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Juifs disent avoir reçûe de leurs peres, & qui, en transposant les lettres, les syllabes, & les paroles, leur enseigne à tirer d’un verset un sens caché, & différent de celui qu’il présente d’abord. (On peut voir dans Banage les soûdivisions de cette espece de Cabale, & les exemples de transpositions. Hist. des Juifs, chap. iij.)

La Cabale philosophique contient une Métaphysique sublime & symbolique sur Dieu, sur les esprits, & sur le monde, selon la tradition que les Juifs disent avoir reçûe de leurs peres. Elle se divise encore en deux especes, dont l’une s’attache à la connoissance des perfections divines & des intelligences célestes, & s’appelle le Chariot ou Mercava ; parce que les Cabalistes sont persuadés qu’Ezéchiel en a expliqué les principaux mysteres dans le chariot miraculeux, dont il parle au commencement de ses révélations ; & l’autre qui s’appelle Bereschit ou le Commencement, roule sur l’étude du monde sublunaire. On lui donne ce nom à cause que c’est le premier mot de la Genese. Cette distinction étoit connue dès le tems de Maïmonides, lequel déclare qu’il veut expliquer tout ce qu’on peut entendre dans le Bereschit & le Mercava. (Maimonides More Nevochim, pag. 2. ch. xxxjx. pag. 273.) Il soûtient qu’il ne faut parler du bereschit, que devant deux personnes ; & que si Platon & les autres Philosophes ont voilé les secrets de la nature sous des expressions métaphoriques, il faut à plus forte raison cacher ceux de la religion, qui renferment des mysteres beaucoup plus profonds.

Il n’est pas permis aux maîtres d’expliquer le Mercava devant leurs disciples. (Excerpta Gemaræ de opere currus, apud Hottinger, pag. 50, 53, 89.) Les docteurs de Pumdebita consulterent un jour un grand homme qui passoit par-là, & le conjurerent de leur apprendre la signification de ce chariot. Il demanda pour condition, qu’ils lui découvrissent ce qu’ils savoient de la création : on y consentit ; mais, après les avoir entendus, il refusa de parler sur le chariot, & emprunta ces paroles du Cantique des Cantiques, le lait & le miel sont sous ta langue, c’est-à-dire qu’une vérité douce & grande doit demeurer sous la langue, & n’être jamais publiée. Un jeune étudiant se hasarda un jour à lire Ezéchiel, & à vouloir expliquer sa vision : mais un feu dévorant sortit du chasmal qui le consuma : c’est pourquoi les docteurs délibérerent, s’il étoit à propos de cacher le livre du prophete, qui causoit de si grands desordres dans la nation. Un rabbin chassant l’âne de son maître, R. Jochanan, fils de Sauai, lui demanda la permission de parler, & d’expliquer devant lui la vision du chariot. Jochanan descendit aussi-tôt, & s’assit sous un arbre ; parce qu’il n’est pas permis d’entendre cette explication en marchant, monté sur un âne. Le disciple parla, & aussi-tôt le feu descendit du ciel ; tous les arbres voisins entonnerent ces paroles du pseaume : Vous, la terre, louez l’Eternel, &c. On voit par-là que les Cabalistes attachent de grands mysteres à ce chariot du prophete. Maïmonides (More Nevochim, part. III. préf.) dit, qu’on n’a jamais fait de livre pour expliquer le chariot d’Ezéchiel ; c’est pourquoi un grand nombre de mysteres qu’on avoit trouvés sont perdus. Il ajoûte qu’on doit le trouver bien hardi d’en entreprendre l’explication ; puisqu’on punit ceux qui révelent les secrets de la loi, & qu’on récompense ceux qui les cachent : mais il assûre qu’il ne débite point ce qu’il a appris par la révélation divine ; que les maitres ne lui ont pas enseigné ce qu’il va dire, mais qu’il l’a puisé dans l’écriture même ; tellement qu’il semble que ce n’étoit qu’une traduction. Voilà de grandes promesses : mais ce grand docteur les remplit mal, en donnant seulement à son disciple quelques remarques générales, qui ne développent pas le mystere.

En effet, on se divise sur son explication. Les uns

disent que le vent qui devoit souffler du septentrion avec impétuosité, représentoit Nabuchodonosor, lequel ruina Jérusalem, & brûla son temple ; que les quatre animaux étoient les quatre anges qui présidoient sur les monarchies. Les roues marquoient les empires qui recevoient leur mouvement, leur progrès & leur décadence du ministere des anges. Il y avoit une roue dans l’autre ; parce qu’une monarchie a détruit l’autre. Les Babyloniens ont été renversés par les Perses : ceux-ci par les Grecs, qui ont été à leur tour vaincus par les Romains. C’est-là le sens littéral : mais on y découvre bien d’autres mysteres, soit de la nature, soit de la religion. Les quatre animaux sont quatre corps célestes, animés, intelligens. La roue est la matiere premiere, & les quatre roues sont les quatre élémens. Ce n’est-là que l’écorce du chariot ; si vous pénétrez plus avant, vous y découvrez l’essence de Dieu, ses attributs & ses perfections, la nature des anges, & l’état des ames après la mort. Enfin Morus, grand cabaliste, y a trouvé le regne du Messie. (Visionis Ezechieliticæ, sive mercavæ expositio, ex principiis philosophiæ Pytag. theosophiæque judaicæ ; Cabbala Denud. Tom. I. p. 225.)

Pour donner aux lecteurs une idée de la subtilité des Cabalistes, nous mettrons encore ici l’explication philosophique, qu’ils donnent du nom de Jehovah. (Lexicon cabalisticum.)

« Tous les noms & tous les sur-noms de la divinité sortent de celui de Jehovah, comme les branches & les feuilles d’un grand arbre sortent d’un même tronc, & ce nom ineffable est une source infinie de merveilles & de mysteres. Ce nom sert de lien à toutes les splendeurs, ou séphirots : il en est la colonne & l’appui. Toutes les lettres qui le composent sont pleines de mysteres. Le Jod, ou l’J, est une de ces choses que l’œil n’a jamais vûes : elle est cachée à tous les mortels ; on ne peut en comprendre ni l’essence ni la nature ; il n’est pas même permis d’y méditer. Quand on demande ce que c’est, on répond non, comme si c’étoit le néant ; parce qu’elle n’est pas plus compréhensible que le néant. Il est permis à l’homme de rouler ses pensées d’un bout des cieux à l’autre : mais il ne peut pas aborder cette lumiere inaccessible, cette existence primitive que la lettre Jod renferme. Il faut croire sans l’examiner & sans l’approfondir ; c’est cette lettre qui découlant de la lumiere primitive, a donné l’être aux émanations : elle se lassoit quelquefois en chemin ; mais elle reprenoit de nouvelles forces par le secours de la lettre h, he, qui fait la seconde lettre du nom ineffable. Les autres lettres ont aussi des mysteres ; elles ont leurs relations particulieres aux sephirots. La derniere h découvre l’unité d’un Dieu & d’un Créateur ; mais de cette unité sortent quatre grands fleuves : les quatre majestés de Dieu, que les Juifs appellent Schetinah. Moyse l’a dit ; car il rapporte qu’un fleuve arrosoit le jardin d’Eden, le Paradis terrestre, & qu’ensuite il se divisoit en quatre branches. Le nom entier de Jehovah renferme toutes choses. C’est pourquoi celui qui le prononce, met dans sa bouche le monde entier, & toutes les créatures qui le composent. De-là vient aussi qu’on ne doit jamais le prononcer qu’avec beaucoup de précaution. Dieu lui-même l’a dit : Tu ne prendras point le nom de l’Eternel en vain. Il ne s’agit pas-là des sermens qu’on viole, & dans lesquels on appelle mal-à-propos Dieu à témoin des promesses qu’on fait : mais la loi défend de prononcer ce grand nom, excepté dans son temple, lorsque le souverain sacrificateur entre dans le lieu très-saint au jour des propitiations. Il faut apprendre aux hommes une chose qu’ils ignorent, c’est qu’un homme qui prononce le nom de l’Eternel, ou de Jehovah, fait mouvoir les cieux &