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Remplit d’une lumiere douce
Tous les arbustes d’alentour.

Le front tout couronné d’étoiles,
La Nuit s’avance noblement,
Et l’obscurité de ses voiles
Brunit l’azur du firmament.

Les Songes traînent en silence
Son char parsemé de saphirs ;
L’Amour dans les airs se balance
Sur l’aile humide des zéphirs.

La douce Vénus, brillante au ciel de ses rayons les plus purs, amene en faveur de ce cher fils, les heures mystérieuses, qu’elle consacre à ses plaisirs. Son lever joyeux, du moment où le jour s’efface, jusqu’à l’instant où il renaît, annonce le regne de la plus belle lampe de la nuit. Je considere, j’admire sa clarté tremblante ; ces lumieres errantes, feux passagers que le vulgaire ignorant regarde comme un mauvais présage, descendent du firmament, ou scintillent horisontalement dans des formes merveilleuses.

Du milieu de ces orbes radieux, qui non-seulement ornent, mais encore animent la voûte céleste, paroît dans des tems calculés, la comete rapide, qui se précipite vers le soleil ; elle revient de l’immensité des espaces avec un cours accéléré ; tandis qu’elle s’abaisse & ombrage la terre, sa criniere redoutable est lancée dans les cieux, & fait trembler les nations coupables. Mais au-dessus de ces viles superstitions, qui enchaînent le berger timide, livré à la crédulité & à l’étonnement aveugle ; vous, sages mortels, dont la philosophie éclaire l’esprit, dites à ce glorieux étranger, salut. Ceux-là éprouvent une joie ravissante, qui jouissant du privilege du savoir, ne voient dans cet objet effrayant que le retour fixe d’un astre qui, comme tous les autres objets les plus familiers, est dans l’ordre d’une providence bienfaisante. Qui sait si sa queue n’apporte pas à l’univers une humidité nécessaire sur les orbes que décrit son cours elliptique ; si ses flammes ne sont pas destinées pour renouveller les feux toujours versés du soleil, pour éclairer les mondes, ou pour nourrir les feux éternels ?

Comètes que l’on craint à l’égal du tonnerre,
Cessez d’épouvanter les peuples de la terre ;
Dans une ellipse immense achevez votre cours,
Remontez, descendez près de l’astre des jours ;
Lancez vos feux, volez, & revenant sans cesse,
Des mondes épuisés ranimez la vieillesse.

Dés que le signe de la vierge disparoît, & que la balance pese les saisons avec égalité, le fier éclat de l’été quitte la voûte des cieux, & un bleu plus serain, mêlé d’une lumiere dorée, enveloppe le monde heureux.

Le Soleil, dont la violence

Nous a fait languir quelque tems,
Arme de feux moins éclatans
Les rayons que son char nous lance,
Et plus paisible dans son cours,
Laisse la céleste Balance
Arbitre des nuits & des jours.

L’Aurore, désormais stérile
Pour la divinité des fleurs,
De l’heureux tribut de ses pleurs
Enrichit un dieu plus utile ;
Et sur tous les côteaux voisins,
On voit briller l’ambre fertile
Dont elle dore nos raisins.

C’est dans cette saison si belle
Que Bacchus prépare à nos yeux,
De son triomphe glorieux

La pompe la plus solemnelle.
Il vient de ses divines mains
Sceller l’alliance éternelle
Qu’il a faite avec les humains.

Autour de son char diaphane,
Les ris voltigeant dans les airs,
Des soins qui troublent l’univers,
Ecartent la foule profane.
Tel sur des bords inhabités,
Il vint de la chaste Ariane,
Calmer les esprits agités.

Les Satyres, tous hors d’haleine,
Conduisant les Nymphes des bois,
Au son du fifre & du haut-bois,
Dansent par troupes dans les plaines ;
Tandis que les sylvains lassés,
Portent l’immobile Sylène
Sur leurs thyrses entrelacés.

L’astre du jour temperé s’éleve maintenant sur notre hémisphere, avec ses plus doux rayons. La moisson étendue & mûre sur la terré, soutient sa tête pesante ; elle est riche, tranquille & haute ; pas un souffle de vent ne roule ses vagues légeres sur la plaine ; c’est le calme de l’abondance. Si l’air agité sort de son équilibre, & prépare la marche des vents, alors le manteau blanc du firmament se dechire, les nuages fuyent épars, le soleil tout-à-coup dore les champs éclairés, & par intervalle semble chasser sur la terre des flots d’une ombre noire. La vue s’étend avec joie sur cette mer incertaine ; l’œil perce aussi loin qu’il peut atteindre & s’égaie dans un fleuve immense de blé. Puissante industrie, ce sont-là tes bienfaits ! tout est le fruit de ses travaux, tout lui doit son lustre & sa beauté, nous lui devons les délices de la vie.

Aussi-tôt que l’aurore matinale vacille sur le firmament, & que sans être apperçue elle déploie le jour incertain sur les champs féconds, les moissonneurs se rangent en ordre, chacun à côté de celle qu’il aime, pour alléger son travail par d’utiles services ; ils se baissent tous à la fois, & les gerbes grossissent sous leurs mains. Le maître arrive le dernier, plein des espérances flatteuses de la moisson ; témoin de l’abondante recolte, ses regards se portent de toutes parts, son œil en est rassasié, & son cœur peut à peine contenir sa joie. Les glaneurs se répandent tout-au-tour ; le rateau succède au rateau, & ramasse les reste épars de ces trésors. O vous, riches laboureurs, évitez un soin trop avare ! laissez tomber de vos mains libérales quelques épis de vos gerbes ; c’est le vol de la charité ! offrez ce tribut de reconnoissance au dieu de la moisson qui verse ses biens sur vos champs, tandis que vos semblables, privés du nécessaire, viennent comme les oiseaux du ciel pour ramasser quelques grains épars, & requiérent humblement leur portion ! Considerez que l’inconstance de la fortune peut forcer vos enfans à demander eux-mêmes quelque jour, ce que vous donnez aujourd’hui si foiblement & avec tant de répugnance !

On voit en effet quelquefois le sud brûlant, armé d’un souffle pernicieux, ravager par des grêles la récolte de l’année ; cruel désastre qui détruit en un clin-d’œil les plus belles espérances ! dans cet événement fatal, le cultivateur désolé gémit sur le malheureux naufrage de tout son bien ; il est accablé de douleur ; les besoins de l’hiver s’offrent en cet affreux moment à sa pensée tremblante ; il prévoit, il croit entendre les cris de ses chers enfans affamés. Vous, maîtres, soyez occupés alors de la main rude & laborieuse qui vous a fourni l’aisance & l’élégance dans laquelle vous vivez ; donnez des vêtemens à ceux