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teintes de violet, & les ailes sont d’une couleur violette moins noire.

Dans l’espece des bourdons qui ont des longs poils sur le corcelet & sur le corps, la même femelle produit trois sortes de bourdons de différentes grandeurs : les plus grands surpassent de beaucoup les abeilles ordinaires pour la grosseur ; ce sont les femelles : les mâles ne sont pas si grands ; & les plus petits de tous n’ont point de sexe. Leur grandeur est égale à celle des abeilles, quelquefois elle est moindre.

Les bourdons vivent en société comme les abeilles : mais ils ne sont pas si nombreux ; on n’en trouve que cinquante ou soixante réunis ensemble. Ils font des especes de nids pour se loger, & ils les couvrent de mousse : ces nids sont dans les prairies & dans les champs de sainfoin & de luserne ; leur diametre est de cinq ou six pouces & plus, & ils sont élevés de quatre à cinq pouces au-dessus de terre. Le meilleur moyen de trouver ces nids, est de suivre les faucheurs, parce qu’ils les découvrent & même les coupent avec la faux. L’extérieur ressemble à une motte de terre couverte de mousse, plus ou moins relevée en bosse. Il y a dans le bas un trou qui sert d’entrée, & souvent on trouve une sorte de chemin d’un pié de long, & une voûte de mousse qui sert d’avenue. Dans certains nids qui ne sont pas encore finis, les bourdons entrent par le dessus. Quand on enleve le dessus du nid qui sert de toict, il en sort quelques mouches ; les autres y restent, & il n’arrive pas qu’on en soit piqué, quoiqu’elles ayent des aiguillons. Après avoir enlevé cette couverture, on voit une sorte de gâteau épais plus ou moins grand, mal façonné, & composé de corps oblongs ajustés les uns contre les autres : quelquefois il n’y a qu’un gâteau ; d’autres fois il y en a deux ou trois ; on voit marcher les bourdons par-dessus & par-dessous : dès qu’on cesse de toucher au nid, les mouches travaillent à le recouvrir ; & pour cela elles employent la mousse qu’on a enlevée & jettée à quelque distance : mais au lieu de porter les brins de mousse, elles les poussent, ou pour mieux dire, elles les font glisser peu-à-peu. Toutes travaillent ensemble, les mâles, les femelles, & celles qui ne sont ni mâles ni femelles.

Le bourdon a comme l’abeille deux dents écailleuses très-fortes, dont le bout est large & dentelé : c’est par le moyen de ces dents qu’il coupe la mousse & qu’il l’attire en-arriere sous son corps ; ensuite il la fait glisser avec les pattes de devant ; les pattes de la seconde paire la font passer plus loin, & les dernieres la poussent aussi loin qu’elles peuvent s’étendre. En répétant cette manœuvre, ils rassemblent derriere eux un petit tas de mousse. Le même bourdon, ou un autre, reprend ce tas par brins comme le premier, & l’approche du nid ; pour cet effet, ils se posent de façon que le nid est en arriere par rapport à eux : chaque fois que le tas de mousse change de place, il parcourt un espace égal à la longueur du bourdon, avec les pattes de derriere étendues. Lorsque ces mouches arrangent la mousse pour former la couverture du nid, elles se servent de leurs dents & de leurs pattes de devant. Cette sorte de toict a un pouce ou deux d’épaisseur, & met le nid à l’abri des pluies ordinaires. Les bourdons qui sont entierement jaunâtres, & ceux sur lesquels le noir domine, & peut-être d’autres, mettent un enduit de cire brute sur toute la surface intérieure du couvert de mousse ; ils y forment une sorte de platfond, qui n’a que le double de l’épaisseur d’une feuille de papier ordinaire, mais qui est impénétrable à l’eau : cet enduit lie tous les brins de mousse qui sont à l’intérieur, & rend la couverture plus solide. La matiere de cet enduit a une odeur de cire : mais ce n’est qu’une cire brute & tenace ; on peut la pétrir. La chaleur ne la liquéfie, ni ne la ramollit : mais elle s’enflam-

me. Sa couleur est d’un gris jaunâtre ; elle ne s’attache

pas aux doigts lorsqu’on la pétrit.

Le nombre & l’étendue des gâteaux augmentent à proportion que le nid est plus ancien. Ces gâteaux sont convexes à l’extérieur, & concaves à l’intérieur : mais leurs surfaces, sur-tout l’inférieure, sont fort inégales. Chaque gâteau est composé, comme il a déjà été dit, de corps oblongs, appliqués les uns contre les autres suivant leur longueur. Ils sont d’un jaune pâle ou blanchâtre. Il y en a de trois grandeurs différentes : les plus gros ont le grand diametre de plus de sept lignes de longueur, & le petit d’environ quatre lignes & demie ; dans les plus petits, le grand diametre n’a pas trois lignes. Quelquefois ces corps sont fermés par les deux bouts ; d’autres fois la plûpart sont ouverts par le bout inférieur, & vuides : ce sont des coques de soie qui ont été formées par des vers qui s’y sont métamorphosés. Les bourdons qui viennent de ces vers après la métamorphose, laissent les coques ouvertes en en sortant.

Il y a aussi dans les gâteaux de petites masses irrégulieres assez semblables à des truffes, quoique moins dures : on trouve dans chacune un vuide au centre, dans lequel il y a des œufs d’un beau blanc un peu bleuâtre, longs d’environ une ligne & demie sur un diametre plus court des deux tiers. Le nombre des œufs n’est pas le même dans chaque masse ; il y en a trois, quatre, quinze, vingt, & même trente ensemble : mais lorsqu’il y en a tant, ils sont renfermés dans différentes cavités. La matiere qui environne les œufs est une pâtée dont se nourrissent les vers, après qu’ils sont éclos. Ces vers sont assez semblables à ceux des abeilles ; leur couleur est blanche, & ils ont quelques taches noires sur les côtés : lorsqu’ils ont consommé une partie de leur pâtée, il arriveroit quelquefois qu’ils se feroient jour au-dehors, & qu’ils s’exposeroient trop tôt à l’air, si les bourdons n’avoient soin d’appliquer de nouvelle pâtée sur les endroits trop minces. Toute cette matiere est de la cire brute : on y reconnoît les poussieres des étamines ; elles sont humectées par un miel aigrelet. Quoiqu’il se consomme beaucoup de cette pâtée dans les nids, on ne voit que très-rarement les bourdons y revenir chargés de cire ; ce qui fait croire qu’ils avalent les étamines pour les digérer, & les dégorger ensuite.

Il y a dans chaque nid trois ou quatre petites cavités, remplies de miel : ce sont des sortes de vases presque cylindriques, au moins aussi grands que les plus grandes coques, faits avec la même matiere qui sert de plafond au nid. On ne sait si ce miel sert à ramollir les étamines pour faire la pâtée. Les faucheurs connoissent ces petits dépôts, & les cherchent pour en boire le miel.

Après avoir enlevé les gâteaux d’un nid, on trouve au bout de huit jours, que les bourdons ont travaillé à en faire de nouveaux : ils commencent par former dans le milieu du nid une petite masse de pâtée de la grosseur d’une noisette, qui est posée sur un lit de mousse, & qui tient à un petit vase plein de miel : c’est sans doute pour recevoir les œufs de la mere que ce premier travail se fait.

Les vers s’éloignent les uns des autres à mesure qu’ils consument leur pâtée : ainsi lorsqu’ils approchent du tems où ils doivent prendre leur forme de nymphe, ils ont chacun assez d’espace pour filer leur coque. Comme ces coques se trouvent à découvert dans la suite, il est à croire que les bourdons enlevent les restes de pâtée qui sont au-dehors. Tous les vers donnent à leur coque la même position : le grand axe est perpendiculaire à l’horison, & chacun attache la sienne aux coques voisines en la commençant ; c’est par cette union que les gâteaux sont formés.

Ces mouches au sortir de leur coque n’ont que des couleurs tendres, qui deviennent plus foncées