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tient des-fruits de sa sueur & de ses travaux, pouvant les transporter sans obstacles, sans trouble & sans crainte par-tout ou son intérêt ou sa volonté se détermineroit à les conduire.

6°. Une juste proportion entre le droit & la valeur réelle des choses résultantes d’une part de leur quantité, de l’autre de leur qualité : je me sers pour le prouver d’un exemple commun, parce qu’il est plus familier & d’une application facile.

J’ai dit que dans l’usage actuel, les vins du prix le plus vil étoient taxés à l’égal des vins les plus chers : si tous les impôts que supportent cette denrée étoient réunis en un seul sur les vignes, d’abord il seroit plus fort sur celles qui produisent le meilleur.

Ensuite il le seroit généralement plus ou moins sur chaque piece de vin, selon que la production en auroit été plus ou moins abondante : si dans une année commune, qui auroit fait le principe de la taxe, l’impôt se trouvoit revenir à un écu par piece ; dans une année fertile ou la quantité seroit double, l’impôt seroit moindre de moitié pour chacune ; le prix de la denrée le seroit en même proportion ; le contraire seroit produit par le contraire, la quantité étant moindre, l’impôt par mesure seroit plus fort, le prix le seroit aussi.

En généralisant cet exemple, on voit que la même proportion s’établiroit, & cela naturellement, sans appréciateurs & sans contrôleurs par rapport à toutes les autres especes de denrées, qui ne supporteroient plus les impôts qu’en raison de leur valeur réelle, déterminée par leur qualité & par leur quantité.

7°. Il en résulteroit une autre proportion non moins importante ; ne supportant les charges publiques que par sa consommation, chacun n’y contribueroit que dans le juste rapport de ses forces particulieres. Le pauvre ne paieroit plus autant pour les denrées de qualité inférieure, que le riche pour les meilleures. Les droits qu’il supporteroit seroient exactement relatifs à la qualité & à la quantité de ce qu’il pourroit consommer.

Je montrerai que cette maniere de lever les charges publiques assureroient les fonds nécessaires dans tous les tems pour les besoins de l’état, & que le retour aux peuples en seroit facile & plus prompt. Or ces conditions & les précédentes, sont celles du problème que j’ai proposé. L’impôt territorial en est donc la solution. Venons aux objections qu’on y peut opposer.

1°. Il faudroit que le propriétaire en fit l’avance.

C’est ce que fait le négociant, & cette avance qui le rend, ainsi que l’observe le président de Montesquieu, le débiteur de l’état & le créancier des particuliers, est, comme on l’a vu, une des choses qui l’ont séduites en faveur des impôts sur les consommations.

Je ne nie pas cet avantage ; mais c’est dans l’impôt territorial qu’il est réellement, & sans aucun des inconveniens dont il est inséparable dans les autres.

Le propriétaire à la place du négociant deviendra le débiteur de l’état & le créancier des particuliers. L’impôt qu’il aura déboursé, il l’ajoutera au prix de sa denrée ; & il le fera en une seule fois, au-lieu de l’être en diverses reprises avec tous les embarras qui en résultent. Le premier acheteur en fera le remboursement ; le second à ce premier, & ainsi de suite jusqu’au consommateur, où ces restitutions seront définitivement terminées, sans que dans cet intervalle il y ait eu aucune nouvelle perception à éprouver, ce qui laisse à la denrée la liberté de suivre toutes les destinations que le commerce peut lui donner. Son prix au dernier terme & à tous les intermédiaires, sera le même qu’au premier, plus seulement la main-d’œuvre, le bénéfice de ceux qui l’auroient trafiquée,

& les frais de transport pour celles qui se consomment éloignées du lieu de leur production.

2°. Cette avance seroit pénible aux cultivateurs.

Oui la premiere année ; mais bientôt accoutumés à en être promptement remboursés, elle ne leur paroîtroit pas plus à charge qu’elle ne l’est au négociant ; il sauroit que ce n’est qu’un prêt qu’ils font pour peu de tems à l’acheteur.

D’ailleurs n’ayant plus à supporter que cet impôt, l’affranchissement des autres en rendroit l’avance moins sensible : peut-être même n’excéderoit-t-elle pas beaucoup ce qu’ils paient aujourd’hui sans retour pour tous ceux qui restent à leur charge.

Encore ne sais-je point pourquoi on exigeroit cette avance, & ce qui empêcheroit d’attendre pour le recouvrement les tems de la vente des denrées qui procureroit avec leur prix le montant de l’impôt aux propriétaires. Cela se pratique en différens endroits pour la perception de ceux actuels, & il n’en résulte aucun préjudice ; il ne s’agit pour le gouvernement que de combiner l’époque des paiemens avec celle des recettes, ce qui n’entraîne ni embarras, ni difficultés : alors la nécessité des avances par les propriétaires devient nulle, & l’objection tombe.

Ainsi, il n’y a point d’objection raisonnable à faire contre l’impôt territorial quant à la perception au-contraire, il faudroit être étrangement prévenu pour ne pas convenir qu’étant plus simple, elle en seroit plus aisée & moins à charge aux peuples.

Elle pourroit leur être plus utile encore en leur procurant plus promptement le retour des sommes qu’ils auroient payées ; & cet avantage ne seroit pas le seul que produiroit le moyen dont je vais parler.

Dans les tributs que le gouvernement exige, se trouvent compris, excepté la solde des troupes, tout ce qui est nécessaire pour la dépense de l’habillement, de la nourriture, & de tout ce qui sert à l’entretien des armées, & avec la valeur de ces choses, les fortunes immenses que font les entrepreneurs qui les fournissent.

Ces tributs comprennent encore le prix de toutes celles des productions du sol qui se consomment pour le service personnel du souverain, & pour celui des établissemens à la charge de l’état.

Au-lieu d’employer les gens qui s’enrichissent à les payer fort bon marché aux citoyens, & à les vendre fort cher au gouvernement, ne pourroit-on pas, après avoir réglé les sommes que chaque province devroit supporter dans la totalité de l’impôt, fixer la quantité de denrées de son cru, qu’elle fourniroit en diminution pour les différens usages dont je viens de parler ?

Toutes les productions nationales que le gouvernement consomme seroient levées en nature, & d’autant moins en argent sur les peuples, sans que néanmoins la contribution entiere fût établie sur un autre pié qu’en argent ; mais seulement par l’échange qui s’en feroit d’une portion contre des denrées d’une égale valeur, déterminée sur leurs prix courans. Il faudroit encore observer de regler ces échanges en raison inverse des débouchés de chaque canton ; c’est-à-dire, qu’elles fussent plus considérables où ils sont moins faciles : avec une moindre consommation de l’espece, il s’ensuivroit une plus grande de denrées qui restent souvent invendues, & ce seroit un double avantage.

Non-seulement ce moyen n’est point impraticable, mais les combinaisons qu’il exige sont aisées. Je suppose que la somme des impôts prise ensemble fût de deux cens millions, que dans cette somme la dépense des denrées du sol fût de soixante millions ; il est clair qu’en levant ce dernier article en nature, il ne sortiroit plus des provinces que cent quarante mil-