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lorsqu’on voit un objet sous un certain angle, & qu’on le croit en même tems fort éloigné, on juge alors naturellement qu’il doit être fort grand pour paroître de si loin sous cet angle-là, & qu’ainsi un pur jugement de notre ame, mais nécessaire & commun à tous les hommes, nous fait voir la lune plus grande à l’horison, malgré l’image plus petite qui est peinte au fond de notre œil. Le p. Gouye attaque cette explication si ingénieuse, en assurant que plus l’horison est borné, plus la lune nous paroît grande. M. Gassendi prétend que la prunelle qui constamment est plus ouverte dans l’obscurité, l’étant davantage le matin & le soir, parce que des vapeurs plus épaisses sont alors répandues sur la terre, & que d’ailleurs les rayons qui viennent de l’horison, en traversent une plus longue suite, l’image de la lune entre dans l’œil sous un plus grand angle, & s’y peint réellement plus grande. Voyez Prunelle & Vision.

On peut répondre à cela que malgré cette dilatation de la prunelle causée par l’obscurité, si l’on regarde la lune avec un petit tuyau de papier, on la verra plus petite à l’horison. Pour trouver donc quelque autre raison d’un phénomène si singulier, le p. Gouye conjecture que quand la lune est à l’horison, le voisinage de la terre & les vapeurs plus épaisses dont cet astre est alors enveloppé à notre égard, font le même effet qu’une muraille placée derriere une colonne, qui paroît alors plus grosse que si elle étoit isolée & environnée de toutes parts d’un air éclairé ; de plus, une colonne, si elle est cannelée, paroit plus grosse que quand elle ne l’est pas, parce que les cannelures, dit-il, sont autant d’objets particuliers, qui par leur multitude donnent lieu d’imaginer que l’objet total qu’ils composent, est d’un plus grand volume. Il en est de même à-peu-près, selon cet auteur, de tous les objets répandus sur la partie de l’horison à laquelle la lune correspond quand elle en est proche ; & de-là vient qu’elle paroît beaucoup plus grande lorsqu’elle se leve derriere des arbres dont les intervalles plus serrés & plus marqués font presque la même chose sur le diametre apparent de cette planete qu’un plus grand nombre de cannelures sur le fut d’une colonne.

Le p. Malebranche explique ce phénomène à peu-près comme Descartes, excepté qu’il y joint de plus, d’après Alhazen, l’apparence de la voûte céleste que nous jugeons applatie ; ainsi, selon ce pere, nous voyons la lune plus grande à l’horison, parce que nous la jugeons plus éloignée, & nous la jugeons plus éloignée par deux raisons : 1°. à cause que la voûte du ciel nous paroît applatie, & son extrémité horisontale beaucoup plus éloignée de nous que son extrémité verticale : 2°. à cause que les objets terrestres interposés entre la lune & nous, lorsqu’elle est à l’horison, nous font juger la distance de cet astre plus grande.

Voilà le précis des principales opinions des philosophes sur ce phénomène ; il faut avouer qu’il reste encore sur chacune des difficultés à lever.

IV. La figure des objets visibles s’estime principalement par l’opinion que l’on a de la situation de leurs différentes parties.

Cette opinion, ou si l’on veut, cette connoissance de la situation des différentes parties d’un objet met l’ame en état d’appercevoir la forme d’un objet extérieur avec beaucoup plus de justesse que si elle en jugeoit par la figure de l’image de l’objet tracée dans la rétine, les images étant fort souvent elliptiques & oblongues, quand les objets qu’elles représentent, sont véritablement des cercles, des quarrés, &c.

Voici maintenant les lois de la vision par rapport aux figures des objets visibles.

1°. Si le centre de la prunelle est exactement vis-à-vis, ou dans la direction d’une ligne droite, cette

ligne ne paroîtra que comme un point.

2°. Si l’œil est placé dans le plan d’une surface ; de maniere qu’il n’y ait qu’une ligne du périmetre qui puisse former son image dans la rétine, cette surface paroîtra comme une ligne.

3°. Si un corps est opposé directement à l’œil, de maniere qu’il ne puisse recevoir des rayons que d’un plan de la surface, ce corps aura l’apparence d’une surface.

4°. Un arc éloigné vu par un œil qui est dans le même plan, n’aura l’apparence que d’une ligne droite.

5°. Une sphere vue à quelque distance paroît comme un cercle.

6°. Les figures angulaires paroissent rondes dans un certain éloignement.

7°. Si l’œil regarde obliquement le centre d’une figure réguliere ou d’un cercle fort éloigné, le cercle paroitra ovale, &c.

V. On apperçoit le nombre des objets visibles, non-seulement par une ou plusieurs images qui se forment au fond de l’œil, mais encore par une certaine situation ou disposition de ces parties du cerveau d’où les nerfs optiques prennent leur origine, situation à laquelle l’ame s’est accoutumée, en faisant attention aux objets simples ou multiples.

Ainsi quand l’un des yeux ne conserve plus son juste parallelisme avec l’autre œil, comme il arrive en le pressant avec le doigt, &c. les objets paroissent doubles, &c. mais quand les yeux sont dans le parallélisme convenable, l’objet paroît unique, quoiqu’il y ait véritablement deux images dans le fond des deux yeux. De plus, un objet peut paroître double, ou même multiple, non-seulement avec les deux yeux, mais même en ne tenant qu’un seul ce l ouvert, lorsque le point commun de concours des cônes de rayons réfléchis de l’objet à l’œil n’atteint pas la rétine, ou tombe beaucoup au-delà.

VI. On apperçoit le mouvement & le repos, quand les images des objets représentés dans l’œil se meuvent ou sont en repos ; & l’ame apperçoit ces images en mouvement ou en repos, en comparant l’image en mouvement avec une autre image, par rapport à laquelle la premiere change de place, ou bien par la situation de l’œil qui change continuellement, lorsqu’il est dirigé à un objet en mouvement ; de maniere que l’ame ne juge du mouvement qu’en appercevant les images des objets dans différentes places & différentes situations : ces changemens ne peuvent même se faire sentir sans un certain intervalle de tems ; ensorte que pour s’appercevoir d’un mouvement, il est besoin d’un tems sensible. Mais on juge du repos par la perception de l’image dans le même endroit de la rétine & de la même situation pendant un tems sensible.

C’est la raison pourquoi les corps qui se meuvent excessivement vite, paroissent en repos ; ainsi, en faisant tourner très-rapidement un charbon, on apperçoit un cercle de feu continu, parce que ce mouvement s’exécute dans un tems trop court pour que l’ame puisse s’en appercevoir ; tellement que dans l’intervalle de tems nécessaire à l’ame pour juger d’un changement de situation de l’image sur la rétine, l’objet a fait son tour entier, & est revenu à sa premiere place. En un mot, l’impression que fait l’objet sur l’œil lorsqu’il est dans un certain endroit de son cercle, subsiste pendant le tems très-court que l’objet met à parcourir ce cercle, & l’objet est vu par cette raison dans tous les points du cercle à la fois.

Lois de la vision par rapport au mouvement des objets visibles. 1°. Si deux objets à des distances inégales de l’œil, mais fort grandes, s’en éloignent avec des vitesses égales, le plus éloigné paroîtra se mouvoir plus lentement ; ou si leurs vitesses sont proportion-