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être desavantageux & peu honorable à son héros ? Il passe sous silence le rétablissement du temple de la Concorde, dont on voyoit la preuve par une inscription qui se lisoit du tems de Lilio Giraldi, dans la basilique de Latran. Il ne dit rien de la mort de Crispus fils de Constantin, que cet empereur fit périr sur de faux & de légers soupçons : pas un mot de la mort de Faustine, étouffée dans un bain, quoique Constantin lui fût redevable de la vie ; sans parler de quantité d’autres faits qu’un historien uniquement attentif à dire la vérité, n’auroit pas obmis. Il est donc bien permis d’en appeller d’Eusebe courtisan, flateur & panégyriste, à Eusebe historien à qui ce prodige a été inconnu, jusqu’au tems qu’il eut la commission de publier les louanges de Constantin.

Artemius ne nous paroîtra pas plus digne de foi ; voici le langage qu’on lui fait tenir à Julien. Ad Christum declinavit Constantinus, ab illo vocatus quando difficillimum commisit prælium adversus Maxentium. Tunc enim, & in meridie, apparuit signum crucis radiis solis splendidius, & litteris aureis belli significans victoriam. Nam nos quoque aspeximus, cum bello interessemus, & litteras legimus ; quin etiam totus quoque, id est contemplatus exercitus, & multi hujus sunt testes in exercitu. Mais tout ce beau discours ne porte que sur la foi de Métaphraste, auteur fabuleux, chez qui l’on trouve les actes d’Artemius, que Baronius prétend à tort de pouvoir défendre, en même tems qu’il avoue qu’on les a interpolés.

Reste le témoignage de Constantin lui-même, qui a raconté le fait, & qui a confirmé son récit par serment. Tout semble d’abord donner du poids à un pareil témoignage ; la dignité de ce prince ; ses exploits ; sa constance ; sa religion ; enfin c’est un témoin oculaire qui confirme son assertion par serment. Que peut-on demander de plus, & sur quels fondemens s’élever contre un témoignage de ce caractere ? Je réponds, sur des fondemens appuyés de très-fortes raisons, & je vais entreprendre de prouver : I. que le serment de Constantin n’est pas d’un aussi grand poids qu’on le prétend : II. qu’il étoit tout-à-fait de l’intérêt de Constantin d’inventer un fait de cette espece : III. qu’il rapporte de lui-même des choses qui ne lui conviennent point : IV. qu’il attribue à notre seigneur J. C. des choses indignes de lui.

I. Je dis que le serment de Constantin dans ce cas, n’est pas d’un aussi grand poids qu’on le prétend. Supposons d’abord qu’il l’a fait de bonne foi & dans la simplicité de son ame ; comme ce n’a été que fort long-tems après qu’il a raconté la vision qu’il avoit eue de jour, & le songe qu’il avoit fait la nuit suivante, on peut fort bien penser, sans faire tort à la probité d’un prince vertueux, qu’ayant perdu en partie le souvenir des circonstances d’un fait arrivé depuis si long-tems, il y a ajouté, retranché, & a confondu les choses sans aucune mauvaise intention, & qu’en conséquence il a cru pouvoir affirmer par serment, ce qu’une mémoire peu fidelle lui fournissoit.

Par exemple, il pourroit avoir vu un phénomène naturel, une parhélie, ou halo-solaire, comme le prétendent quelques savans ; ensuite il auroit peut-être vu en songe l’inscription τούτῳ νίκα, & confondant les tems & les circonstances, il auroit cru avoir vu l’inscription de jour. Cependant diverses raisons ne nous permettent pas de taxer dans cette occasion, Constantin d’un simple défaut de mémoire.

En premier lieu, c’est ici un serment fait en conversation familiere, qui peut avoir été l’effet d’une mauvaise habitude, & non l’effet de la réflexion & d’une mure délibération, ce qui seul peut lui donner du poids.

Secondement, c’est un serment nullement nécessaire. S’il eût été question de son songe, comme l’empereur n’avoit d’autre preuve à alléguer que sa

parole, on conçoit que le serment pouvoit être d’usage ; mais s’agissant d’un prodige qui devoit être fort connu, puisqu’il avoit été vu de toute l’armée, qu’étoit-il besoin de serment pour confirmer un fait public, & qu’un grand nombre de témoins oculaires pouvoient attester ? C’est sans contredit une chose étonnante ; que Constantin ait craint de n’en être pas cru à moins qu’il ne fit serment, & qu’Eusebe ne se soit informé du fait à aucun des officiers, ou des soldats de l’armée, qui sans doute n’étoient pas tous morts ; ou que s’il s’étoit informé, il n’en ait rien dit dans la vie de Constantin, pour appuyer le récit de ce prince.

En troisieme lieu, quoique les auteurs chrétiens aient prodigué les plus grands éloges à Constantin, & qu’ils aient donné les plus hautes idées de sa piété, il est certain néanmoins qu’il n’étoit pas aussi vertueux qu’il le faudroit pour mériter une entiere foi de la part de ceux qui jugent sainement du prix des choses.

Sans adopter le sentiment de quelques savans, qui ne prétendent pas à la légere que ce prince étoit plus payen que chrétien, nous avons bien assuré qu’il étoit chrétien plutôt de nom que d’effet. Il a donné plus d’une preuve de son hypocrisie, & de son peu de piété. Quel christianisme que celui d’un prince qui fit rebâtir à ses dépens un temple idolâtre, ruiné par l’ancienneté ; un prince chrétien qui fit périr Crispus son fils, déjà décoré du titre de César, sur un léger soupçon d’avoir commerce avec Fauste sa belle-mere, qui fit étouffer dans un bain trop chauffé cette même Fauste son épouse, à qui il étoit redevable de la conservation de ses jours ; qui fit étrangler l’empereur Maximien Herculius, son pere adoptif ; qui ôta la vie au jeune Licinius, son beau-frere, qui faisoit paroître de fort bonnes qualités ; qui, en un mot, s’est déshonoré par tant de meurtres, que le consul Ablavius appelloit ces tems-là néroniens. On pourroit ajouter qu’il y a d’autant moins de fonds à faire sur le serment de Constantin, qu’il ne s’est pas fait une peine de se parjurer, en faisant étrangler Licinius, à qui il avoit promis la vie par serment. Au reste toutes ces actions de Constantin sont rapportées dans Eutrope, l. X. c. iv. Zosim. l. II. c. xxix. Oros. lib. VII. cap. xxviij. S. Jerôme, in chron. ad ann. 321, Aurelius Victor, in epit. c. l. &c.

II. Il étoit de l’intérêt de Constantin d’inventer un fait de cette espece dans les circonstances où il se trouvoit, & sa politique rafinée le lui suggéroit. Il avoit reçu des députés des villes d’Italie, & de Rome même, pour implorer son secours contre la tyrannie de Maxence. Il souhaitoit fort d’aller les délivrer, d’acquérir de la gloire, & surtout un plus grand empire. La crainte s’étoit emparée de ses soldats. Les chefs de son armée murmuroient d’une guerre entreprise avec des forces fort inférieures à celles que Maxence avoit à leur opposer ; de sinistres présages annonçoient des malheurs. A quoi se résoudre dans de pareilles conjonctures ? Renoncer à la guerre projettée ? il ne le pouvoit après l’avoir lui-même déclarée à Maxence. Demandera-t-il la paix au tyran ? mais il ne peut l’espérer qu’en renonçant à l’empire, ce qui ne convenoit ni à son honneur, ni à sa sureté. D’ailleurs, son ambition étoit si grande, que dans la suite il ne put, ni ne voulut souffrir de compagnon. Il crut donc devoir user d’adresse, & il ne trouva rien de meilleur & de plus avantageux, que de se concilier les chrétiens qui étoient en très-grand nombre, non-seulement dans les Gaules, où Constance Chlore, pere de Constantin, les avoit favorisés, mais encore en Italie, & à Rome même où regnoit Maxence.

Dès le tems de Marc-Aurele les légions étoient remplies de chrétiens, & on prétend qu’il y en avoit