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vision merveilleuse, & qui surpassoit tout ce qu’on peut dire. Comme il marchoit à la tête de ses troupes, il vit dans le ciel l’après-midi, lorsque le soleil commençoit à baisser, une colonne de lumiere en figure de croix, στύλον φωτὸς σταυροειδῆ, sur laquelle étoient écrits ces mots : Ἐν τούτῳ νίκα, vainquez par ceci. L’empereur étonné d’un pareil prodige, & ne s’en rapportant pas entierement à ses propres yeux, demanda à ceux qui étoient présens s’ils avoient vu le même signe. Quand ils lui eurent répondu qu’oui, cette divine & merveilleuse vision le confirma dans la créance de la vérité. La nuit étant survenue, il vit Jesus-Christ qui lui commanda de faire un étendart sur le modele de celui qu’il avoit vu en l’air, & de s’en servir contre ses ennemis, comme du gage le plus certain de la victoire, καὶ τούτῳ κατὰ τῶν πολεμίων κεχρῆσθαι τροπαίῳ. Suivant cet oracle, il fit faire un étendart en forme de croix, lequel on conserve encore aujourd’hui dans le palais des empereurs. Rempli depuis ce moment de confiance, il travailla à l’exécution de ses desseins, & ayant attaqué l’ennemi aux portes de Rome, il remporta la victoire, Maxence étant tombé dans le fleuve, & s’étant noyé ; il étoit dans la septieme année de son regne, lorsqu’il triompha de Maxence »,

Sozomene autre historien ecclésiastique, n’a pas oublié le même fait ; mais il le raconte différemment, hist. ecclés. l. I. c. iij. en citant en même tems le récit d’Eusebe : « Constantin, dit il, ayant résolu de faire la guerre à Maxence, songea de qui il pourroit implorer la protection. Tout occupé de ses pensées, il vit en songe la croix dans le ciel toute resplendissante, ὄναρ εἶδε τὸ τοῦ σταυροῦ σημεῖον ἐν τῷ οὐρανῷ σελαγίζον : étonné de cette apparition, les anges qui l’environnerent, lui dirent : Constantin, remportez la victoire par ce signe ; ὦ Κωνσταντῖνε ἐν τούτῳ νίκα. On dit même que Jesus-Christ lui apparut, & que lui ayant montré l’étendart de la croix, il lui commanda d’en faire faire un semblable, & de se s’en servir dans les combats pour vaincre ses ennemis ».

Philostorge qui a écrit une histoire ecclésiastique sous Théodose le jeune, dont Photius nous a conservé l’extrait, parle aussi, l. I. c. vj. de l’apparition du signe céleste, & la raconte autrement. Il dit que Constantin vit le signe de la croix vers l’Orient, & que ce signe étoit formé d’un tissu de lumiere fort étendu, & accompagné d’une multitude d’etoiles arrangées de façon qu’elles traçoient en langue latine ces paroles : Vainquez par ce signe, Ἐν τούτῳ νίκα.

Nicéphore Calliste, hist. ecclés. l. VIII. c. iij. a copié à sa maniere Philostorge en partie, & pour le reste Socrate presque mot à mot. Il renchérit néanmoins sur les autres historiens, & multiplie les merveilles ; car outre la premiere apparition, Constantin, si on l’en croit, en a eu deux autres encore. Dans l’une il vit les étoiles arrangées de façon qu’elles formoient ces mots : Ἐπικάλεσαί με ἐν ἡμέρᾳ θλίψεώς σου, καὶ ἐξελοῦμαί σε, καὶ δοξάσεις με : « Invoque-moi au jour de ta détresse, je t’en délivrerai, & tu me glorifieras ». Frappé d’étonnement, il leva encore les yeux au ciel, & il vit de nouveau la croix formée par des étoiles, & une inscription autour, en ces termes : Ἐν τούτῳ τῷ σημείῳ πάντας νικήσεις τοὺς πολεμίους : Par ce signe tu vaincras tous tes ennemis ; ce qui lui rappella d’abord ce qui lui étoit arrivé auparavant. Le lendemain il fit sonner la charge, & livra bataille aux Byzantins, qu’il vainquit heureusement, & se rendit maître de leur ville, ayant fait porter l’étendart de la croix dans le combat.

Photius, bibl. cod. 256. nous a conservé le témoignage d’un septieme écrivain, qui n’a rien dit de par-

ticulier, sinon que Constantin enrichit de pierreries

la croix qui lui étoit apparue, & la fit porter devant lui dans le combat contre Maxence.

La narration de Lactance, de mortib. persec. c. xliv. est plus étendue que celle de ses prédécesseurs, & en differe en plusieurs points. Il est dit, par exemple, que Constantin averti en songe de mettre sur les boucliers de ses soldats la divine image de la croix, & de livrer bataille, exécuta ce qui lui étoit prescrit, & fit entrelacer la lettre X dans le monogramme de Christus, pour être marquée sur tous les boucliers. Maxence fut battu, trouva le pont rompu, & se trouvant pressé par la multitude des fuyards, il tomba dans le Tibre, & s’y noya.

Je ne sais si l’on doit mettre au rang des témoins, Arthemius à qui Julien fit trancher la tête, & à qui Métaphraste & Surius (sur le 20 Octobre) font dire que le signe de la croix étoit plus brillant que les rayons du soleil ; que les caracteres étoient dorés, & indiquoient la victoire ; assurant qu’il a été témoin oculaire de cette merveille ; qu’il a lu les lettres, & que toute l’armée a vu cet étonnant prodige.

Après avoir rapporté les témoignages des historiens, il s’agit de les peser : sur quoi l’on doit préalablement observer deux choses. I. Qu’on ne produit d’autres témoins que des chrétiens, dont la déposition peut être suspecte dans ce cas II. Que ces témoins ne sont nullement d’accord entr’eux, & qu’ils rapportent même des choses opposées.

I. On ne produit d’autres témoins que des chrétiens, dent la déposition peut être suspecte dans ce cas, parce qu’il s’agit d’un fait qui fait honneur à leur religion, & qui en prouve la divinité. Si ce merveilleux phénomene a été vu, non-seulement de Constantin & de ses amis, mais de toute son armée, d’où vient qu’aucun auteur païen n’en a fait mention ? Que Zozime n’en eût rien dit, il ne faudroit pas en être surpris, cet écrivain ayant quelquefois pris à tâche de diminuer la gloire de Constantin. Mais comment n’en trouve-t-on pas le mot dans le panégyrique de Constantin, prononcé en sa présence à Treves, lorsqu’après avoir vaincu Maxence, il retourna dans les Gaules & sur le Rhin ? L’auteur de ce panégyrique parle en termes magnifiques de toute la guerre contre Maxence, & garde en même tems un profond silence sur la vision dont il s’agit : ce silence est fort étrange !

Nazaire autre rhéteur, qui dans son panégyrique, parle si éloquemment de la guerre contre Maxence, de la clémence dont Constantin usa après la victoire, & de la délivrance de Rome, ne dit rien de la vision que toute l’armée doit avoir vue, tandis qu’il rapporte que par toutes les Gaules on avoit vu des armées célestes, qui prétendoient être envoyées pour secourir Constantin.

Non-seulement cette vision surprenante a été inconnue aux auteurs païens, mais à trois écrivains chrétiens contemporains de Constantin, & qui avoient la plus belle occasion d’en parler. Le premier est Publius Optatianus Porphyre, poëte chrétien, qui publia un panégyrique de Constantin en vers latins, dans lequel il fait mention plus d’une fois du monogramme de Christ, qu’il appelle le signe céleste ; mais l’apparition de la croix au ciel lui est inconnue. Lactance est le second, & son témoignage est recommendable par toutes sortes, tant à cause de la pureté de ses mœurs, de son érudition, & de son éloquence, qu’à cause qu’il a été parfaitement instruit de tout ce qui regarde Constantin, ayant été précepteur de Crispus fils de cet empereur. Dans son Traité de la mort des persécuteurs, qu’il écrivit vers l’an 314, deux ans après l’apparition dont il s’agit, il n’en fait aucune mention. Il rapporte seulement que Constantin fut averti en songe de mettre sur les boucliers de