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blissement, mais qu’il seroit à craindre que tous les impôts qu’il réuniroit, ne fussent rétablis successivement par la suite, tandis qu’ils subsisteroient dans celui-là. Si cette réflexion n’est pas solide, elle est affligeante, elle prouve que les peuples sont malheureusement accoutumés à redouter jusqu’au bien qu’on voudroit leur faire. Je ne sçais répondre à une pareille difficulté qu’en regrettant qu’on ait pû penser à la faire ; mais le tribut territorial comprenant toutes les charges qu’il soit possible d’imposer sur les peuples ; l’impossibilité d’y rien ajouter est assurée par celle de le supporter.

C’est peu d’avoir résolu toutes les objections particulieres, & de n’en avoir laissé aucune que l’on puisse raisonnablement former contre l’impôt territorial ; il reste une tâche plus difficile à remplir, c’est de montrer que l’assiete de cet impôt n’est pas impraticable, comme on l’a pensé jusqu’à présent, & de donner les moyens d’y parvenir.

Je n’ignore ni l’étendue ni les difficultés des opérations qu’exige un pareil établissement ; il faut connoître tous les biens de l’état, leur quantité exacte & leur valeur réelle. Comment acquérir ces connoissances ?

On a entrepris des cadastres ; le peu qu’on en a fait a coûté des sommes immenses, & ils sont défectueux. On demande le dénombrement des biens, on croit que les officiers municipaux sont en état de le donner pour chacune de leurs communautés, ils en sont incapables. Fera-t-on arpenter un royaume entier ? le tems & la dépense seront infinis, encore n’aura t-on que les quantités, & quand on les supposeroit certaines, on n’auroit rien : la mesure ne donne pas la valeur ; & cette valeur comment la déterminer ?

J’ai vû des gens trancher ces difficultés, dont ils ne trouvoient aucun moyen de se tirer, & proposer, sans entrer dans tous ces détails, de répartir la somme de tous les impôts sur toutes les provinces, suivant leur nombre, sans égard à leur étendue ni à la valeur des fonds qui les composent ; ils prétendoient que la proportion se rétabliroit dans une succession de tems par les augmentations & les diminutions qui en résulteroient dans le prix des biens. Ceux d’une province qui seroient surchargés, devant se vendre beaucoup moins & réciproquement ; ensorte qu’après une révolution entiere dans toutes les propriétés, le niveau se trouveroit restitué. Perlonne ne seroit plus ni trop, ni trop peu négligé, chacun ayant acquis en raison de l’impôt.

Il y a là une foule d’injustices cruelles, qui quoiqu’elles dussent être instantanées, suffiroient pour rejetter ce moyen, quelque bien qu’il en dût résulter d’ailleurs. En attendant cette révolution, les familles & des générations entieres d’une infinité de provinces seroient ruinées sans ressources, la surcharge devant tomber principalement sur celles qui possedent les biens d’une moindre valeur. Je ne saurois supporter l’idée de tant de victimes immolées à un avantage fort éloigné & plus qu’incertain, car qui est-ce qui acheteroit de mauvais fonds accablés d’impôts ? Et qui en vendroit beaucoup de bons qui en supporteroient peu ?

D’ailleurs on n’a pas tout fait quand on a fixé les sommes à supporter respectivement par toutes les provinces ; il faut encore fixer celles de chaque paroisse, ville ou communauté, & puis celle de chaque quantité de fonds. Qui est-ce qui fera ces subdivisions, & qui réglera ces taxes particulieres, dans lesquelles il est si facile & si dangereux d’être injuste ? Sera-ce les magistrats publics, & les officiers municipaux ? On sait d’avance ce qui en résultera.

J’entens exalter l’administration municipale & ses effets ; c’est qu’ils ne sont pas connus. Je la crois excellente dans les républiques ; c’est celle de l’état même. Mais dans les autres especes de gouvernemens, les magistrats populaires, même ceux que propose d’établir le marquis d’Argenson, ne seront jamais que des gens de peu d’intelligence, qui domineront par leurs petits talens, & qui n’en feront d’autre usage, que de se procurer à eux & à tous ceux qu’ils affectionnent, des soulagemens aux dépens des autres. On connoîtra toujours ceux qui devront se succéder ; l’autorité restera dans un petit cercle de familles ; le pauvre sans appui & sans protection n’y aura jamais de part, il sera écrasé, & sur-tout avec la liberté de varier & de changer la forme des perceptions laissées aux magistrats populaires. Je n’ai jamais vu dans cette administration, même dans celle des pays d’états, si estimée, que le foible livré au pouvoir du puissant qui l’opprime.

Il s’ensuit une infinité de maux, des semences de trouble & de division, qui entretiennent perpétuellement entre les habitans les haines, les animosités, les vengeances particulieres, l’habitude de l’injustice & du ressentiment ; enfin, la corruption générale & la ruine des villages, par ceux mêmes qui sont établis pour y maintenir l’ordre & y faire régner l’équité.

Un autre inconvénient de ce système économique, c’est la solidité : on ne connoissoit point cette cruauté dans les gouvernemens anciens ; heureusement il en est peu dans les modernes où elle soit pratiquée ; c’est choquer la loi civile, l’équité naturelle, disoit l’empereur Zenon, que de poursuivre un homme pour les crimes des autres.

Cette administration n’est donc pas la meilleure ; & ce n’est pas elle non plus, ni aucuns de ces moyens, que je me suis proposé. Je voudrois soustraire en tout les hommes à l’autorité des autres hommes, & qu’ils ne fussent jamais soumis qu’à celle de la loi.

Les hommes ont des passions, des intérêts ; la loi n’en a point ; ils sont partials, sujets à l’erreur ; elle ne l’est jamais ; elle méconnoît les parens, les amis, les protecteurs, les protégés, les considérations, les motifs ; ce qu’elle ordonne, elle l’ordonne pour tous, & pour toutes les circonstances.

Je ne sais si les opérations nécessaires pour établir une semblable administration, sont impossibles ; mais voici ce qui a été fait, & ce que je propose : ce n’est point une spéculation de cabinet que je donne ici. C’est un travail exécuté sous mes yeux, tandis que j’étois occupé aux grandes routes de la Champagne & du Soissonnois, dont le résultat est suivi dans un grand nombre de paroisses & de villes de différentes provinces, non-seulement sans reclamation de la part des habitans, mais souscrit par eux, & demandé par plusieurs, dès qu’ils en ont connu l’utilité. Il ne faut pas croire que ce travail exige un tems considérable ; je l’ai vu faire en moins de deux mois par une personne seule dans une paroisse composée de plus de trois cens articles.

S’il a pu se pratiquer dans plusieurs, on ne sauroit dire qu’il ne peut pas l’être dans toutes.

Année 1758.
Province de
Recette de
Subdélégation de
Paroisse de
Opérations primitives concernant la vérification de la paroisse de

Premiere opération concernant le tarif des grains. Le vérificateur étant instruit que la plus grande partie des grains provenant des fonds de cette paroisse se vendoient le plus ordinairement sur les marchés des