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pour ainsi dire, que de bois, porte une espece de bois qui n’est qu’un résidu de cette nourriture : le castor qui habite les eaux & qui se nourrit de poisson, porte une queue couverte d’écailles : la chair de la loutre & de la plûpart des oiseaux de riviere, est un aliment de carême, une espece de chair de poisson. L’on peut donc présumer que des animaux auxquels on ne donneroit jamais que la même espece de nourriture s’assimileroient en entier à la forme de la nourriture, comme on le voit dans le bois du cerf & dans la queue du castor. Aristote, Théophraste, Pline, disent tous que l’on a vu du lierre s’attacher, pousser, & croître sur le bois des cerfs lorsqu’il est encore tendre. Si ce fait est vrai, il seroit facile de s’en assurer par l’expérience ; il prouveroit encore mieux l’analogie intime de ce bois avec le bois des arbres.

Le cerf n’est pas seulement tourmenté par les vers des tumeurs, il l’est encore par des vers d’une autre espece qui naissent dans son gosier, & qui sont faussement accusés d’occasionner la chûte des bois du cerf.

La mouche, qu’on nomme mouche de la gorge du cerf, sait qu’auprès de la racine de la langue des cerfs, il y a deux bourses qui lui sont affectées pour le dépôt de ses œufs ; elle connoît aussi la route qu’il faut tenir pour y arriver. Elle prend droit son chemin par le nez du cerf, au-haut duquel elle trouve deux voies, dont l’une conduit au sinus frontal, & l’autre aux bourses, dont nous venons de parler. Elle ne se méprend point ; c’est par celle-ci qu’elle descend pour aller chercher vers la racine de la langue les bourses qui en sont voisines. Elle y dépose des centaines d’œufs qui deviennent des vers, & qui croissent & vivent de la mucosité que les chairs de ses bourses fournissent continuellement. Lorsqu’ils sont arrivés à leur grosseur, ils sortent du nez du cerf & tombent à terre, s’y cachent & y subissent leur métamorphose qui les conduit à l’état de mouche. Dictionnaire de M. Valmont de Bomare, article mouche, p. 493.

Les mouches des tumeurs des bêtes a cornes sont extrèmement velues, comme les bourdons ; elles font, comme eux, un grand bruit eu volant, mais elles n’ont que la bouche & deux aîles ; c’est sur les taureaux, les vaches, les bœufs, les cerfs que cette mouche hardie va déposer ses œufs. Les daims, les chameaux, & même les rennes n’en sont point exemts : elle se glisse sous leur poil, & avec un instrument qu’elle porte au derriere & qu’on pourroit comparer à un bistouri, elle fait une ouverture dans la peau de l’animal, & y introduit ses œufs ou ses vers, car on ignore si elle est ovipare ou vivipare. Ce bistouri ou cette tarriere est d’une structure très curieuse : c’est un cylindre écailleux composé de quatre tuyaux qui s’alongent à la maniere de lunettes ; le dernier est terminé par trois crochets, dont la mouche se sert pour percer le cuir de l’animal ; le plus souvent cette piquure ne paroît point inquiéter le moins du monde ces animaux ; mais si quelquefois la mouche perçant trop loin, attaque quelque filet nerveux, alors la bête à cornes fait des gambades, se met à courir de toutes ses forces, & entre en fureur. Aussi-tôt que l’insecte naissant commence à sucer les liqueurs qui remplissent la plaie, la partie piquée s’enfle, s’éleve comme une bosse ; les plus grosses ont environ 16 à 17 lignes de diametre à leur base, & un pouce & un peu plus de hauteur. A peine ces bosses sont-elles sensibles avant le commencement de l’hiver, & pendant l’hiver même, quoiqu’elles ayent été faites dès l’automne précédent.

Il paroît que les vers qui habitent ces tumeurs ne font point de mal à leur hôte, car l’animal ne s’en porte pas moins bien, ne maigrit point, & conserve

tout son appétit ; il y a même des paysans qui préferent les jeunes bêtes qui ont de ces bosses à celles qui n’en ont pas, l’expérience leur ayant appris qu’elles méritent cette préférence. On peut penser que toutes ces plaies font sur l’animal l’effet de cauteres, qui sont plus utiles que nuisibles en faisant couler les humeurs extérieurement. Lorsque le ver est arrivé à son état de perfection, il sort par l’ouverture de la bosse, & se laisse tomber à terre ; il est digne de remarque que c’est toujours le matin qu’il prend son tems, après que les fraîcheurs de la nuit sont passées, & avant que la grande chaleur du jour soit arrivée, comme s’il prévoyoit que la fraîcheur de l’air l’engourdiroit, & que la chaleur le dessécheroit, si elle le trouvoit en route. Le ver se fourre sous quelque pierre ou sous quelque trou, où il subit sa métamorphose.

M. de Buffon ne dit rien des taons vivans qui se trouvent entre cuir & chair des cerfs, biches, daims, &c. dans l’hiver, qui sont presque gros comme le bout du petit doigt, dont on trouve beaucoup à la fin de l’hiver & au commencement du printems autour de la tête du cerf.

M. de Valmont ne dit rien sur ce sujet.

Les auteurs anciens donnent au cerf une bien plus longue vie que les modernes.

Oppien, dans son poëme de la vénerie, liv. II. dit qu’il cherche & combat les serpens, les tue, les mange ; & après va chercher dans les fleuves des cancres qu’il mange, ce qui le guérit aussi-tôt, & qu’il vit autant que font quatre corneilles.

Modus ne dit rien de la durée de la vie des cerfs.

Phœbus, dans son premier chapitre, dit que le cerf vit cent ans ; que plus il est vieux, plus il est beau de son corps & de sa tête, & plus luxurieux il est, mais qu’il n’est pas si vîte, si léger ni si puissant ; que quand le cerf est très-vieux, il bat du pié pour faire sortir les serpens courroucés, & qu’il en avale & mange, & puis va boire, courre çà & là, l’eau & le venin se mêlent ensemble, & il jette toutes les mauvaises humeurs qu’il a au corps, & lui revient chair nouvelle.

Fouilloux, chap. xvj. rapporte le sentiment d’Isidore, que le cerf est le vrai contraire du serpent ; & que quand il est vieux, décrépit & malade, il s’en va aux fosses & cavernes des serpens, puis avec les narines souffle & pousse son haleine dedans, ensorte que par la force & la vertu d’icelle il contraint le serpent de sortir dehors ; lequel étant sorti, il le tue avec le pié, puis le mange & le dévore ; après il s’en va boire, alors le venin s’épand par tous les conduits de son corps ; quand il sent le venin, il se met à courir pour s’échauffer. Bientôt après il commence à se vuider, & purger tellement qu’il ne lui demeure rien dans le corps, sortant par tous les conduits que la nature lui a donné, & par ce moyen se renouvelle & se guérit, faisant mutation de poil.

Charles IX. chap. vj. rapporte qu’Oppien dit qu’un cerf peut vivre quatre fois plus que la corneille, comme il est écrit ci-dessus ; il donne cent ans de vie à chaque corneille, cela feroit quatre cens ans.

Pline donne un exemple de leur longue vie, il écrit que cent ans après Alexandre le grand on a pris des cerfs avec des colliers au col, qu’on leur avoit attaché du tems dudit Alexandre ; étant lesdits colliers cachés de leur peau, tant ils avoient de venaison. Quand ils sont malades, Ambrosius dit qu’ils mangent des petits rejettons d’olivier, & se guérissent ainsi.

Pline écrit qu’ils n’ont jamais de fievre, qui plus est qu’ils remédient à cette maladie, qu’il y a eu des princesses qui ayant accoutumé de manger tous les matins un peu de chair de cerf, ont vécu fort long-tems, sans jamais avoir eu aucune fievre, pour-