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mi. Un livret d’or dont le côté est de quatre pouces, se vend quarante sous ; un livret pareil d’argent, se vend six sous.

Quatre onces d’or donnent les cinquante-six quartiers avec lesquels on a commencé le travail. Il y a eu dans le cours du travail, tant en lavures qu’en rognures ou autrement, dix-sept gros de déchet. Ainsi quatre onces moins dix-sept gros, pourroient fournir trois mille deux cents feuilles quarrées, de chacune trente-six pouces de surface : mais elles ne les donnent que de 16 pouces en quarré ; car les feuilles qui sortent de la moule de 36 pouces en quarré, s’enferment dans un quarteron de 16 pouces en quarré. Ainsi l’on ne couvriroit qu’une surface de 41200 pouces quarrés, avec quatre onces d’or, moins dix-sept gros, ou deux onces un gros : mais on en pourroit couvrir une de 115200 pouces quarrés.

Pour avoir de bons cauchers, il faut choisir le meilleur vélin, le plus fin, le plus serré & le plus uni. Il n’y a pas d’autre préparation à lui donner, que de le bien laver dans de l’eau froide, que de le laisser sécher à l’air, & que de le passer au brun ; on verra plus bas ce que c’est que le brun.

Quant à la baudruche, ou à cette pellicule qui se leve de dessus le boyau de bœuf, c’est autre chose : elle vient d’abord pleine d’inégalités & couverte de graisse ; on enleve les inégalités en passant légerement sur sa surface le tranchant mousse d’un couteau. Pour cet effet, on la colle sur les montans verticaux d’une espece de chevalet ; le même instrument emporte aussi la graisse. Quand elle est bien égale & bien degraissée, on l’humecte avec un peu d’eau ; & l’on applique l’une sur l’autre deux peaux de baudruche humides. L’humidité suffit pour les unir indivisiblement. Le batteur d’or paye soixante-quinze livres les huit cents feuilles ; cela est cher, mais elles durent : quatre mois, six mois, huit mois de travail continu les fatiguent, mais ne les usent point.

Avant que de les employer, le Batteur d’or leur donne deux préparations principales : l’une s’appelle le fond, & l’autre consiste à les faire suer. Il commence par celle-ci ; elle consiste à en exprimer ce qui peut y rester de graisse. Pour cet effet, il met chaque feuille de baudruche entre deux feuillets de papier blanc ; il en fait un assemblage considérable qu’il bat à grands coups de marteau. L’effort du marteau en fait sortir la graisse, dont le papier se charge à l’instant. Donner le fond aux feuillets de baudruche, c’est les humecter avec une éponge, d’une infusion de canelle, de muscade, & autres ingrédiens chauds & aromatiques ; l’effet de ce fond est de les consolider, & d’en resserrer les parties. Quand on leur a donné le fond une premiere fois, on les laisse sécher à l’air, & on le leur donne une seconde fois ; quand elles sont seches, on les met à la presse & on les employe.

Les Batteurs donnent en général le nom d’outils aux assemblages, soit de vélin, soit de baudruche ; & quand ces assemblages ont beaucoup travaillé, ils disent qu’ils sont las ; alors ils cessent de s’en servir. Ils ont de grandes feuilles de papier blanc qu’ils humectent, les uns de vinaigre, les autres de vin blanc. Ils prennent les feuillets de baudruche las ; ils les mettent feuillets à feuillets entre les feuilles de papier blanc préparées ; ils les y laissent pendant trois ou quatre heures : quand ils s’apperçoivent qu’ils ont assez pris de l’humidité des papiers blancs, ils les en retirent, & les distribuent dans un outil de parchemin, dont chaque feuillet est un quarré, dont le côté a douze pouces. Ils appellent cet outil plane ; Pour faire sécher les feuillets de baudruche enfermés entre ceux de la plane, ils battent avec le marteau la plane pendant un jour. Puis ils les brunissent, ou donnent le brun ; c’est-à-dire, qu’ils prennent du

gypse ou de ce fossile qu’on appelle miroir d’âne, qu’on tire des carrieres de plâtre ; qu’ils le font calciner, qu’ils le broyent bien menu, & qu’avec une patte de lievre, ils en répandent sur les feuillets de baudruche, d’un & d’autre côté.

Le brun se donne aussi aux outils de vélin.

Il faut que les outils de baudruche soient pressés & séchés toutes les fois qu’on s’en sert ; sans quoi l’humidité de l’air qu’ils pompent avec une extrème facilité, rendroit le travail pénible. Il ne faut pourtant pas les faire trop sécher ; la baudruche trop seche est perdue.

On a pour presser & sécher en même tems la baudruche, un instrument tel qu’on le voit fig. 4. La partie MNOP peut contenir du feu. C’est une espece de vaisseau de fer ; le fond q est une plaque de fer. Ce vaisseau & sa plaque peuvent se baisser & se hausser en vertu de la vis tu ; la bride abc est fixe sur la plaque inférieure qrs ; on insere entre ces plaques les outils enfermés entre deux voliches ; on serre la presse ; on met du feu dans le vaisseau supérieur, dont la plaque mnop fait le fond ; & l’on pose la plaque inférieure qrs, sur une poele pleine de charbons ardens : les outils se trouvent par ce moyen entre deux feux.

Quant aux outils de vélin, quand ils sont très-humides, on les répand sur un tambour ; c’est une boîte faite comme celle où l’on enfermeroit une chaufrette, avec cette différence qu’elle est beaucoup plus grande & plus haute ; & qu’au lieu d’une planche percée, sa partie supérieure est grillée avec du fil d’archal ; on étend les feuillets de vélin sur cette grille, & l’on met du feu dans le tambour.

Il paroît que les Romains ont possédé l’art d’étendre l’or : mais il n’est pas aussi certain qu’ils l’ayent poussé jusqu’au point où nous le possédons. Pline rapporte que dans Rome on ne commença à dorer les planchers des maisons, qu’après la ruine de Carthage, lorsque Lucius Mummius étoit censeur ; que les lambris du capitole furent les premiers qu’on dora ; mais que dans la suite le luxe prit de si grands accroissemens, que les particuliers firent dorer les plat-fonds & les murs de leurs appartemens.

Le même auteur nous apprend qu’ils ne tiroient d’une once d’or, que cinq à six cents feuilles de quatre doigts en quarré ; que les plus épaisses s’appelloient bracteæ Pranestinæ, parce qu’il y avoit à Preneste une statue de la Fortune, qui étoit dorée de ces feuilles épaisses ; & que les feuilles de moindre épaisseur se nommoient bracteæ quæstoriæ. Il ajoûte qu’on pouvoit tirer un plus grand nombre de feuilles que celui qu’il a désigné.

Il étoit difficile d’assujettir les batteurs d’or à la marque. La nature de leur ouvrage ne permet pas de prendre cette précaution contre l’envie qu’ils pourroient avoir de tromper, en chargeant l’or qu’ils employent, de beaucoup d’alliage : mais heureusement l’art même y a pourvû ; car l’or se travaillant avec d’autant plus de facilité, & ayant d’autant plus de ductilité, qu’il est plus pur, ils perdent du côté du tems & de la quantité d’ouvrage, ce qu’ils peuvent gagner sur la matiere, & peut-être même perdent-ils davantage. Leur communauté paye mille écus à la monnoie pour ce droit de marque.

Quoiqu’il ne s’agisse que de battre, cette opération n’est pas aussi facile qu’elle le paroît ; & il y a peu d’arts où le savoir-faire soit si sensible ; tel habile ouvrier fait plus d’ouvrage & plus de bon ouvrage en un jour, qu’un autre ouvrier n’en fait de mauvais en un jour & demi.

Cependant le meilleur ouvrier peut avoir contre lui la température de l’air ; dans les tems pluvieux, humides, pendant les hyvers nébuleux, les vélins & les baudruches s’humectent, deviennent molles, &