il davantage pour donner lieu à toutes les fables qu’on débitoit sur l’origine de la production végétale qu’ils nommerent cinnamomum ?

Du tems de Galien elle étoit déjà si rare, qu’on n’en trouvoit plus que dans les cabinets des Empereurs. Pline ajoûte que le prix en étoit autrefois très-considérable, & que ce prix étoit augmenté de moitié par le dégât des Barbares, qui en avoient brûlé tous les plants. Seroit-il donc hors de vraissemblance de penser que le cinnamome des anciens nous est entierement inconnu, & qu’il est présentement perdu ?

Il n’en arrivera pas de même de notre canelle, ni du canellier : description exacte, planches, culture, débit, usage en Medecine, tant de préparations qu’on en tire, ou dans lesquelles elle entre ; tout nous assûre son immortalité.

Du débit qui s’en fait, de ses diverses sortes, & de son choix. J’ai déjà remarqué que la compagnie des Indes orientales en Hollande étoit seule maîtresse de la canelle : mais au lieu d’en augmenter la quantité par la multiplication des arbres qui la produisent, ce qui seroit facile, la compagnie prend grand soin de faire arracher de tems en tems une partie de ceux qui croissent sans culture, ou qui ne seroient pas dans de certains districts de l’île : elle sait par une expérience de près de cent ans la quantité de canelle qu’il lui faut pour le commerce, & est persuadée qu’elle n’en débiteroit pas davantage, quand même elle la donneroit à meilleur marché.

On juge que ce que cette compagnie en apporte en Europe, peut aller à environ six cents mille livres pesant par an, & qu’elle en débite à peu-près autant dans les Indes.

Il s’en consomme une grande quantité en Amérique, particulierement au Pérou pour le chocolat, dont les Espagnols ne peuvent se passer.

Ce qu’on appelle à Ceylan le champ de la canelle, & qui appartient en entier à la compagnie Hollandoise, est depuis Négambo jusqu’à Gallieres : la meilleure canelle est celle des environs de Négambo & de Colombo.

On en distingue de trois sortes, de fine, de moyenne ; & de grossiere : cette diversité procede de la va-