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minuée ou tout-à-fait anéantie, que les larmes coulent involontairement, qu’ils sont étincelans, enflés, hagards, immobiles, obscurs, sombres, pesans, de travers, creux, fermés, &c. Pour que les yeux puissent dans ces différens états contre nature avoir quelque signification, il faut qu’ils aient été rendus tels par l’effort de la maladie, & non par aucun accident étranger ; c’est pourquoi il faut, avant de juger par les yeux, être instruits de leur disposition naturelle ou antérieure à la maladie ; car les seuls effets peuvent être signes de leur cause. Les présages que l’on peut tirer de la plûpart de ces dérangemens dans l’extérieur ou l’action des yeux, seront salutaires, s’ils sont occasionnés par un effort critique, s’ils arrivent après la coction, & s’ils sont accompagnés par d’autres signes critiques ; ils seront plus ou moins desavantageux, si ces dérangemens ne sont ni précédés de coction ni suivis de crise, s’ils se rencontrent avec une extreme foiblesse ou avec quelque autre accident fâcheux dont ils augmenteront le danger. Ainsi, dit Hippocrate, on doit attribuer à la force du mal le mauvais état des yeux qui s’observe le trois ou quatrieme jour. Prognost. lib. I. n°. 3 & 4.

1°. Lorsque dans une fievre aiguë qui n’a rien de funeste, une douleur constante occupe la tête & les yeux, ou que la vue s’obscurcit, & qu’en même tems le malade sent de la gêne à l’orifice supérieur de l’estomac, il ne tardera pas à survenir un vomissement de matieres bilieuses ; mais si avec la douleur de tête, les yeux, au lieu d’être obscurcis tout-à-fait, ne sont qu’hébétés ou louches, ou s’ils sont fatigués par des éclairs ou des étincelles qui se présentent fréquemment, & au lieu de cardialgie, il y ait une distention des hypocondres sans inflammation & sans douleur, il faut s’attendre à une hémorrhagie du nez, & non pas au vomissement, sur-tout si le malade est jeune ; car à ceux qui ont passé trente ans, il faudroit s’en tenir au premier prognostic. Hippocr. prognost. lib. III. n°. 23 & 29.

La rougeur des yeux & la douleur du col sont un signe d’hémorragie du nez. Prorrhet. lib. I. sect. III. n°. 45. La même excrétion est aussi annoncée par une rougeur foncée des yeux & par une douleur de tête très-opiniatre, par le clignotement des yeux. Coac. prænot. cap. iv. n°. 7.

Personne n’ignore la fameuse prédiction que Galien fit d’une hémorragie du nez, & la fermeté avec laquelle il s’opposa à une saignée que des médecins peu éclairés vouloient faire à un malade attaqué d’une fievre violente. Il tira ces signes & ses contrindications principalement de la rougeur des yeux, & de ce que le malade s’imaginoit voir toujours voltiger devant ses yeux des serpens rouges ; le succès le plus complet & le plus prochain justifia son prognostic & sa conduite. Le malade saigna abondamment du nez un instant après, & sa guérison fut décidée dès ce moment. Si la saignée eût été faite, il y a lieu de présumer que cette crise auroit échoué ou du moins n’auroit pas été aussi prompte & aussi heureuse, & que le malade auroit été plongé dans un très grand danger. Tel est l’avantage qu’ont les médecins qui savent temporiser, qui étudient & suivent la nature ; tels sont les risques que courent les malades qui confient leurs jours à des aveugles routiniers, qui prétendent maîtriser la nature sans la connoître, & qui assassinent les malades par les efforts impuissans & mal concertés qu’ils font pour les guérir. L’hémorragie du nez est aussi quelquefois annoncée par le larmoyement des yeux ; mais il faut que les larmes soient involontaires, & qu’en même tems les autres signes concourent ; car s’il paroit quelque signe mortel, elles n’annoncent point l’hémorragie, mais la mort prochaine (epidem. lib. I. stat. III.) & si les larmes sont volontaires, elles

ne signifient rien. Aphor. 52, lib. IV.

L’état des yeux qui précede dans la plûpart des femmes, & qui accompagne l’excrétion des regles, est connu de tout le monde ; on sait qu’ils perdent une partie de leur force & de leur éclat, qu’ils deviennent languissans, & que tout le tour des paupieres inférieures devient plus ou moins livide ou violet, & dans l’état où il seroit après un coup violent qui auroit produit une contusion plus ou moins forte. Les éruptions des pustules autour des yeux dans les malades qui commencent à se rétablir, dénotent un dévoiement prochain. Coac. prænot. cap. vj. n°. 10. On peut tirer aussi le même présage de la rougeur de ces parties voisines du nez & des yeux. Ibid. n°. 5. La rougeur des yeux marque aussi quelquefois un fond de dérangement chronique dans le ventre. Ibid. n°. 9. Lorsque les yeux auparavant obscurs, sales & mal colorés reprennent leur brillant, leur pureté & leur couleur naturelle, c’est un signe de crise d’autant plus prochaine que les yeux se dépouillent plus promptement. Ibid. n°. 6. La distorsion des yeux & leur renversement fournissent aussi quelquefois le même présage ; tel est le cas du malade qui étoit au jardin de Déalces, qui fut attaque le neuvieme jour d’un frisson, d’une fievre légere & de sueurs auxquelles le froid succéda, qui tomba ensuite dans le délire, eut l’œil droit de travers, la langue seche, fut tourmenté de soif & d’insomnie, & cependant se rétablit parfaitement. Epidem. lib. III. agrot. xiij. Galien dans le commentaire de ce passage remarque que le délire & la distorsion des yeux qui paroissent le neuvieme jour, sont assez ordinairement des signes critiques.

2°. Lorsque les affections des yeux n’annoncent aucun mouvement critique, elles sont de mauvais augure, & présagent ou quelque maladie, ou quelque nouvel accident, ou la mort même. La couleur jaune des yeux est un signe d’ictere commençant ou de la mauvaise constitution du foie ; elle est plus fâcheuse, lorsqu’elle se rencontre avec une certaine lividité dans les pleurésies. Les yeux à demi fermés, & dont on ne voit que le blanc, sont des signes avant-coureurs des convulsions, & dénotent la présence des vers dans les premieres voies. Les convulsions sont aussi annoncées, suivant Hippocrate, par l’obscurcissement des yeux joint à la foiblesse (coac. prænot. cap. vj. n°. 10.), ou accompagné de défaillances, d’urines écumeuses & de refroidissement du col, du dos, ou même de tout le corps. Prorrhet. lib. I. sect. III. n°. 20.

La férocité des yeux qu’on observe avec douleur de tête fixe, délire, rougeur du visage, constipation, dénotent une convulsion prochaine des parties postérieures qu’on appelle opistotonos (ibid. sect. II. n°. 55, & coac. prænot. cap. iv. n°. 3.) ; & si pendant les convulsions les yeux ont beaucoup d’éclat, sont très-animés, c’est signe que le malade est dans le délire, & qu’il trainera long-tems. Prorrhet. lib. I. sect. III. n°. 32. Les yeux étincelans, fixes, hagards, marquent le délire ou les convulsions (epidem. lib. VI. text. 1.), & les malades qui avec les yeux féroces ou fermés sont dans le délire, vomissent des matieres noirâtres, ont du dégoût pour les alimens, ressentent quelque douleur au pubis, sont en très grand danger ; les purgatifs ne feroient dans ces circonstances qu’irriter encore le mal ; il faut soigneusement s’en abstenir. Pr. l. I. sect. II. n°. 36. Les yeux poudreux, la voix aiguë, clangosa, comme celle des grues, succédant aux vomissemens nauséeux, présagent le délire ; tel fut le sort de la femme d’Hermozy ge, qui eut un délire violent, & mourut ensuite après avoir tout-à-fait perdu la voix. Ibid. sect. I. n°. 17. Les ébranlemens de la tête, les yeux rougeâtres & les délires manifestes sont des accidens très-gra-