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vous ; que les Graces y paroissent dans leur air négligé ; que les Nymphes & Mercure s’empressent de les suivre ; enfin que la jeunesse vous y accompagne avec cet enjouement que vous seule savez lui inspirer.

Fervidus tecum puer, & solutis
Gratiæ Zonis properentque Nymphoe,
Et parùm comis sine te juventas,
Mercuriusque.

La plûpart des mythologistes fixent à trois le nombre des Graces, qu’ils nomment Eglé, Thalie & Euphrosine ; mais quant à leurs symboles & à leurs attributs, on conçoit bien que l’imagination dut les varier infiniment, suivant les tems & les lieux.

On représenta d’abord ces déesses sous des figures humaines, habillées d’une gaze fine & légere, sans agraffes, sans ceinture, & laissant flotter négligemment leurs voiles au gré des vents. Bientôt après on les représenta toutes nues, & cette coutume avoit déja prévalu du tems de Pausanias, qui reconnoît ne pouvoir fixer l’époque où l’on cessa de leur ôter la gaze. On les trouve aujourd’hui de l’une & de l’autre maniere dans les monumens qui nous restent de ces déesses ; mais on les trouve le plus souvent représentées au naturel ; elles se tiennent embrassées, & sont toutes nues dans les portraits que Spanheim nous en a donné d’après les médailles qui sont conformes aux tableaux qu’en ont fait les Poëtes. Horace dit, l. IV. ode vij.

Gratia cum Nymphis, geminisque sororibus audet
Ducere nuda choros.

« Les Graces toutes nues forment déja leurs danses avec les Nymphes. »

L’épithete de belle-tête leur est assignée dans l’hymne attribuée à Homere, qui ajoute qu’elles se tiennent par la main, & dansent ensemble avec les Heures, l’Harmonie, Hébé & Vénus, déesses de la joie & du plaisir, & c’est pour cela qu’elles sont appellées ridentes, les déesses riantes.

On disoit généralement que les Graces étoient filles & vierges ; peut-être parce qu’on pensoit qu’il étoit difficile que les attraits pussent subsister dans le trouble d’une passion, ou parmi les soins d’une famille. Cependant, contre l’opinion commune, Homere marie deux Graces ; & ce qu’il y a d’étonnant, il les partage assez mal en maris ; car il donne à l’une pour époux un dieu qui dort toujours, le dieu du sommeil ; & à l’autre, à la charmante Charis, il lui fait épouser ce dieu que Jupiter précipita du sacré parvis de Lemnos, & qui resta toujours boiteux de cette terrible chûte.

Nous lisons dans Pausanias qu’on voyoit à Elis les statues des trois Graces, où elles étoient représentées de telle sorte que l’une tenoit à la main une rose, l’autre une branche de myrthe, & la troisieme un dez à jouer, symboles dont cet auteur donne lui-même l’explication suivante ; c’est que le myrthe & la rose sont particulierement consacrés à Vénus & aux Graces, & le dez désigne le penchant naturel que la jeunesse, l’âge des agremens, a pour les jeux, les plaisirs & les ris.

Elles se tenoient, dit Horace, inséparablement par la main sans se quitter :

Segnesque nodum solvere gratiæ.

Pourquoi ? parce que les qualités aimables sont un des plus forts liens de la société.

Elles laissoient flotter leurs voiles au gré des zéphirs, pour exprimer qu’il est une sorte de négligé qui vaut mieux que toutes les parures ; ou, si l’on veut, que dans les beaux arts & dans les ouvrages

d’esprit, il y a des négligences heureuses préférables à l’exactitude du travail.

Il n’étoit pas possible que des divinités de cet ordre manquassent d’autels & de temples. On prétend que ce fut Ethéocle qui leur en éleva le premier, & qui régla ce qui concernoit leur culte. Il étoit roi d’Orchomene, la plus jolie ville de la Béotie. On y voyoit une fontaine que son eau pure & salutaire rendoit célébre par-tout le monde. Près de-là couloit le fleuve Céphyse, qui par la beauté de son canal & de ses bords ne contribuoit pas peu à embellir un si charmant séjour. On assure que les graces s’y plaisoient plus qu’en aucun autre lieu de la terre. De-là vient que les anciens poëtes les appellent déesses de Céphyse & déesses d’Orchomene.

Cependant toute la Grece ne convenoit pas qu’Ethéocle eût été le premier à leur rendre les honneurs divins. Les Lacédémoniens en attribuoient la gloire à Lacédémon leur quatrieme roi. Ils prétendoient qu’il avoit bâti un temple aux graces dans le territoire de Sparte, sur les bords du fleuve Tiase, & que ce temple étoit le plus ancien de tous ceux où elles recevoient des offrandes. Quoi qu’il en soit, elles avoient encore des temples à Elis, à Delphes, à Pergée, à Périnthe, à Byzance.

Non-seulement elles avoient des temples particuliers, elles en avoient de communs avec d’autres divinités. Ordinairement ceux qui étoient consacrés à l’amour, l’étoient aux graces. On avoit aussi coutume de leur donner place dans les temples de Mercure, parce qu’on étoit persuadé que le dieu de l’éloquence ne pouvoit se passer de leur secours ; mais sur-tout les muses & les graces n’avoient d’ordinaire qu’un même temple. Hésiode, après avoir dit que les muses ont établi leur séjour sur l’Hélicon, ajoute que les graces habitent près d’elles. Pindare confond leurs jurisdictions ; &, par une de ces expressions hardies qui lui sont familieres, il appelle la poésie le délicieux jardin des graces.

On célébroit plusieurs fêtes en leur honneur dans le cours de l’année ; mais le printems leur étoit principalement consacré. C’étoit proprement la saison des graces. Voyez, dit Anacréon, comme au retour des zéphirs, les graces sont parées de roses.

Horace ne peint jamais la nature qui se renouvelle, sans négliger de faire entrer les graces dans cette peinture. Après avoir dit en commençant une de ses odes, que par une agréable révolution, les frimats font place aux beaux jours ; il ajoute aussi-tôt qu’on voit déjà Vénus, les graces & les nymphes recommencer leurs danses.

Jam cytherea choros ducit Venus,
Junctoeque nymphis Gratiæ decentes
Alterno terram quatiunt pede.

Les personnes de bon air n’oublioient point de fêter les muses & les graces dans leurs repas agréables. On honoroit les unes & les autres le verre à la main, avec cette différence, que pour s’attirer la faveur des muses on buvoit neuf coups, au-lieu que ceux qui vouloient se concilier les graces, n’en buvoient que trois.

Enfin les anciens aimoient à marquer leur zele pour leurs dieux par divers monumens qu’ils élevoient à leur gloire, par des tableaux, par des statues, par des inscriptions, par des médailles. Or toute la Grece étoit pleine de semblables monumens consacrés aux graces. On voyoit dans la plûpart des villes leurs figures faites par les plus grands maîtres. Il y avoit à Pergame un tableau de ces déesses peint par Pythagore de Paros, & un autre à Smyrne qui étoit de la main d’Apelle ; Socrate avoit taillé leur statue en marbre, & Bupalus en or. Pausanias cite plusieurs ouvrages de ce genre, également recom-